On aurait pu croire qu’en coupant le robinet des financements Opca, la loi Avenir professionnel de 2018 avait éloigné les mouvements sectaires des entreprises. Faux, répond la Miviludes dans son rapport 2022. L’entreprise reste un terrain de chasse pour les sectes, mais les méthodes de pénétration ont changé. Coaching, formation au développement personnel et aux thérapies alternatives ou encore détection des « hauts potentiels » font désormais partie des nouvelles techniques d’approche…
Quel est l'état de la pénétration sectaire dans les entreprises à travers la formation professionnelle?
Miviludes1: Les propositions en matière de formation professionnelle en entreprise ne constituent pas toutes un risque de dérives sectaires. Toutefois, il est à noter que la formation professionnelle peut constituer un moyen pour les groupes sectaires de pénétrer dans les entreprises, soit parce qu’elles sont porteuses de forte valeur ajoutée (données personnelles, etc.), soit parce qu’elles sont prospères.
Une fois pénétrée dans l’entreprise, la formation peut devenir une porte d’entrée vers la thérapie, les soins, des stages à l’étranger réservés aux membres les plus assidus, l’achat de produits (compléments alimentaires, livres, vidéos, etc.), le coaching personnalisé pour les « hauts potentiels », qui sont souvent des prestations complémentaires à la formation. Le coaching personnalisé peut aller jusqu’à 40.000 euros pour quelques séances sur un trimestre. La formation peut également être corrélée à la vente multiniveaux. Il s’agit alors d’acheter des produits ou prestations, de se former à distance, de participer à des séminaires coûteux à ses frais. Les exigences financières sont fortes et répétitives de la part du « réseau ». Ces procédés douteux conduisent à la ruine, au surendettement et à la déstabilisation mentale.
L’absence de reconnaissance légale de formations qui ne sont sanctionnées ni par un diplôme universitaire ni par un diplôme d’État peut induire un certain amateurisme. La Miviludes observe par ailleurs l’émergence de nombreuses formations à consonance médicale qui, à elles seules, ne donnent pas le droit à l’exercice d’une profession de santé. La terminologie rassurante est trompeuse et donne une illusion de sérieux: « Praticiens certifiés, code de déontologie, charge éthique, affiliation à une fédération quelconque, démarche de supervision, possibilité d’ouvrir un cabinet après avoir été formé... » Certaines propositions sont réalisées en entreprise dans le cadre d’un protocole dédié aux « hauts potentiels ».
Par quel biais pénètrent-elles dans les entreprises aujourd'hui? Coaching? Organisation de séance de « team building green » dans des éco-lieux? Wwooffing? Développement personnel? La Miviludes observe-t-elle les évolutions de ces pratiques, et si oui, lesquelles?
M.: Le développement personnel, le développement des talents, des « hauts potentiels» constituent des biais par lesquels les groupes sectaires pénètrent dans les entreprises aujourd’hui.
La fin de la mutualisation des fonds de la formation pour les entreprises de plus de 50 salariés en 2018 (loi Pénicaud) a-t-elle mis un coup d'arrêt à la pénétration des sectes dans les entreprises, lorsqu'elles n'étaient qu'attirées par les ressources de la formation, ou les a-t-elle contraintes à de nouvelles techniques d'approche?
M.: Les groupes sectaires ont revisité leurs techniques d’approche. En effet, les réseaux sociaux constituent aujourd’hui à la fois des espaces d’apprentissage, de discussion, de partage et d’échange. S’y côtoient également une offre et une demande pour l’ensemble de la population, allant des produits de consommation courante à des prestations en ligne. Il convient de noter que toutes les informations disponibles ne présentent pas un risque de dérives sectaires.
Pour la personne en reconversion professionnelle, les formations en lien avec le bien-être représentent l’espoir d’une vie meilleure ou différente, une opportunité de compléments de revenus sans exigence particulière en matière de qualification. Elles offrent la perspective, moyennant une poignée d’heures de formation et/ou quelques week-ends en résidentiel, d’ouvrir un cabinet avec un portefeuille de clientèle.
Certaines pratiques s’avèrent très déstabilisantes, car pour fidéliser la « clientèle » et assurer des séances régulières, les « clients » sont maintenus dans leur thérapie ou formation en ligne. Des groupes de discussion, sur WhatsApp notamment, entretiennent la cohésion de la communauté.
(1) Le conseiller de la Miviludes ayant répondu aux questions d’Info-Social RH a – pour des raisons de sécurité personnelle – souhaité être anonymisé.