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Pascal Picault, Fnadir : "Les bons résultats de l’apprentissage justifient l’investissement financier"

Apprentissage | publié le : 17.12.2021 | Benjamin d'Alguerre

Avec 675 000 jeunes en contrat d’apprentissage fin 2021, "la bataille des chiffres a été gagnée et celle de l’image est sur le point de l’être", juge Pascal Picault, nouveau président de la fédération nationale des directeurs de CFA (Fnadir). Qui redoute cependant que la procédure de révision des coûts-contrats lancée par France Compétences ne brise cette dynamique en révisant les prises en charge à la baisse. La Fnadir compte interpeller les candidats à la présidentielle pour les sonder sur l’avenir de cette voie de formation. Entretien.

France Compétences vient de lancer, le 16 décembre 2021, sa procédure de révision des coûts-contrats. Est-ce un risque pour le financement de l’apprentissage ?

Pascal Picault : La Fnadir a participé à tous les travaux lancés par France Compétences sur la mise en place d’une comptabilité analytique des centres de formation d’apprentis (CFA). Nous n’avons jamais vraiment compris dans quelle mesure cette remontée était censée aider à la révision des coûts-contrats. Nous avons posé la question, mais on ne nous a jamais répondu franchement. On sent bien que le sujet est sensible car derrière, se jouent des enjeux qui divisent le conseil d’administration de France Compétences. En revanche, nous pensons qu’il serait dangereux de réviser les coûts-contrats en se basant sur ces remontées 2021 élaborées à partir des données de 2020 recueillies dans un contexte fortement dégradé par la pandémie. Les CFA, concentrés sur la nécessité de poursuivre les cours en distantiel, ont repoussé à plus tard leurs investissements et certains frais de fonctionnement et les chiffres collectés ne révèlent donc pas le « réel » des CFA sur la période. L’année 2021 reste d’ailleurs encore particulière à bien des égards. C’est d’ailleurs initialement pour cela que l’Etat a choisi de repousser la publication du nouveau référentiel des coûts-contrats à l’été 2022.

Au-delà de ça, la Fnadir assume une position claire concernant les coûts de l’apprentissage. 675 000 apprentis sont aujourd’hui engagés dans un parcours de formation. La bataille des chiffres a été gagnée et celle de l’image est sur le point de l’être. Une récente étude de l’association Walt, qui œuvre pour la promotion de l’alternance en France, montre qu’au-delà de la réussite éducative, l’apprentissage contribue aussi au redressement économique de notre pays après la pandémie et à sa compétitivité. Ces bons résultats ne justifient-ils pas un tel investissement financier ? Cela ne veut pas dire qu’il ne faudra pas procéder à quelques ajustements à l’avenir et soutenir plus efficacement les formations sur les métiers en tension par exemple. Sur ce sujet, la Fnadir ne se prononce pas. Une chose est cependant certaine : on ne peut plus aborder désormais l’apprentissage comme avant 2018. Dans le cadre de notre future « primaire de l’apprentissage » - la série de propositions que nous adresserons ces prochains mois aux candidats à l’élection présidentielle – nous les interrogerons sur la pertinence d’une sanctuarisation des budgets de l’apprentissage dans celui de l’Etat.

Que répondez-vous à ceux qui accusent l’apprentissage de se développer au détriment des lycées professionnels ?

P. P. : Je ne pense pas que ce soit à leur détriment. Mais nous devons réfléchir à de nouvelles formes de coopération. Il y a des choses à imaginer sur le bac pro, par exemple. Ouvert aux jeunes dès 16 ans, il dure trois années. C’est long et complique la recherche d’une entreprise d’accueil. Ne peut-on pas imaginer des formules nouvelles pour scinder cette durée sur un mode 2 + 1 ou 1 + 2 ? Il y a sûrement des synergies à trouver, à condition de ne pas oublier ce qui fait la spécificité de l’apprentissage, c'est-à-dire un principe d’alternance entre entreprise et centre de formation. Un stage au bout de six mois de formation, ce n’est pas de l’apprentissage ! L’apprentissage, ce n’est pas qu’une question de financement : c’est un mode d’enseignement qui place l’expérience professionnelle au cœur de la pédagogie. Ce sont des jeunes qui rentrent dans la vie active et que les CFA accompagnent aussi dans leur évolution sociale et citoyenne. Or, tout le monde n’a pas la maturité pour s’engager dans cette voie. D’autres privilégieront la voie scolaire. Au fond, l’élément déterminant, c’est l’orientation. Elle est aujourd’hui à la main de l’Éducation nationale et des Régions. Il faudra y embarquer les entreprises et les branches afin que ces dernières puissent faire reconnaître leurs métiers afin d’y attirer les candidats.

L’apprentissage ne rencontre-t-il pas son succès actuel parce qu’il est largement subventionné ?

P. P. : Je ne pense pas. Un lycéen coûte 10 000 euros par an à la collectivité, un apprenti, 8500… pour l’essentiel payé par les cotisations des entreprises !  L’apprentissage est moins subventionné que le système éducatif traditionnel. Ce dernier est juste privilégié parce qu’il fait partie de l’ADN français depuis des siècles. Mais l’apprentissage correspond mieux à certains publics, comme les jeunes issus des quartiers "politique de la ville" ou ceux en situation de handicap. Il permet par ailleurs de meilleures passerelles entre les bas niveaux et les niveaux supérieurs que le système classique.

Justement. Lors de votre congrès national de décembre, Élisabeth Borne observait que le succès de l’apprentissage était tiré par l’enseignement supérieur. La réforme ne manque-t-elle pas sa cible en ne le développant pas davantage dans les niveaux Bac et infra ?

P. P. : Était-ce l’objectif de la réforme ? Il faudrait le demander aux gens qui étaient aux manettes à l’époque. Il fut un temps où la mauvaise image de l’apprentissage était justement liée au fait qu’il se concentrait sur les plus bas niveaux de qualifications. Aujourd’hui, il appartient aux branches de travailler sur la revalorisation de l’image des métiers manuels pour attirer les candidats. L’enjeu, c’est de trouver un bon équilibre entre CFA et lycées pro en partageant l’objectif collectif de faire monter le niveau d’éducation des jeunes pour aider le redressement du pays. Nous sommes assez complémentaires avec les ambitions du plan « 1 jeune, 1 solution ». Si nous pouvions d’ailleurs récupérer un maximum de jeunes remis en selle via ce plan, ce serait parfait ! La Fnadir a d’ailleurs reçu Thibault Guilluy le haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises à plusieurs reprises à ses évènements. Les entreprises qui s’engagent le plus sur l’apprentissage sont aussi souvent parties prenantes de "1 jeune, 1 solution". C’est cohérent.

Durant la pandémie, les CFA ont dû digitaliser leurs enseignements pour continuer à assurer la formation des alternants. Ce mouvement va-t-il se poursuivre ?

P. P. : C’est un vrai sujet ! Le modèle de l’enseignement digital plaît aux jeunes. Nous devons cependant rester vigilants pour que ce passage au numérique ne se traduise pas par une baisse de la qualité des diplômes ou de l’accès à l’emploi. Evidemment, cette transition interroge aussi le positionnement de nos formateurs qui doivent accepter de passer d’un rôle de "sachant" à une fonction de médiateur. Ce n’est pas toujours facile. En tout cas, le Haut-commissariat aux compétences facilite le déploiement de l’enseignement numérique dans nos établissements avec le programme Deffinum qui met en place des dotations pour les CFA souhaitant s’équiper. Dans le cadre de la réforme, les Opco disposent également de fonds pour permettre d’investir dans de l’équipement à hauteur de 500 euros par apprenti. La Fnadir invite d’ailleurs ses établissements adhérents à pérenniser ces investissements dans le digital, mais attire leur attention sur la nécessité de mettre en place parallèlement un accompagnement humain de qualité pour éviter le décrochage. Quant aux enseignements techniques, ils nécessitent évidemment du présentiel. En revanche, on peut trouver une autre vertu au distantiel, celle de permettre de présenter les métiers proposés au public intéressé. Cela peut être une bonne porte d’entrée pour les premiers niveaux de qualification.

Où en sont les relations des CFA avec les Régions et les Opco aujourd’hui?

P. P. : Avec les régions, les relations sont à géométrie variable. Il y a eu celles qui se sont opposées à la réforme de 2018 qui les privait de la compétence apprentissage mais qui ont fini par comprendre qu’elles n’étaient plus maîtresses du jeu désormais. Elles ont admis qu’elles n’étaient plus qu’un acteur de l’alternance parmi d’autres et reconnaissent que l’apprentissage est un outil de développement économique territorial. Ces régions-là sont entrées dans une phase de concertation avec les CFA de leur territoire pour que ceux-ci se développent. Et il y a celles qui sont restées plus attentistes mais qui sont bien obligées de reconnaître que la réforme est une réussite. Globalement, les régions adoptent aujourd’hui un rôle de partenaire vis-à-vis des acteurs de l’apprentissage. D’ailleurs, en promettant d’instaurer une fongibilité entre les enveloppes financières dédiées aux investissements et au développement, l’Etat les conforte dans cette position partenariale. Côté Opco, l’adaptation aux nouvelles règles a été compliquée mais c’est surtout parce qu’il n’existe pas de système d’information commun aux onze opérateurs de compétences. Pour des CFA qui travaillent avec plusieurs Opco, l’exercice est toujours difficile. Mais nous avons appris à nous parler et à nous comprendre. Bien sûr, des problèmes techniques subsistent. C’est par exemple le cas des apprentis se retrouvant sans entreprises d’accueil que les CFA sont tenus de garder six mois avec le statut de stagiaires de la formation professionnelle. Le changement de statut entraîne des problèmes de gestion avec le système d’information des Opco. Encore pire, si ces jeunes sont réorientés vers d’autres formations en alternance qui dépendent d’un autre Opco que celui d’origine. Faute de S.I commun entre eux, la transition est souvent problématique et entraîne des frais supplémentaires de gestion pour les CFA. La Fnadir a calculé que la gestion de 300 contrats nécessitait un emploi équivalent temps plein. Dans certains grands CFA, cela a nécessité l’embauche de quatre à cinq personnes rien que pour ces opérations de gestion. Et ces frais-là ne sont pas couverts par les coûts-contrats…

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre