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Les effets limités de la transition climatique sur la destruction ou la création d'emplois

Gestion de l'emploi | publié le : 15.11.2023 | Benjamin d'Alguerre

Les effets limités de la transition climatique sur la destruction ou la création d'emplois

Les effets limités de la transition climatique sur la destruction ou la création d'emplois.

Crédit photo Siqarus/Adobe stock

Une augmentation de la taxe carbone de 100 euros la tonne de 2023 à 2030 ne devrait pas être destructrice d’emplois, selon une note du conseil d’analyse économique. Qui recommande cependant un accompagnement fin et ciblé des entreprises et des territoires dans leur transition climatique pour limiter les dégâts, car face à cela, le vivier des emplois « verts » s’annonce limité.

C’est le paradoxe du verre à moitié plein ou à moitié vide. Côté bonnes nouvelles, la transition énergétique ne sera sans doute pas synonyme de destruction massive d’emplois, comme l’annoncent parfois ses détracteurs. Mais, au chapitre des mauvaises, elle ne sera pas non plus créatrice des dizaines de milliers d’emplois « verts » qu’espèrent ses partisans. C’est le constat mi-chèvre, mi-chou que dresse le conseil d’analyse économique (CAE) dans une note publiée le 15 novembre. Pour bâtir leur étude, les économistes-chercheurs François Fontaine, Katheline Schubert et Hélène Ollivier, de la Paris School of Economics et Aurélien Saussay, de la London School of Economics, ont travaillé sur les conséquences d’une taxation nationale de la tonne de CO2 à 100 euros entre 2023 et 2030. Soit le niveau d’imposition à viser pour espérer une réduction de 55 % d’émissions nettes, comme l’impose la loi européenne sur le climat à l’horizon 2030.

Entre 92 000 emplois créés et 167 000 emplois détruits

Selon que le produit de cette taxe soit redistribué ensuite sous forme d’aides aux entreprises ou qu’il soit utilisé pour réduire la dette publique, les conséquences sur l’emploi dans le secteur manufacturier – le seul qui dispose de remontées statistiques suffisantes pour la réalisation de l’étude – varient entre un solde de 92 000 emplois créés (si redistribution) à 167 000 emplois détruits (sans redistribution). Le premier scénario s’accompagnerait d’une augmentation du PIB de 0,3 %, de la consommation de 0,6 % et de l’investissement de 0,5 % tandis que, dans le second, le PIB connaîtrait une chute de 0,75 %, la consommation de 1,2 %, l’investissement de 0,7 % et entraînerait par ailleurs une augmentation des importations (+ 1,1 %).

Les dégâts attendus sont donc mesurés. Le taux de mouvement dans l’emploi suite à une augmentation de la taxe carbone ne devrait pas, selon les prévisions du CAE, excéder les 4,1 % (contre 20 % chaque année dans le cadre des changements d’emploi « naturels »). À titre de comparaison, la seule émergence sur la scène internationale de la concurrence de l’industrie chinoise a détruit 294 000 emplois entre 2000 et 2010. La robotisation de l’industrie, de 1994 à 2014, en a détruit 214 000. Dans ces conditions, « invoquer l’argument des pertes d’emploi pour justifier l’inaction climatique n’est pas valable », conclut Katheline Schubert. Selon les calculs des économistes, répondre aux exigences de la législation européenne sur la transition climatique exigerait un passage progressif à 150 puis 250 euros du montant de la taxe carbone à l’horizon 2030.

Hétérogénéité intra-sectorielle

Avec cependant des réserves. Sectorielles d’abord, car plusieurs activités industrielles risquent d’être touchées par une telle augmentation de la taxation sur les émissions de CO2. Métallurgie, plasturgie, chimie ou transports aériens, tous particulièrement consommateurs d’énergie, risquent d’y laisser des plumes. Sur le plan régional, ensuite, car si les entreprises de la grande façade ouest apparaissent prêtes à s’engager dans une transition climatique poussée par une hausse de la taxation carbone, c’est beaucoup moins le cas des industries vieillissantes et mal préparées du Nord, du Grand Est (Alsace exceptée), du sud de l’Occitanie ou du nord de la Provence, où la casse sociale peut se révéler dramatique. Dans certains territoires, le taux de destruction d’emplois pourrait s’échelonner dans une fourchette de 6 à 21 %. Difficile à envisager dans un contexte où la mobilité des salariés n’est pas au rendez-vous.

En découlent deux recommandations du CAE aux pouvoirs publics : en premier lieu, un affinage des données disponibles sur les émissions de CO2 tenant compte de l’hétérogénéité intra-sectorielle (au sein d’un même secteur, le volume des émissions peut énormément différer d’une entreprise à l’autre, voire d’un établissement à l’autre au sein d’un même groupe), en second, un ciblage des procédures d’accompagnement au plus près des bassins d’emploi.

Les emplois « verts » : 0,5 % de l’emploi total…

Car, revers de la médaille, si l’augmentation de la taxe carbone ne constituait pas la « tueuse d’emplois » contre laquelle les opposants à la politique climatique tirent la sonnette d’alarme, la quantité d’emplois « verts » créés par l’adaptation des activités industrielles à la transition climatique s’annonce limitée. Aujourd’hui, les métiers directement associés à l’adaptation des entreprises aux nouvelles réalités environnementales représentent à peine 0,5 % de l’emploi en France et ne dépassent pas 1 % des emplois dans le monde anglo-saxon. Et les prévisions quant à leur croissance sont faibles. « Au mieux 4 à 5 % de la masse totale des emplois », reconnaît François Fontaine.

Quant aux emplois « verdissants » – ceux qui ne sont pas directement liés à la transition climatique, mais qui y contribuent –, s’ils pesaient 14 % de l’emploi total selon l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte en France – un chiffre que le CAE estime surestimé, car il englobe des professions comme plombier, maçon ou chauffeur de taxi qui, si elles sont occasionnellement concernées par des thématiques écologiques, sont loin de concerner l’ensemble des actifs de ces domaines –, ils demeurent cependant cantonnés à des secteurs manquant d’attractivité comme la fabrication, les transports ou la construction, exigeants en matière de nouvelles compétences et peu rémunérateurs. « On a connu des formes de ‘’primes aux emplois verts’’ il y a une dizaine d’années aux États-Unis, particulièrement dans la rénovation thermique des bâtiments, mais les rémunérations n’ont pas particulièrement augmenté et ont été rattrapées par celles des ouvriers de la construction ordinaires », témoigne Antoine Saussay. Quant à l’offre de formation sur ces nouvelles compétences, « elle existe, mais les candidats ne s’y bousculent pas », poursuit-il.

Dans ces conditions, difficile d’évoquer la piste d’une augmentation de la taxe carbone sans répartition de son produit, mais aussi sans un accompagnement très fin des entreprises. Lesquelles souffrent d’un triple déficit en matière de transition environnementale : d’information, de crédits afin de pouvoir engager les investissements nécessaires, et aussi d’anticipation. « Pour que les entreprises puissent prendre des décisions, il faut qu’elles pensent que les politiques énergétiques sont efficaces. Elles doivent être conscientes que la hausse de la taxe carbone afin que leurs investissements dans la transition ne soient pas incertains », détaille Katheline Schubert. Pédagogie et accompagnement sont au menu des recommandations du CAE aux pouvoirs publics. Associés à un autre besoin : celui d’une cartographie des activités consommatrices de CO2 dans l’ensemble des secteurs de l’économie, et pas seulement ceux des activités manufacturières. Un chantier encore à mener.

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre