Les partenaires sociaux viennent de recevoir le document de cadrage de leurs futures négociations sur l’emploi des seniors, l’usure, les transitions professionnelles et le compte épargne-temps universel (Cetu). Une grande liberté d’action leur est accordée. Seule restriction : ne pas grever les finances publiques.
Un document de cadrage pour trois nouvelles négos. À peine remis d’une négociation sur l’assurance-chômage bouclée dans la douleur (que ne signeront ni la CGT, ni la CFE-CGC) et alors qu’ils ignorent toujours si cette dernière sera agréée par l’exécutif, les partenaires sociaux ont reçu, le 21 novembre dans l’après-midi, la feuille de route pour leurs prochaines discussions sur « le nouveau pacte de la vie au travail ». Avec trois sujets à l’agenda : le compte épargne-temps universel (Cetu), l’emploi des seniors et un troisième sous forme de pack englobant prévention de l’usure professionnelle, progression des carrières et reconversions professionnelles. Trois dossiers que syndicats et organisations patronales sont libres d’aborder dans un cadre particulièrement ouvert… dès lors que le fruit de leurs débats ne grève pas les finances publiques, comme le document de cadrage le rappelle à pas moins de trois reprises !
Même si l’article L1 du Code du travail laisse une grande liberté de négociations aux partenaires sociaux, le ministère du Travail n’a pas caché qu’il préférerait voir ce nouveau cycle de négociations s’achever aux alentours du 15 mars. Ce qui laisserait, selon l’entourage d’Olivier Dussopt, le temps au Gouvernement le temps de mettre en branle un véhicule législatif pour le faire approuver par le Parlement. Et à moins que les partenaires sociaux n’abîment trop les budgets publics, les futurs textes devraient se voir « transcris fidèlement » dans la loi, a annoncé le ministère du Travail.
Doubler le nombre de seniors en emploi après 60 ans
Hormis ce carcan budgétaire, les négociateurs devraient disposer d’une grande liberté d’action. Sur l’emploi des seniors, sujet que l’exécutif a tenu à décorréler de la négociation sur l’assurance-chômage malgré les tentatives de certaines organisations syndicales de l’y ramener, rien n’empêchera les partenaires sociaux de remettre sur la table les dossiers de l’index senior – un outil de mesure de l’emploi des salariés âgés dont la violation ferait l’objet de procédures de « name and shame » sur le modèle de celui concernant l’égalité salariale hommes-femmes – dont le patronat ne voulait pas entendre parler, ni même celui du « CDI senior » - que ce même patronat a « suggéré » au Sénat d’introduire dans le débat parlementaire sur la réforme des retraites - et dont, pour le coup, ce sont les syndicats qui se méfient, estimant que le dispositif reviendrait à créer des contrats de travail au rabais et des trappes à bas salaires pour les salariés âgés. Au ministère du Travail, on se contente de renvoyer la balle aux partenaires sociaux : « A eux de se positionner sur les éléments qui leur paraîtront pertinents », se contente-t-on de répondre Hôtel du Châtelet. Seul objectif chiffré : réussir à faire grimper, à l’horizon 2030, le taux d’emploi des 60-64 ans de 33 % – un des pires taux européens – à 65 % ! Un challenge pas si difficile qu’il n'y paraît. Du moins sur le papier, puisqu’avec le passage de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, ce taux devrait « naturellement » remonter à 62 % selon les calculs de l’Insee. Reste aux syndicats et au patronat à plancher sur les moyens d’apporter le complément. « L’enjeu, ce seront les mesures additionnelles », ajoute le ministère.
En octobre 2022, lors du premier round de la concertation sur les retraites, l’idée de transformer le compte personnel de prévention, ce dispositif de comptabilité des critères de pénibilité du travail né en 2015 (et remanié en 2017 en retirant quatre des dix critères de pénibilité), massivement utilisé pour les pré-retraites en droit spécifique à la reconversion professionnelle, avait surgi. À voir s’il reviendra sur la table dans cette négociation… ou dans le cadre de celle sur les transitions professionnelles et de prévention de l’usure au travail, où l’exécutif compte sur les partenaires sociaux pour se pencher sur les reconversions « à tous niveaux, tous âges et dans tous les secteurs ». L’occasion de réviser les dispositifs d’évolution professionnelle peu ou pas assez efficace. À l’image de Pro-A, le mécanisme de reconversion ou de promotion par l’alternance qui n’a pas donné les résultats escomptés. Ou Transitions collectives (TransCo) qui n’a pas vraiment – euphémisme – trouvé son public.
« Le CETU ne doit pas devenir un outil de pouvoir d’achat »
Autre gros dossier, le Cetu. Promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022, ce compte épargne-temps universel doit venir démocratiser un outil – le compte épargne temps, ou CET – né avec la loi sur les 35 heures et qui permet de convertir les heures sup’ accumulées en temps de formation, de congés ou en gratification monétaire. Le Gouvernement veut en faire un dispositif « universel, opposable et portable », c'est-à-dire susceptible de suivre tous les travailleurs durant l’ensemble de leur carrière. Quelques restrictions cependant : pas question que le futur Cetu se substitue aux CET déjà présents dans les entreprises ou régulés par accords de branches. Pas question non plus qu’il fasse l’objet d’une gestion décentralisée. Chaque entreprise devra disposer de son propre compte. Les partenaires sociaux sont ainsi invités à développer un Cetu « complémentaire » des comptes épargne-temps déjà existants. Mais d’ores et déjà, les syndicats ont soulevé un lièvre dans la rédaction du document de cadrage ministériel : la porte laissée ouverte à une monétisation des congés payés, au nom de l’augmentation du pouvoir d’achat des salariés... Une proposition qui irrite Cyril Chabanier, le président récemment réélu de la CFTC. A l’occasion d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis) le 22 novembre, celui-ci a tiré la sonnette d’alarme. « Le CETU devra être un outil de déroulement des carrières et pas de pouvoir d’achat ! Sinon, le risque serait trop grand de voir les salariés incités à troquer leurs congés contre de l’argent ». Un risque qui pèse surtout sur la cinquième semaine de congés payés non sanctuarisée. La négociation n’a pas encore commencé que la première ligne rouge est déjà tracée…