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Réduction des coûts-contrats: un "massacre pour certains de nos diplômes"

Apprentissage | publié le : 12.07.2022 | Benjamin d'Alguerre

Thierry Teboul, directeur général de l'Afdas.

Crédit photo DR

Le Festival d’Avignon 2022 est l’occasion pour l’Afdas (Opco du spectacle, de la communication, du tourisme et du sport) d’organiser son premier "Forum de l’inclusion économique dans la Culture et les industries créatives", un événement destiné à présenter des solutions pour rapprocher les publics éloignés de l’emploi d’entreprises désireuses de s’engager dans leur insertion pérenne. Mais l’annonce du rabotage des "coûts-contrats" de l’apprentissage dès septembre prochain pourrait remettre en cause cette dynamique d’inclusion. Explications avec Thierry Teboul, directeur général de l’Opco.

Pourquoi avoir créé ce forum de l’inclusion ?

Thierry Teboul : L’événement a deux objectifs majeurs. Le premier, c’est de prendre date avec le secteur de la culture et des industries créatives et d’accélérer son questionnement sur sa capacité d’inclusion économique. On pourrait considérer que les industries culturelles y contribuent autant que les autres secteurs économiques, mais on constate un recul de la désirabilité et de l’attractivité de ces emplois. Le second objectif, c’est de se donner les moyens d’agir en passant des paroles aux actes. La culture restera un secteur d’inclusion – c’est aussi le cas du sport, d’ailleurs – à condition que ses différentes branches comme le cinéma, la presse, la publicité, les arts de la scène, etc. sachent créer des dynamiques en ce sens.

Le secteur culturel est-il en danger ?

T. T. : Le moment que nous vivons est d’une importance majeure pour beaucoup de nos branches qui doivent se réinterroger sur leurs pratiques en matière d’offre de création. Si on prend l’exemple du cinéma, la fréquentation des salles a baissé de 38 % depuis leur réouverture à l’issue de la séquence Covid. Cette situation s’explique en partie par les nouveaux modes de consommation de production audiovisuelle introduits par les plateformes, mais nous ne pouvons pas non plus exclure le constat que le public ne se retrouve plus dans l’offre existante et qu’il y a urgence à recréer de nouvelles relations entre créateurs, producteurs et diffuseurs. Le Festival d’Avignon est un bon exemple de cette désaffection. L’offre de spectacles est très stéréotypée, sans véritable diversité de contenus, suscitant le sentiment que l'événement relève d'un certain entre-soi peu propice à son ouverture vers de nouveaux publics.

Est-ce le rôle d’un organisme financeur de formation de servir d’aiguillon pour ce genre de problématique qui relève avant tout de la création artistique ?

T. T. : L’Afdas ne s’est jamais considérée comme un simple financeur. Selon moi, dans l’expression "opérateur de compétences", le mot important, c’est "opérateur". Nous avons deux rôles majeurs : celui d’être un incubateur et celui de produire de l’ingénierie afin de permettre à nos adhérents de passer des intentions aux actes. L’Opco peut impulser des politiques de formation, de recrutement, d’emploi… C’est un acteur à part entière de l’inclusion, au même titre que les partenaires sociaux ou l’État. Un exemple : l’une de nos fédérations adhérentes, l’Association des agences-conseil en communication (AACC), qui regroupe les agences de publicité, a mis en place une expérimentation pour diversifier ses recrutements de créatifs afin de produire des publicités correspondant au mieux aux attentes de ceux qui les regardent. Leur stratégie : aller chercher dans les quartiers et les territoires d’outre-mer des personnes dotées de la fibre créative, mais pas forcément formées aux techniques utilisées dans les agences de pub. Dans ce but, les candidats retenus ont pu bénéficier d’opérations de préparations opérationnelles à l’emploi (POE) et les divers organismes de formation mobilisés ont dû adapter les parcours de formation de leur catalogue à l’exigence des agences au lieu de passer par le traditionnel circuit des écoles d’art ou de publicité. C’est le genre d’impulsion que peut donner l’Afdas grâce à l’implication des partenaires sociaux de son conseil d’administration. Des opérations similaires seront bientôt lancées dans le domaine du sport ou du tourisme, d’ailleurs.

La réduction annoncée des niveaux de prise en charge des contrats d’alternance par France Compétences en septembre prochain pourrait-elle mettre en danger cet objectif d’inclusion ?

T. T. : Tout dépendra de la capacité de France Compétences à ne pas massacrer nos diplômes en alternance en rabotant leurs niveaux de prise en charge, mais c’est pour l’instant mal parti ! On parle d’une réduction de 5 % des "coûts-contrats" dès septembre prochain. Mais ce n’est qu’une moyenne. Dans certaines de nos branches, le coup de rabot sera bien plus élevé que ça. Le Théâtre Du Corps Pietragalla Derouault, un CFA qui prépare notamment au métier de danseur par alternance, devrait accuser une réduction de son niveau de prise en charge sur cette formation de 70 % à la rentrée. Autant dire que cet établissement va arrêter l’alternance en septembre. D’autres établissements formant à des métiers artistiques ou dans la communication vont connaître des réductions du même niveau, ce qui signifie qu’à terme, leur recrutement se limitera aux catégories qui pourront payer le prix de la formation initiale. Pour l’inclusion de nouveaux publics moins favorisés dans ces métiers, ce sera une catastrophe ! Cette décision ne fera que renforcer cette culture de l’entre-soi au sein de certaines professions que je dénonçais précédemment. On rencontre des situations similaires dans plusieurs CFA formant des sportifs en alternance. Dans le hand-ball, le niveau de prise en charge doit passer de 5 700 euros par an à 4 000 ! Dans ces conditions, ce n’est pas la peine d’arrêter les aides à l’embauche d’apprentis au 1er janvier prochain : l’alternance dans certains de nos secteurs aura été massacrée bien avant ! C’est un projet très dangereux, contre lequel nos branches sont vent debout. Nous avons jusqu’au 30 juillet pour faire changer France Compétences d’avis.

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre