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NAO 2015 : une saison de tensions

Entreprise & Carrières | Salaires | publié le : 01.07.2015 | Rozenn Le Saint

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Les derniers employeurs à boucler leur négociation annuelle obligatoire sur les salaires closent un exercice délicat. Des propositions proches de 0 %, mais une embellie qui se profile et des dividendes versés aux actionnaires… Un contexte propice aux crispations.

PSA, Safran, Thales, Sanofi, BPCE, STMicro­electronics… Dans tous les secteurs, les négociations annuelles obligatoires (NAO) ont été tendues cette année, et les salariés ont répondu aux appels à la grève. Pour eux, la crise a le dos large depuis déjà sept ans. « Or sept ans sans être augmenté ou très peu, c’est long », estime Philippe Burger, associé responsable rémunération globale et avantages sociaux chez Deloitte. Alors, quand enfin s’annonce une embellie économique, avec des marges qui se redressent depuis la fin 2014 et des résultats records dans le CAC 40, en progression de 37 % l’année dernière, l’argument de la prudence est difficile à en­tendre.

Embellie économique
D’autant que, « pour les organisations syndicales, l’analyse se fait sur les résultats du groupe, peu importe les résultats en France, même s’ils sont moins bons au niveau national », analyse Philippe Burger. Et il est primordial, pour elles, de saisir l’occasion. Quand, par exemple, Dassault Aviation conclut deux contrats d’affilée pour le Rafale, il n’est pas surprenant que les partenaires sociaux tentent d’arracher une augmentation des salaires plus importante que prévue… Peine perdue. La direction n’a rien lâché, ou presque : 0 % d’augmentation générale (AG) ; 1,4 % d’augmentation individuelle (AI) pour les non-cadres et 1,7 % pour les cadres.

Les actionnaires, eux, ne sont pas oubliés : les sommes qui leur ont été versées sous la forme de dividendes et de rachats d’actions ont fait un bond 30 % l’an dernier, pour atteindre 56 milliards d’euros, selon la lettre spécialisée Vernimmen. Un montant qui frôle le record d’avant crise (57,1 milliards d’euros en 2007). Et ce n’est tout : « Les entreprises vont devoir expliquer ce qu’elles ont fait de l’économie liée au Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et pourquoi elles l’ont peu utilisée pour augmenter les salaires », estime Denis Falcimagne, expert en politique de rémunération au cabinet Entreprise & Personnel.

Malgré la reprise de l’activité et avec, pour le patronat, l’argument tout trouvé de l’inflation – servi sur un plateau par le gouvernement lui-même (lire l’encadré ci-contre) –, les négociations se sont crispées avant même d’avoir commencé. Et pour cause. Les propositions des directions sont généralement proches de 0 %. « Une bonne part de nos clients n’ont pas signé d’accord alors que cela ne leur était pas arrivé jusqu’à présent », constate Philippe Burger. Résultat : des grou­pes qui n’avaient pas l’habitude de faire face à des mouvements sociaux se sont retrouvés avec des piquets de grève devant le siège. « Les résultats étant assez bons, il est difficile de débuter la négociation avec de faibles propositions d’augmentation. Or, c’est ce qu’avaient planifié les entreprises, du fait des prévisions d’inflation comprises entre 0,3 % et 0,5 % », analyse l’expert de Deloitte.

Mouvements sociaux Le 12 mars, 10 000 salariés d’Herakles ont débrayé, selon les quatre organisations syndicales représentatives. La filiale de Safran n’est pas parvenue à un accord, après deux mois de négociations. La CFDT a refusé de signer, pointant les « 450 % d’augmentation des dividendes sur dix ans (+ 7 % en 2014 par rapport à 2013) et les 36,7 millions d’euros de bénéfices en 2014 ». « Il n’y a eu que deux réunions, regrette Jean-Marc Lavoix, le délégué syndical central CFDT d’Herakles. Le cadrage était très serré, la direction voulait que ça aille vite. D’habitude, il y a davantage de discussions. »

La CFE-CGC, elle, était prête à signer l’ultime proposition obtenue le 20 mars, avec une AG de 2,3 % et un minimum d’augmentation de 35 euros par mois. Mais faute d’accord, la filiale du groupe aéronautique a raboté sa proposition initiale (à 2 %) de 0,35 %. Une augmentation de 1,65 % sera donc appliquée, contre 2,75 % l’an dernier. « Un salarié qui perçoit 2 000 euros brut mensuels touchera seulement 8 euros de plus à la fin du mois, alors qu’il aurait eu au moins 35 euros supplémentaires avec l’accord », regrette Philippe Gery, délégué syndical central CFE-CGC d’Herakles.

Pour faire taire la grogne sociale, les directions, qui lâchent peu de lest sur les augmentations collectives, se rattrapent un peu sur les augmentation individuelles. Plus de la moitié des entreprises y ont recourt pour les cadres, selon Deloitte. Ce n’est pas nouveau : le bilan de la négociation collective en 2013, édité par le ministère du Travail, l’a constaté : « Bon nombre de revalorisations salariales se déterminent dorénavant par des négociations individuelles. » Ce qui contribue à « affaiblir le rôle de la négociation obligatoire » et à favoriser la « montée des inégalités de rémunération dans les entreprises ». La tendance devrait se poursuivre. Selon Denis Falcimagne, « les entreprises vont pratiquer une sélectivité plus forte dans l’attribution des mesures individuelles, c’est-à-dire avec moins de bénéficiaires mais des montants plus élevés ».

Répartition au mérite Mais le manque de transparence des AI agace. Au sein du fleuron de l’industrie pharmaceutique Sanofi, la NAO a aussi mené à des grèves : « Avec seulement deux réunions, on ne peut pas appeler cela une négociation, déplore Emmanuel Maingard, coordinateur CFDT de Sanofi. Cela fait deux ans qu’il n’y a pas eu d’augmentation collective. Or les critères des augmentations individuelles ne sont pas clairs ; cela se fait à la tête du client. » Pour les ouvriers, seules les primes ont augmenté de 50 centimes d’euros par mois… Des NAO qui ont eu d’autant plus de mal à passer que Sanofi a récemment signé un chèque de bienvenue de 4 millions d’euros à son nouveau patron, Olivier Brandicourt.

Pour autant, François de Font-Réaulx, DRH France, estime que « les positions de la direction ont été moins dures qu’en 2014. La répartition au mérite est une pratique connue depuis des années pour les cadres. C’est nouveau pour les non-cadres qui, en outre, bénéficient de mécanismes d’automatisme individuels, de primes d’ancienneté, de changements de classification. L’approche a donc été mesurée. » Et d’insister, lui aussi, sur la faible inflation : « Les augmentations individuelles permettent de différencier davantage les collaborateurs dont la performance est au-delà des attentes ou dont la rémunération est en décalage par rapport au marché. Dans un environnement à zéro inflation, l’absence d’augmentation ne doit pas être considérée comme un message négatif », conclut-il. Un message que les managers auront sans doute beaucoup de mal à faire passer auprès des collaborateurs concernés…


Des négociations dans l’ombre de l’inflation

La faiblesse de l’inflation avait été peu anticipée l’an dernier, les salaires ayant, en moyenne, été augmentés de 1,4 % en euros constants dans les entreprises de dix salariés et plus, selon le ministère du Travail, alors que l’inflation plafonnait à 0,5 %. Le pouvoir d’achat en est sorti gagnant.
Alors, pour 2015, l’excuse est toute trouvée pour proposer des budgets d’augmentation extrêmement serrés : le spectre de la déflation a dirigé les NAO. Pierre Gataz, patron du Medef, a d’ailleurs préconisé de se « caler par rapport à l’inflation, juste un peu au-dessus », avec la bénédiction du gouvernement socialiste. En décembre 2014, le ministre des Finances Michel Sapin avait appelé les entreprises à ne pas augmenter les salaires trop vite. D’ailleurs, à l’exception de 2012, le gouvernement lui-même n’a plus donné de coup de pouce au Smic depuis 2007…Entreprise & Personnel souligne qu’« aujourd’hui, par exemple pour la population des cadres en fin de carrière, en moyenne, le salaire en euros constants est 2,5 fois plus élevé qu’en début d’activité. Pour parvenir à cette évolution, il faut 2,2 % d’augmentation par an pendant 42 ans. La situation économique ne permet plus de le faire actuellement », assure Denis Facimagne.Selon le cabinet Deloitte, les enveloppes d’augmentation devraient finalement s’établir à 1,85 % pour les non-cadres et à 1,9 % pour les cadres, contre 2 % en moyenne l’an dernier. ♦

Auteur

  • Rozenn Le Saint