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Recrutement : et si les entreprises se trompaient de cible ?

Marché de l'emploi | publié le : 02.05.2024 | Gilmar Sequeira Martins

Group of human resources managers reading cv resume before interview candidature on free vacancy.

Ce baromètre pointe les conséquences du fonctionnement passé du marché du travail et des comportements des entreprises qui, aujourd’hui, deviennent des obstacles majeurs au recrutement.

Crédit photo Prathankarnpap/Adobe Stock

Les recruteurs sollicitent-ils les bonnes personnes, celles qui seraient les plus enclines à candidater et qui pourraient le mieux les satisfaire grâce à leur motivation ? Rien n’est moins sûr selon le premier baromètre du rapport au travail publié par l’EM Normandie.

Et si les entreprises souffraient surtout d’un manque de… candidatures ? L’hypothèse peut sembler iconoclaste à l’heure où de plus en plus de structures indiquent une augmentation des difficultés de recrutement, mais est-elle pour autant dénuée de tout fondement ? Le premier baromètre du rapport au travail publié par l’EM Normandie1, en collaboration avec Actual Group, permet d’effectuer une première vérification. D’emblée, les auteurs du document rappellent que « la tension sur le marché du travail prend des formes de plus en plus confuses ».

De fait, tandis que nombre d’entreprises « désespèrent de trouver les compétences dont elles ont besoin », autant de candidats « s’estiment écartés d’emplois pouvant leur correspondre [tout en étant régulièrement] sollicités pour des postes qui ne leur conviennent pas »… L’étude souligne comme emblématique de cette situation la crise du recrutement à la RATP, qui a atteint son pic au printemps 2023. Elle postule sans ambages que « là où les entreprises croient manquer de candidats, ce sont en réalité les candidatures qui manquent ».

Niveau d’employabilité et de confiance

Mené en janvier 2024 auprès d’une cohorte de 198.000 personnes avec un questionnaire en ligne, le baromètre du rapport au travail de l’EM Normandie est construit sur une méthode inédite croisant deux axes :

  • le premier mesure les ressources individuelles que peuvent mobiliser les individus pour accéder à un emploi et s’y maintenir, autrement dit leur degré d’employabilité ;
  • le second mesure leur niveau de confiance, c’est-à-dire leur rapport au futur, qui peut aussi bien être générateur de nouvelles opportunités que de crainte de déclassement.

Le graphique construit à partir des données recueillies auprès de la cohorte constituée par la chaire compétences, employabilité et décision RH de l’EM Normandie montre que près de la moitié de la population active (45,9 %) peut être classée comme « stable » en matière d’employabilité. Pour la plupart en CDI et résidant dans les zones urbaines, ces actifs disposent au minimum d’un Bac + 2. Leur degré de confiance va dépendre de leur âge.

L’étude note que la limite d’âge qui sépare les pessimistes des optimistes est étonnamment basse, puisqu’elle se situe à… 39 ans. Les auteurs en concluent que « même chez des individus très diplômés, objectivement très employables, s’approcher de la quarantaine signifie perdre en attractivité pour un employeur potentiel et redouter un lent déclassement ».

Soulignant le caractère « instable » de la position de cette catégorie de la population active, l’étude précise qu’il suffit d’un « petit perturbateur comme l’avancée en âge » pour faire passer ces actifs « de la confiance à la défiance puis de l’engagement au désengagement ». En résumé, ces actifs « recherchent la protection du CDI et redoutent de la perdre ».

Cette « perte de motivation et de confiance en l’avenir » réduit la propension à postuler. Facteur aggravant, la taille même de cette catégorie d’actifs tend à se réduire sous l’effet de la croissance d’autres formes juridiques et du fait de sécession d’une partie de ses membres qui souhaitent plus d’autonomie tout en espérant augmenter leurs revenus. Or c’est précisément parmi eux que les entreprises recherchent en priorité des candidats…

12,6 % des actifs dans la « résignation et le désengagement »

L’étude souligne aussi l’importance du volume d’actifs qui cumulent les difficultés (12,6 %). Parmi ces « désengagés » se retrouvent les personnes les moins qualifiées, les plus âgées et celles résidant le moins dans les aires urbaines. Beaucoup sont d’anciens salariés des territoires désindustrialisés et résident le plus souvent au sein de territoires très ruraux.

Rarement titulaires d’emploi salarié durable, ils alternent emplois saisonniers ou intérimaires. L’analyse du baromètre estime que « leur âge, leur qualification et leur employabilité ne leur laissent guère imaginer des scénarios d’accès à l’emploi durable », ajoutant que « leur comportement est marqué par la résignation et le désengagement ».

Les auteurs soulignent que « l’ampleur de cette résignation […] pose question ». Dès lors, ne convient-il pas, dans le cadre des politiques d’accompagnement publiques, de cibler cette dimension avec la même énergie que le développement des compétences ? Le baromètre a le mérite de pointer les conséquences du fonctionnement passé du marché du travail et des comportements des entreprises qui, aujourd’hui, deviennent des obstacles majeurs au recrutement.


(1) Le premier baromètre du rapport au travail publié par Actual group et l’EM Normandie, le 30 avril 2024.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins