Par Martin Richer, directeur de Management & RSE
Trop souvent, les politiques publiques n’atteignent pas leurs objectifs… On s’y habitue. Mais voilà un cas de politique efficace, que tous les managers, professionnels RH et travailleurs ont pu expérimenter concrètement : la réforme du CPF, compte personnel de formation. Elle a si bien réussi qu’elle a fini par coûter plus cher qu’attendu, au point que les pouvoirs publics font leurs meilleurs efforts pour la faire échouer. Avec un succès indéniable !
Changement de public
Le CPF, qui permet aux salariés et aux travailleurs indépendants de disposer d’un crédit formation alimenté annuellement, existait depuis 2015, mais avait du mal à trouver son public. Deux améliorations apportées par la réforme de la formation de septembre 2018, portée par Muriel Pénicaud, alors ministre du Travail, ont changé la donne : la conversion des droits CPF (précédemment gérés en heures) en euros et, surtout, le lancement fin 2019 de l’appli moncompteformation.fr, disponible sur Smartphone, (relativement) conviviale, utilisable 24 heures sur 24. Le nombre d’inscriptions par le CPF pouvait alors décoller : 500 000 en 2019, 1 million en 2020, 2 millions en 2021. Sur un plan plus qualitatif, c’est la composition des bénéficiaires qui marque le succès de la réforme : 80 % sont des ouvriers et des employés, 50 % sont des femmes et 20 % ont plus de 50 ans. C’est donc que le dispositif fonctionne : il atteint les publics visés, les plus éloignés de la formation, ceux que les dispositifs précédents n’arrivaient pas à atteindre, ceux qu’il faut prioritairement aider à sortir du sous-emploi ou des trappes à pauvreté.
Acharnement numérique
Pour contrecarrer cet intolérable succès, nos imaginatifs gouvernants ont commencé par ériger une complexité numérique à l’entrée, en exigeant, depuis fin 2022, l’utilisation de FranceConnect+ pour entrer sur #moncompteformation, un summum de ce que la bureaucratie française fait de mieux, et cela même pour une personne assez au fait des usages numériques. Le fait que l’illectronisme, c’est-à-dire la difficulté à bien utiliser les outils numériques, concerne 17 % de la population française selon l’Insee, soit 13 millions de personnes, surreprésentées parmi les moins qualifiées, n’a aucune importance. Le succès fut immédiat : une baisse de près de 50 % des demandes de formation par le CPF.
Le coup de grâce du reste à charge
Deuxième lame sur le CPF : le Gouvernement a annoncé un « reste à charge », c’est-à-dire une participation financière des salariés. Le montant moyen des formations acquises par mobilisation du CPF atteint 1 400 euros, si bien que ce reste à charge de 30 % évoqué par le Gouvernement placerait sur son utilisateur une charge supérieure à 400 euros, un montant qui peut être très dissuasif pour les salariés en bas de l’échelle des rémunérations. Du point de vue du Gouvernement, il se justifie pour lutter contre les formations « plaisir » ou « inutiles ». Or les études conduites par la Caisse des dépôts (janvier 2021) et par le ministère du Travail avec France compétences (février 2023) vont à l’encontre de ce soupçon : pour l’essentiel, les formations CPF ont été suivies jusqu’au bout, ont porté sur des domaines favorisant l’insertion professionnelle et ont été mises en œuvre dans l’activité de travail. Le capital que nous accumulons sur notre CPF est une assurance contre le risque d’obsolescence des compétences. Alors que nous sommes confrontés à la multiplicité des transitions (numérique, écologique, démographique, territoriale…) qui chamboulent les compétences recherchées, il faut la préserver. Les difficultés de recrutement devraient conduire à une approche plus inclusive du CPF. Le reste à charge devrait être sinon enterré, du moins fortement modulé, de façon à ne pas peser sur le désir de formation des moins qualifiés et des plus éloignés de l’emploi.
Pour aller plus loin : « CPF : Quand l’exécutif s’ingénie à casser son dispositif… sous prétexte qu’il marche ! »