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Travail, emploi, formation : l’Institut Montaigne tire le bilan des années Macron

Marché de l'emploi | publié le : 30.09.2021 | Benjamin d'Alguerre

Fusion des IRP, « barémisation » prud’hommale, RCC, APC, réformes de l’assurance-chômage, de la formation et de l’apprentissage, PIC… Dans le cadre du bilan « Quinquennat Macron : le grand décryptage »[lien ci-dessous], deux senior fellows de l’Institut Montaigne, Franck Morel* et Bertrand Martinot** dressent l’inventaire des succès, échecs et résultats mitigés des politiques travail-emploi-formation engagées depuis 2017.

Le quinquennat s’est ouvert en fanfare avec un bouleversement des instances représentatives du personnel (IRP) dans les entreprises. Avec le recul, était-ce une bonne idée de fondre CE, CHSCT et DP au sein de cette instance unique qu’est le CSE dont on entend dire qu’il aurait amoindri la qualité du dialogue social ?

Franck Morel : Tout d’abord, rappelons que l’idée d’une instance unique de représentation du personnel ne date pas des ordonnances de 2017. Dès 1993, les PME avaient la possibilité de constituer une délégation unique du personnel (DUP) et la loi Rebsamen sur le dialogue social d’août 2015 en avait élargi le champ au CHSCT. La portée de ces dispositions était limitée car la DUP était une juxtaposition d’instances plutôt qu’une fusion. Dans les entreprises qui ont adopté ce modèle, élus et RH pouvaient passer d’une réunion « en mode CE » à une réunion « en mode CHSCT » ou DP. Cela créait surtout de la confusion. Avec le CSE, qui concerne toutes les entreprises, les acteurs sociaux n’ont rien perdu de leurs prérogatives et surtout, le distinguo entre instance de représentation (le CSE) et instance de négociation (les délégués syndicaux) est restée. Avec le recul, on constate d’ailleurs que très peu d’entreprises se sont engagées dans la création d’un conseil d’entreprise, qui fusionne les deux. Sans doute à cause des nombreuses questions soulevées par le fonctionnement d’une telle instance.

La crise pandémique n’a-t-elle pas révélé l’absence d’une instance spécialement dévolue aux questions de santé et de sécurité comme l’était le CHSCT?

F. M. : Non. Le CSE permet de rendre les thématiques économiques et sociales encore plus interdépendantes que dans l’ancien modèle. C’est sa force et il appartient aux acteurs de s’en saisir. On a pu le constater lors de la première année de fonctionnement des CSE. Sur certains sujets liés à la santé, comme les risques psychosociaux, c’est peut-être même le CHSCT qui a « mangé » le CE plutôt que l’inverse !

On constate que la « barémisation » des indemnités prud’homales n’a pas fait cesser significativement le nombre de recours et a même suscité une levée de boucliers des cours d’appel qui revoient largement les décisions de première instance à la hausse. Cela traduit-il l’échec de cette partie des ordonnances?

F. M. : Si on fait le bilan à quatre ans de cette réforme, on constate tout de même que la réduction de la conflictualité et des contentieux prud’homaux, qui avaient déjà diminué avec la loi Macron de 2015, se poursuit. Le barème a-t-il contribué à renforcer cette tendance? J’ai tendance à penser qu’il a pu jouer un rôle en ce sens. Côté cour d’appel, le feuilleton jurisprudentiel suscité par leur opposition à la barémisation des indemnités n’est sans doute pas terminé, mais je remarque que les décisions de cassation vont, elles, dans le sens des ordonnances.

Ces nouveaux dispositifs que sont les ruptures conventionnelles collectives (RCC) et les accords de performance collective (APC) ont-ils trouvé leur place dans l’arsenal des DRH ?

F. M. : Selon les chiffres disponibles au 21 décembre 2020, on comptait 234 dépôts de demandes de mise en place de ruptures conventionnelles collectives d’entreprises auprès des Direccte [aujourd’hui Dreets] dont 164 validés par l’Inspection du travail. C’est peu. Il faudra voir ce qu’en font les entreprises sur la durée. Mais l’objectif n’était pas d’en faire un dispositif massif, mais de donner aux entreprises un outil de GPEC et de sécurisation juridique des plans de départs volontaires. Même constat pour les APC : l’usage est pour l’instant limité, mais l’effet est à observer dans la durée. L’inconnue pour les temps à venir, c’est la capacité des TPE à s’emparer du dispositif. L’un des enjeux de la réforme de la négociation d’entreprise était de permettre aux très petites entreprises de pouvoir, elles aussi, pratiquer le dialogue social à travers des mécanismes adaptés. Pour l’instant, le bilan est en demi-teinte : même si ça augmente doucement, beaucoup ignorent encore les possibilités que leur offrent les ordonnances. Je suis optimiste cependant.

Quel bilan tirez-vous de la réforme de l’assurance-chômage?

F.  M. : L'élargissement de l’indemnisation-chômage aux travailleurs indépendants et aux démissionnaires est un échec. On projetait 20.000 indépendants indemnisés chaque année, on n’en compte que quelques centaines… Les chiffres sont aussi faibles pour les démissionnaires. Le récent rapport du député Dominique Da Silva (avril 2021) préconise un élargissement des critères pour l’indemnisation des indépendants et c’est sans doute un chantier à rouvrir. Je ne suis pas sûr qu’il le faille pour les démissionnaires, vu que la réforme générale de l’assurance-chômage a pour objectif de réduire les périodes sans emploi et vu l’existence de plusieurs possibilités d’accès à l’indemnisation pour les démissionnaires dans les règles antérieures. Sur les autres mesures, en revanche, le bilan peut s’annoncer plus positif mais il est en devenir : il est évidemment difficile de parler du nouveau calcul du salaire journalier de référence (SJR) puisqu’il ne devrait rentrer en vigueur qu’en octobre et que le Conseil d’État doit toujours se positionner. À titre personnel, je pense qu’il validera ces règles, mais je n’ai aucune assurance là-dessus à ce stade. Le projet porté est positif : il n’est pas normal qu’une personne en situation de permittence, alternant contrats courts et périodes sans emploi, puisse toucher davantage au chômage qu’au travail. Je fais également partie de ceux qui pensent que cette réforme du SJR ne réduit pas les droits des demandeurs d’emploi puisqu’outre l’impact sur la reprise d’emploi, si l’indemnisation mensuelle est revue à la baisse, la durée d’indemnisation est en revanche allongée dans le temps. Concernant le bonus-malus, le résultat n’est pas concluant. Les difficultés d’application et échanges ont abouti à un texte édulcoré et, de fait, expérimental, ne portant que sur un nombre de secteurs restreints (sept). Par ailleurs, la nécessité de disposer d’une période de mesure d’un an ne rendra la mesure applicable concrètement que de septembre à novembre 2022… pas de quoi en tirer un bilan. À voir si le Gouvernement en place à ce moment-là poursuivra cette mesure. De la même manière, il est trop tôt pour mesurer les effets de la dégressivité des allocations des plus hauts revenus sur le taux de chômage, ce dispositif n’étant entré que récemment en vigueur même si, contrairement à ce que je lis parfois, les précédentes expériences sont concluantes en faveur de cette forme de dégressivité sur un seul palier élevé.

La mise en place de l’index de l’égalité hommes-femmes a-t-elle bousculé les pratiques de rémunération des entreprises ?

F. M. : Oui. Depuis les années 1970, on comptait une quinzaine de lois qui imposaient plutôt des obligations de moyens alors que l’index impose une obligation de résultat associé à des sanctions – financières ou de type « name and shame » – pour les entreprises qui ne s’engagent pas dans la parité salariale. Les premiers résultats sont déjà là.

Sur l’emploi des jeunes, pensez-vous que les mesures adoptées durant ce quinquennat ont été dans le bon sens? Les emplois francs ont-ils rencontré le succès?

F. M. : Le bilan des emplois francs est clairement en demi-teinte. Le taux de chômage des jeunes (23 %) est toujours important. Il y a sans doute de nouveaux modes d’incitation à inventer pour convaincre les employeurs d’embaucher des jeunes issus des quartiers populaires. En revanche, les mesures prises dans l’urgence lors de la crise sanitaire ont été dans le bon sens. La mise en place d’une aide à l’embauche pour les employeurs d’apprentis au cours de la séquence Covid a permis aux entreprises de ne pas lâcher prise sur l’apprentissage. Sans cela, la situation aurait pu être désastreuse.

Quid des mesures prises dans l’urgence de la crise (télétravail et activité partielle). Ont-elles été à la hauteur de l’enjeu?

F. M. : Oui. Les ordonnances de septembre 2017 contenaient justement des dispositions pour favoriser le télétravail, passées assez inaperçues à l’époque. Mais les assouplissements à ce type de travail à distance qu’elles abritaient ont permis la facilitation de la mise en œuvre du télétravail au moment de la pandémie. Maintenant, il va falloir observer comment le travail à distance va se développer après une crise pendant laquelle on est passé de 7 % de télétravailleurs réguliers à 30 % dans le pic de la pandémie. Le télétravail va devoir trouver sa juste place dans les entreprises. Quant à l’activité partielle, il était absolument nécessaire de la mettre en place pour maintenir les emplois et les compétences. L’expérience de la crise de 2008-2009 nous a instruits sur la capacité de nos voisins outre-Rhin à utiliser efficacement des dispositifs de ce genre. Au cœur de la crise, on a enregistré plus de 8 millions de salariés en chômage partiel. Aujourd’hui, cela oscille entre 1 et 2 millions et les perspectives permettent au Gouvernement de mettre fin au « quoi qu’il en coûte ». Il est temps que les entreprises et les salariés commencent à se « sevrer » de l’activité partielle.

Venons-en au bilan des mesures relatives à la formation professionnelle. Au 31 décembre 2020, la Caisse des dépôts recensait plus d’1,2 million d’achats de formation par le biais du CPF pour près d’1,4 milliard d’euros. Le CPF monétisé a-t-il pris auprès du grand public?

Bertrand Martinot : Sur le plan purement volumétrique, le succès du compte personnel de formation est indéniable. En revanche, l’usage qui en est fait par les individus démontre que le CPF achoppe sur les questions d’orientation des salariés qui ignorent quels métiers embauchent et quelles passerelles existent entre les métiers. Le CPF est un objet suffisamment volumineux pour être devenu intéressant, mais insuffisant pour engager une vraie reconversion professionnelle ou une formation de plusieurs centaines d’heures, qui doit nécessairement se dérouler au moins en partie sur le temps de travail. Cela nécessiterait des cofinancements des entreprises mais, hélas, celles-ci ont pris Muriel Pénicaud au mot lorsqu’elle affirmait que « le CPF n’était pas l’affaire de l’entreprise ». Résultat : elles n’abondent pas, comme le faible nombre d’accords passés en ce sens nous l’indique. C’est d’autant plus regrettable que les entreprises de plus de 50 salariés qui ont perdu l’accès aux fonds mutualisés de la formation pourraient y recourir pour intégrer une politique du CPF dans leur stratégie de formation. Absence d’abondements et difficultés de l’utiliser pendant le temps de travail sont les deux grands échecs du CPF.

Le « TOP 5 » des formations achetées par les particuliers avec leur CPF (permis B, tests de langues…) ne va pas vraiment dans le sens de la construction de la « société des compétences » à laquelle appelait Muriel Pénicaud lors du lancement du dispositif. Du coup, les partenaires sociaux, dans leur bilan de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », ont-ils raison de vouloir soumettre les achats de formations « hors-RNCP » à l’autorisation préalable du conseiller CEP?

B. M. : Le CPF repose sur le principe du droit de tirage. Le contingenter serait contradictoire avec son caractère individuel. Aujourd’hui, le CPF permet d’accéder aux formations du RNCP, au bilan de compétences ou à un parcours de création d’entreprise… c’est déjà conséquent et il ne faudrait pas sur-bureaucratiser l’usage de ce droit au risque de le voir s’écrouler, mais au contraire imaginer des incitations aux entreprises à abonder. Peut-être en identifiant un certain nombre de métiers en tension sur lesquels les Opco mettraient en place une politique d’abondement. Techniquement, rien ne l’empêche aujourd’hui, sauf la désorganisation des branches. Pour quelques branches structurées comme l’IUMM, combien ne disposent même pas de référentiels d’activité et de compétences de leurs principaux métiers ? C’est d’ailleurs ce qui explique que d’autres dispositifs de la réforme comme la Pro-A ne décollent pas.

Le cap symbolique des 500.000 apprentis a été franchi cette année. Cela donne-t-il raison au Gouvernement d’avoir retiré la gestion de l’apprentissage aux Régions pour le confier aux branches ?

B. M. : Comme pour le CPF, si l’on s’en tient aux volumes, difficile de nier que la réforme a porté ses fruits. Maintenant, si l’on regarde davantage dans le détail, c’est plus tangent. La réforme n’a pas véritablement été confiée aux branches : la plupart se sont contentées de fixer des coûts-contrats – par ailleurs très généreux – mais ne se préoccupent pas de l’écosystème de l’apprentissage là où les Régions tenaient compte des besoins d’insertion des jeunes, travaillaient avec les réseaux de missions locales ou les acteurs associatifs, et avaient plutôt tendance à privilégier l’ouverture de sections d’apprentissage menant à des diplômes de type CAP, bac pro ou BTS. En réalité, les chiffres nous montrent que l’apprentissage se développe surtout dans le supérieur (avec un coût moyen par diplôme de 2.000 à 3.000 euros plus élevé que pour les autres formations). Les gagnants de cette réforme sont donc les facs, en recherche perpétuelle de fonds, et les réseaux de grandes écoles sous fortes contraintes financières. Mais la bascule attendue entre lycées pro et CFA, en revanche, n’a pas eu lieu. Le nombre d’apprentis dans les niveaux inférieurs a globalement stagné – si l’on tient compte de l’effondrement parallèle du contrat de professionnalisation par effet de vases communicants – mais l’utilisation massive de la taxe d’apprentissage pour subventionner les cursus d’étudiants des grandes écoles est un vrai sujet.

Le plan d’investissement dans les compétences a-t-il atteint ses objectifs?

B. M  : Il est trop tôt pour le dire. Le PIC est une bonne idée dans l’ensemble, mais il est dommage que l’on n’ait pas profité de sa mise en œuvre pour organiser un partage des compétences territoriales entre État et Régions. Le PIC est une initiative centralisée, comme le prouve la multiplication des appels à projets émis depuis Paris, et qui exige en outre un reporting bureaucratique important de la part des territoires. J’en ai fait l’expérience lorsque j’étais directeur du développement économique, de l’emploi et de la formation de la Région Île-de-France. À un moment, il faudra trancher : soit on considère que les Régions sont compétentes pour faire le job et on leur laisse davantage de marges d’action et de moyens, soit on les en considère incapables et on re-étatise tout ! Globalement, avec le « quoi qu’il en coûte », la formation est comme noyée sous l’argent. Il n’y a jamais eu autant de fonds pour les demandeurs d’emploi. Le vrai problème, c’est le ciblage. Le PIC est orienté sur les jeunes et les chômeurs de longue durée peu qualifiés, mais il devrait être étendu à d’autres populations, par exemple les seniors.

*Franck Morel est avocat en droit social associé au sein du cabinet Flichy-Grangé. Entre 2009 et 2012, il a été membre des cabinets des ministres du Travail Xavier Bertrand, Brice Hortefeux, Xavier Darcos et Éric Woerth et conseiller social du Premier ministre Édouard Philippe de 2017 à 2020

**Bertrand Martinot est économiste et directeur du conseil en formation et développement des compétences chez Siaci Saint-Honoré. Conseiller du social de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2008, il a été DGEFP entre 2008 et 2012, puis directeur général adjoint des services chargé du Développement Économique, de l’Emploi et de l’Apprentissage de la Région Île-de-France de 2016 à 2019.

 

« Quinquennat Macron : le grand décryptage » ;https://www.institutmontaigne.org/publications/quinquennat-macron-le-grand-decryptage

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre