Même si le développement économique a été confié aux Régions depuis 2015, de nombreux facteurs poussent les Départements à s’y investir. Ils ne se battent pas tous à armes égales, mais rien n’est joué, car les handicaps d’hier pourraient bien être les atouts de demain.
Pourquoi tant de Départements ont-ils des politiques d’attractivité ?
Sébastien Bourdin : La notion d’attractivité recouvre en fait deux dimensions. D’un côté, la volonté de faire venir des gens et/ou des entreprises dans un secteur ou une région, et c’est à cela que l’on pense le plus souvent. Mais il y a aussi une autre dimension, celle de la rétention, c’est-à-dire la capacité à retenir ceux qui sont déjà installés ou qui vont venir s’installer. Une politique d’attractivité qui a pour seul objectif de faire venir des personnes sans se préoccuper de les retenir, ou qui se solderait par autant de départs que d’arrivées, aboutirait à une somme nulle ou négative.
En 2015, la suppression de la clause générale de compétence n’avait-elle pas conduit à la disparition des agences d’attractivité ?
S. B. : Cette suppression a effectivement conduit à confier le développement économique à l’échelle régionale, ce qui a contraint beaucoup de Départements à supprimer leur agence d’attractivité. Cette compétence n’étant plus de leur ressort, le financement correspondant n’existait plus. Ce mouvement s’est inversé parce que les Départements ont malgré tout envie d’exister. Or ils sont aujourd'hui pris en étau entre la Région et les intercommunalités, très actives, et ils risquent, s’ils ne font rien, de se voir cantonner au rôle de « guichet social » avec la distribution d’aides et la gestion de l’accompagnement des personnes en situation difficile. Compte tenu de la situation économique, beaucoup de Départements comprennent qu’ils ont encore une carte à jouer dans le champ économique. Il y a un mouvement de réindustrialisation et beaucoup de projets qu’ils cherchent à attirer.
Tous les Départements sont-ils logés à la même enseigne ?
S. B. : La London School of Economics a fait une étude qui caractérise bien la situation des différents territoires français. Il y a d’abord les métropoles ultra-dynamiques, ensuite ceux qui entourent ces métropoles et qui profitent de cette dynamique, et enfin les territoires ruraux ou les territoires avec des industries déclinantes qui ne parviennent pas à compenser ce mouvement par le tourisme. Dans cette troisième catégorie, se retrouvent les départements situés le long d’une « diagonale du vide » qui va des Ardennes jusqu’au sud-ouest. Ce sont les territoires qui ont connu la plus forte adhésion au mouvement des gilets jaunes, car ils ont subi la perte d’industries autrefois florissantes, mais aussi la réduction de l’offre de services publics. Ces phénomènes ont une conséquence très concrète, à savoir le départ de nombreuses personnes, c’est-à-dire un déclin démographique. En politique, les élus des départements comprennent qu’ils doivent agir pour ne pas être emportés par cette vague de mécontentements qui se porte sur des partis situés aux extrêmes de l’arc politique. C’est un autre facteur qui explique la politique d’attractivité de nombreux Départements, plus particulièrement ceux qui n’ont pas une importante attractivité spontanée. Il faut aussi avoir conscience que les territoires qui cherchent à attirer des investissements productifs sont désormais en concurrence avec les autres départements français, mais aussi d’autres régions européennes ou même situées ailleurs. Les constructeurs automobiles qui veulent investir dans de nouvelles installations examinent les atouts des départements du nord de la France, mais aussi celui d'Arges en Roumanie. C’était un territoire industriel sinistré. Ils ont convaincu Renault d’y investir pour remettre Dacia sur pied.
Quels sont les atouts qui favorisent l’attractivité et les handicaps à surmonter ?
S. B. : Le premier atout, c’est l’accessibilité. C’est le plus important. De ce point de vue, les départements situés le long de la « diagonale du vide » qui va de la Meuse jusqu’aux Landes sont mal lotis et les études menées il y a quatre ou cinq ans montraient qu’ils continuent de perdre des habitants au profit des métropoles régionales. Mais la montée en puissance de la question de la « qualité de vie » peut jouer en leur faveur. De nombreux facteurs entrent en jeu : la beauté du cadre de vie, le logement abordable, un rythme de vie moins stressant, l’absence d’embouteillages, un faible niveau d’insécurité… Une étude menée au niveau européen montrait qu’une mauvaise qualité de vie était très associée à un ressenti élevé en matière d’insécurité. Pour attirer et fidéliser des personnes venues d’ailleurs, il y a cependant des incontournables : il faut que ces personnes puissent accéder facilement à des services de santé et à des écoles pour leurs enfants. D’où les efforts des Départements pour attirer des médecins et d’autres professions médicales. Cela explique également les nombreux bras de fer engagés avec les rectorats pour maintenir des classes qui n’accueillent plus que quelques élèves, mais qui pourront être étoffées avec les enfants des futurs habitants. D’où leurs efforts, encore une fois, pour créer des lieux de sociabilité qui assurent une meilleure intégration des nouveaux venus.