Les seniors accèdent moins à la formation en entreprise que les générations plus jeunes. Par ailleurs, la standardisation des contenus pédagogiques ne prend souvent que rarement compte de leurs expériences professionnelles passées. Explications avec Catherine Delgoulet, professeure du Cnam, titulaire de la chaire d’ergonomie, responsable nationale du master d'ergonomie et directrice du GIS-CREAPT (Centre de recherche sur l'expérience, l’âge et les populations au travail).
Seulement 45 % des plus de 50 ans et 35 % des plus de 60 ans accèdent à des formations régulières. Comment l’expliquez-vous ?
Catherine Delgoulet : Il est vrai que globalement, les seniors se forment moins dans les entreprises que les autres catégories de population. Bien entendu, il existe des variations en fonction d’un certain nombre de dimensions, notamment la catégorie socioprofessionnelle. Un cadre de 60 ans a plus de chance d'accéder à la formation qu'un ouvrier en début de carrière par exemple, et d’autres critères entrent en jeu, comme le secteur professionnel, le niveau de formation initial, la taille de l’entreprise… Mais effectivement, nous observons une décroissance plus ou moins brutale de l’accès à la formation, avec l’avancée en âge. Dans une étude que nous avions réalisée, environ un tiers des personnes déclaraient que leurs employeurs leur avaient refusé des formations. Mais étrangement, la VAE n’est pas non plus majoritairement mobilisée par les plus âgés, elle concerne plutôt des trentenaires ou quarantenaires. De plus, ce que l’on observe est que nombre de dispositifs ne sont pas conçus pour développer les apprentissages des seniors.
C’est-à-dire ?
C.D. : Les méthodes de formation sont rarement articulées avec les acquis antérieurs. La possibilité de mobiliser ou de remobiliser ses acquis est rare. Dans bien des cas, la formation part d’une « tabula rasa », on demande aux personnes d’oublier ce qu’elles savent déjà, ce qui est désagréable et les met en difficulté. Parfois, on forme même en se référant à des situations de travail qui n’existent pas. Ceux qui ont une expérience, surtout l’expérience du domaine dans lequel ils continuent à se former, peuvent ainsi se sentir piégés. J’ai l’exemple d’une formation à la maintenance sur un produit que l’on doit remplacer en cas de panne, et sur lequel on ne fait justement pas de maintenance, ce que savaient les stagiaires expérimentés… C’est très déstabilisant. Le fait d’essayer de remobiliser en formation une expérience quand les formateurs s’échinent à demander de l’oublier, ça coince. D’autant plus quand la formation ne dure que quelques heures ou quelques jours.
Vous posez aussi la question de la standardisation des formats…
C.D. : Oui, les formations sont souvent très standardisées, avec des durées plus courtes et qui ne prennent pas en compte le fait que plus on avance en âge plus on se distingue de son voisin du même âge, du point de vue des expériences. On peut de moins en moins penser en termes de moyenne. Une modulation pourrait être envisagée, on sait que certaines entreprises le font déjà, dans des domaines de formation très techniques.
Mais pour vous, le développement de formations « spéciales » pour les seniors n’est pas non plus la voie à suivre…
C.D. : On se rend compte que, comme sur les sujets de vieillissement au travail en général, si l’on cloisonne, que l’on fait des ghettos, que l’on discrimine, c’est improductif, à la fois pour le bien-être et l’harmonie, pour le « travailler ensemble ». Mais aussi parce que l’évolution des connaissances doit se construire au cours de la carrière et pas juste à un moment donné. Dire « c’est à tel âge que l’on doit apprendre ou faire cela » a rarement du sens. Certaines personnes, à 50 ans ou plus, sont en difficulté dans des formations, d’autres non. Les mettre ensemble n’a donc pas de sens. L’idée serait plutôt de moduler, de distinguer plutôt que de discriminer, de décloisonner plus que de cloisonner. Ce n’est pas une histoire d’âge, mais de ce que l’on a vécu, et de la manière dont on a pu tirer des enseignements de ce vécu. Un autre élément déterminant est le contexte dans lequel on arrive en formation. Est-elle imposée ? Volontaire ? Et est-elle bien programmée dans le temps ou annoncée dans l’urgence, ce qui peut créer des inquiétudes et des incertitudes sur l’évolution de son poste ?
L’allongement de la durée du temps de travail va-t-il pousser les entreprises à prévoir plus de formations ?
C.D. : On constate que, dans les années 1990, le « non-accès à la formation » intervenait plus tôt. Ce mouvement de recul va se poursuivre, mais on aura toujours un delta en fin de carrière et cela ne changera pas la physionomie de la courbe. Je ne suis pas du tout sûre que les entreprises soient focalisées sur la question de la formation actuellement. Celles que je connais sont plus inquiètes sur la pénibilité, sur la façon dont elles vont faire « tenir » les personnes trois ans de plus dans l’emploi. C’est vrai dans l’industrie, mais aussi dans les services à la personne par exemple. Nous sommes actuellement sollicités par des entreprises sur ce thème de la pénibilité, elles sont inquiètes d’une réforme qui risque de se faire à marche forcée, sans traiter cette question en profondeur.