logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

IA : « Les RH ont intérêt à aller voir ce que font les autres » (Emmanuelle Blons, Hub France IA)

Digitale | publié le : 18.09.2024 | Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

Emmanuel Blons

Emmanuel Blons, Hub France IA : « Les RH ont intérêt à aller voir ce que font les autres. »

Crédit photo DR

Que doivent faire les RH face à la vague de l’IA ? Emmanuelle Blons, copilote du groupe de travail RH du Hub France IA et auteure, fait un point sur la situation, détaille les défis à relever et les actions qui peuvent être mises en œuvre dès aujourd’hui.

À quel stade de développement se trouve l'usage de l'IA dans les ressources humaines ?

Emmanuelle Blons : Les grandes entreprises ont déjà largement déployé des outils d'IA dans leurs fonctions RH et cette tendance devrait s'accélérer encore en 2024. Les entreprises moins importantes en taille commencent à se poser des questions et notamment à travailler sur l’acculturation de leurs équipes et des équipes RH, y compris les équipes dirigeantes. Elles commencent également à réfléchir à des feuilles de route de déploiement mais elles n’ont pas encore vraiment sauté le pas.

La peur de rater une révolution technologique est-elle le grand moteur de diffusion de l’IA ?

E. B. : Je ne suis pas convaincue que la peur soit le principal moteur de l'adoption de l'IA. Je pense plutôt que l'émergence des IA génératives, plus intuitives et accessibles, a véritablement dynamisé ce mouvement. Tout le monde a déjà utilisé ChatGPT ou créé quelques images. Cela rend cette technologie plus abordable, notamment par rapport aux IA prédictives. L'IA prédictive peut prédire le comportement d’un utilisateur en fonction de ses activités passées. Par exemple, elle peut prédire qu’une personne va démissionner. Mais ces IA sont un peu plus compliquées à appréhender. Par ailleurs, je pense qu'il y a aussi une sorte de « pression du marché », c'est-à-dire que nos employés et les candidats utilisent déjà les IA génératives à titre personnel : ils en ont une expérience assez fluide, or les process en entreprise ne sont pas aussi fluides parce qu’il n'y a pas d'outil IA ou qu’ils n'ont pas le droit d’en utiliser.


« L'IA peut être utile dans l’analyse de l’entretien de performance, à condition d’être très transparent avec les salariés. »


Quelles sont les fonctions RH les plus investies par l’IA ?

E. B. : Le recrutement est l’un des premiers domaines investis, effectivement, en particulier l'analyse de CV. L'IA peut analyser les CV de manière approfondie, en identifiant les compétences clés, les expériences pertinentes et les éventuelles lacunes par rapport au profil recherché. Il est possible de demander à l’IA de vous proposer des questions pour creuser certains points lors de l’entretien. Cela fait gagner du temps pour analyser les CV et passer plus de temps avec les candidats. Le deuxième usage le plus courant de l’IA, ce sont les chatbots pour répondre aux questions RH récurrentes sur les règlements internes, la convention collective, ou même sur la réglementation qui évolue régulièrement. D’autres domaines adoptent de plus en plus l’IA : la gestion de carrière avec un matching de compétences et des propositions de plans de carrière et/ou de plans de formation. La formation accélère aussi. L’IA permet de fournir un contenu plus personnalisé et d’analyser les feed-back des stagiaires. L’IA est très utile pour analyser les commentaires et déterminer ce qui fonctionne ou pas afin d’adapter la stratégie de formation. Pour résumer, l’IA apporte un gain de temps et de performance, pour insuffler plus d’humain.

Quels autres usages innovants avez-vous observés ?

E. B. : L'IA peut être utile dans l’analyse de l’entretien de performance, à condition d’être très transparent avec les salariés afin qu'ils aient un droit de regard et surtout un droit de correction. Certains outils d’IA permettent d’analyser le qualitatif dans ce type d’entretien à travers des modules de « sentiment analysis ». Elles peuvent extraire du contenu, en tirer des conclusions, voire proposer des stratégies.

Dans quel autre domaine l'IA peut-elle être utile aux équipes RH ?

E. B. : Je pense qu'il y a une approche à développer sur l'image employeur. Le fait de posséder des outils RH innovants, basés sur l’IA, peut donner une image positive sur le marché. Ce serait aussi la preuve que l’entreprise n'hésite pas à se lancer dans la découverte de l'IA avec ses RH. C’est un point important parce que pour connaître les risques et les gérer correctement, il faut utiliser ces outils pour mieux les comprendre.


« Il y a deux grands freins. Le premier, c’est le manque de temps. Et le second, c’est la quantité et la disponibilité des données. »


Quels freins empêchent l’IA de se développer plus rapidement parmi les RH ?

E. B. : À mon sens, il y a deux grands freins. Le premier, c’est le manque de temps. Et le second, c’est la quantité et la disponibilité des données. Pour les lever, deux pistes sont possibles. Il faut travailler en binôme avec la DSI qui peut gérer les aspects techniques tandis que les RH peuvent travailler sur la connaissance et l'expertise fonctionnelles. Mais déployer de l'IA dans les RH exige d’y passer un peu de temps. La seconde piste consiste à utiliser des « briques » IA déjà déployées dans d'autres métiers, comme le marketing. Les RH ont intérêt à ne pas rester en silo et à aller voir ce que font les autres.

Comment les équipes RH peuvent-elles favoriser la diffusion de l'IA dans l'entreprise ?

E. B. : Il y a plusieurs actions à mettre en place. Dans un premier temps, commencer à discuter avec les partenaires sociaux parce que c'est indispensable de travailler avec eux sur le déploiement de l'IA dans l'entreprise, et encore plus quand on parle de l'IA dans les RH. Il faut ouvrir la discussion avec les partenaires sociaux pour recueillir leurs vues sur ce sujet, parler de façon très transparente des risques et des peurs qui peuvent être générées par ces projets. Il faut être proactif. Le deuxième point, c'est la culture, la formation à tous les niveaux, de la direction générale jusqu'au junior dans l'entreprise. Il y a de l’appréhension autour de l'IA, il est donc important d'acculturer les collaborateurs. Il faut en parallèle développer la culture de la donnée parce que l’IA en demande beaucoup. Ensuite, très rapidement, il convient d’élaborer une charte des usages des IA génératives pour fixer clairement ce qui est autorisé.


« Les RH doivent aussi s’intéresser aux "travailleurs du clic". »


Sur tous ces points, quelle est la situation dans les entreprises ?

E. B. : Pour l'instant, je ne suis pas sûre que les entreprises engagent le dialogue de façon proactive. Pour ce qui est de la culture de la donnée, j’ai le sentiment que peu de choses sont faites. S’agissant des chartes, Orange et Capgemini ont mis leur charte éthique à disposition sur Internet et cela permet de s'en inspirer. Le Hub France IA a aussi publié un guide de l’IA éthique dans l'entreprise. Il faut surtout consulter l'IA Act, qui vient d'être adopté récemment. Ce règlement classe les usages de l'IA en fonction de leur dangerosité. Par exemple, l'usage de l'IA dans le recrutement figure dans les usages comportant un risque élevé. Il faut donc bien prendre en compte l’IA Act avant d’engager un déploiement de l’IA dans les RH.

Sur quels autres domaines doit porter l’attention des équipes RH ?

E. B. : Les RH doivent aussi s’intéresser aux « travailleurs du clic ». Ce sont des personnes sous-payées pour aider l'IA à se former ou à être moins toxique, en étiquetant des données par exemple. Quand vous accédez à un site Web, vous devez parfois sélectionner, parmi une série d’images, celles où apparaît un bateau, ou un chat, etc. Avec cette sélection, sans le savoir, vous formez une IA à reconnaître un bateau, un chat, etc. Sauf que « les travailleurs du clic » sont souvent des gens en difficulté, en précarité financière et qui sont sous-payés, quelques dollars, pour étiqueter les données pour que l'IA puisse apprendre. Quand une équipe RH achète une brique d'IA pour son recrutement ou pour sa gestion de la performance, elle doit se demander comment l'IA a été formée pour être sûre, d’une part, que l’outil n’est pas biaisé, et, de l’autre, pour s’assurer que des « travailleurs du clic » n’ont pas été utilisés pour former cette IA, car ce n’est pas éthique.

Auteur

  • Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins