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« Mettre en débat l’évaluation ne nuit pas au dialogue social »

Entreprise & Carrières | Salaires | publié le : 15.06.2016 | Violette Queuniet

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Reconnaître et évaluer le contenu du travail n’est pas la même chose que d’évaluer la qualité du travail d’une personne. S’appuyer sur des dispositifs de rémunération clairs, cohérents et co-construits avec les organisations syndicales est très efficace pour la gestion sociale.

E & C : Les deux leviers de la rémunération que sont la classification et l’appréciation individuelle doivent, selon vous, être considérés à part égale. Pourquoi ?
Philippe Denimal : Il y a un enjeu important à équilibrer la politique de rémunération, mais il faut aussi permettre aux différents acteurs de disposer des bons outils en fonction de ce qu’ils évaluent. La classification reconnaît le contenu du travail et fixe un minimum salarial, l’appréciation individuelle reconnaît la manière de travailler d’une personne et conduit à une part salariale supplémentaire. L’une n’est pas plus importante que l’autre, mais il faut qu’elles soient très complémentaires. Cette distinction-là n’est pas toujours bien faite, aussi bien dans les rangs syndicaux que dans les rangs des employeurs. Or ce sont deux formes d’évaluation très différentes. Mélanger les deux notions aboutit à la confusion, parfois à dessein pour noyer le poisson et passer rapidement sur des sujets sensibles.
 
Quel est le paysage de la classification en France ? Le Code du travail impose de réexaminer les classifications tous les cinq ans. Est-ce vraiment le cas ?
Il existe une classification dans chaque convention collective : c’est d’ailleurs une nécessité pour qu’elle soit étendue. Lorsque les salariés sont rattachés à une convention collective, ils entrent dans le cadre d’une grille de classification. Et certaines entreprises se dotent d’une classification interne plus favorable que la grille conventionnelle. La seule obligation est le réexamen, sans aucune sanction s’il n’a pas lieu. On fonctionne donc encore souvent avec des classifications anciennes, revues éventuellement par des avenants cosmétiques mineurs signés au fil du temps. Généralement, c’est la partie employeur qui engage une révision de classification au niveau des branches. Les négociations s’engagent alors pour plusieurs mois, sinon plusieurs années, parce que c’est un travail de longue haleine.
 
Au niveau de l’entreprise, quel intérêt y a-t-il à ouvrir des négociations pour revoir la grille de classification ?
Les négociations d’entreprise naissent dans deux cas. Premier cas : la DRH juge que la convention collective est insuffisante ou insatisfaisante en l’état et il souhaite aboutir à une grille interne.
Deuxième cas : la grille conventionnelle est pertinente, mais la DRH veut faire mieux, car elle juge que c’est un thème de négociation utile, intéressant, qui va permettre un dialogue fructueux avec les organisations syndicales, et aux salariés de se voir évalués de manière satisfaisante. C’est le cas des DRH qui sont dans une logique socialement avancée. Dans ce genre de situation, les OS sont plutôt favorables à cette idée de négociation, évidemment.
 
N’y a-t-il pas un risque pour les DRH à ouvrir de telles négociations ?
Sur un thème aussi sensible que les salaires, le premier réflexe pourrait être, en effet, de ne pas s’engager dans cette voie. En fait, lorsqu’on se lance dans la révision de grilles de classification, on s’attaque d’abord à des choses extrêmement techniques. Avant même d’évaluer les emplois, il faudra se poser un certain nombre de questions méthodologiques : qu’entend-on par emploi ? Va-t-on s’orienter vers des emplois repères ? Ou bien regarde-t-on les emplois réellement effectués dans l’entreprise ? Se tourne-t-on vers la reconnaissance de compétences ? Quelle est la maille utile pour décrire les emplois ?, etc. À toutes ces questions, il n’y a pas une réponse syndicale et une réponse patronale. Il y a une réponse commune sur ce qu’il semble juste de prendre en compte pour améliorer le système existant. Et c’est la même chose à chaque étape du travail : pour définir avec précision les degrés dans les critères classants comme pour définir la méthode d’évaluation. Tout le monde parvient, sur ces points techniques, à se mettre d’accord relativement facilement. Tout ce travail peut donc se faire en bonne intelligence avec les organisations syndicales et permet même d’établir un dialogue apaisé entre partenaires sociaux. Au final, je dirais que c’est une démarche assez lourde, mais peu risquée, car elle aboutit presque toujours à une signature.
 
L’autre levier de la rémunération, l’appréciation individuelle, repose sur l’entretien annuel avec l’encadrant hiérarchique. Or cet entretien est de plus en plus décrié et certaines entreprises l’abandonnent. Qu’en pensez-vous ?
La seule question qui vaille est : voulez-vous continuer à pratiquer des augmentations individuelles ? Si la réponse est oui, il faut bien les fonder sur quelque chose : sur l’appréciation des encadrants, qui connaissent très bien le travail de chacun dans l’équipe ? C’est juste, mais alors, formalisons ! Pourquoi le faire de manière déguisée ou occulte ? La transparence est nécessaire, précisément pour ne pas alimenter rumeurs et mécontentements sur la validité de l’évaluation. Un salarié a simplement besoin qu’on lui dise qu’il est efficace dans son travail et sur quels points il pourrait s’améliorer. Les salariés ont une vraie attente vis-à-vis de l’entretien individuel. Si beaucoup en sont mécontents, c’est parce qu’il est souvent conduit comme un entretien-sanction. Or, ce n’est pas son rôle. S’il y a une insuffisance, ce n’est pas au moment de l’entretien annuel qu’il faut la traiter, il faut le faire dès qu’elle apparaît. C’est une question de management. L’entretien annuel, c’est la progression, le perfectionnement, l’évolution, il doit être dynamique pour bien vivre et avoir du sens.
 
Qu’est-ce qu’une bonne évaluation individuelle ?
Il existe de nombreuses bonnes pratiques que j’évoque dans mon dernier ouvrage. Ce qui me paraît très important, c’est l’organisation de l’anti-mise en concurrence des salariés dans le cadre de l’appréciation individuelle. Ce n’est pas sous prétexte d’apprécier individuellement le travail et les performances des salariés qu’il faut encourager la compétition à tout va ! L’alchimie consiste ici à articuler astucieusement les contributions personnelles et les coopérations avec les collègues, qui sont nécessaires et d’ailleurs indissociables, sans quoi des effets délétères ne manquent pas de se produire. Associer les organisations syndicales à la définition des indicateurs d’évaluation me paraît là aussi judicieux et avisé.
 
Parcours
> Philippe Denimal, sociologue du travail, anime la structure de conseil en GRH qu’il a créée en 1996. Il intervient pour le compte de branches professionnelles, de grands groupes ou de PME.
 
> Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les rémunérations parmi lesquels
Les classifications professionnelles (PUF, Que sais-je ?, 1996) et il vient de publier Rémunération et reconnaissance du travail (éd. Entreprise & Carrières, juin 2016).

Auteur

  • Violette Queuniet