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Les chantiers sociaux qui attendent Gabriel Attal

Marché de l'emploi | publié le : 09.01.2024 | Benjamin d'Alguerre

Les chantiers sociaux qui attendent Gabriel Attal

Les chantiers sociaux qui attendent Gabriel Attal.

Crédit photo DR

Emmanuel Macron ouvre une nouvelle page de son second quinquennat en nommant Gabriel Attal à Matignon. Mais entre l’entrée en vigueur de France Travail, l’« acte II » des réformes du travail à venir, la stagnation des entrées en apprentissage ou les mesures sur l’emploi des seniors qui sortiront de la négociation qui vient de s'engager, les grands dossiers sociaux qui pourraient nécessiter les arbitrages de Matignon s’empilent déjà sur le bureau d’un nouveau Premier ministre peu capé en matière de relations sociales.

Pressentie depuis plusieurs semaines, sa nomination était attendue lundi soir. Il aura fallu finalement attendre le lendemain, en milieu de journée, pour qu'elle soit confirmée. Le 9 janvier, Emmanuel Macron a confié à Gabriel Attal le soin de former un nouveau gouvernement. Ce macroniste de la première heure succède à Élisabeth Borne, issue comme lui du PS, qui a tenu Matignon durant vingt mois, au cours desquels elle aura notamment mis en chantier et bouclé la réforme des retraites ainsi que la loi immigration, dont les nombreux cafouillages parlementaires ont surtout profité aux oppositions.

À 34 ans, celui qui est désormais le plus jeune Premier ministre de l’histoire de la Ve République – son prédécesseur en la matière, Laurent Fabius, en avait 37 lors de sa nomination en 1984 – va devoir engager l’« Acte II » du quinquennat qui va, notamment, se traduire par une nouvelle réforme du travail. Mais contrairement à sa prédécesseure, qui avait fait ses armes au ministère du Travail entre 2020 et 2022 et qui avait pu compter, à Matignon, sur l’expertise de son directeur de cabinet, l’ancien DGT Jean-Denis Combrexelle, Gabriel Attal, ancien porte-parole du Gouvernement, passé par les ministères des Comptes publics et de l’Éducation Nationale, fait figure de novice en matière de relations sociales. C’est pourtant à lui que reviendra la tâche d’assurer la mise en œuvre des réformes à venir... mais aussi le service après-vente de réformes engagées par ses devanciers depuis 2017.

« Acte II » des réformes du travail

« Travailler doit toujours être mieux valorisé que ne pas travailler. » Sa première prise de parole sur le perron de l’hôtel Matignon à l’issue de la passation de pouvoir annonçait la couleur. En cela, Gabriel Attal inscrit son début de mandat dans le sillon d’un « acte II des réformes du travail », tracé quelques jours plus tôt par Emmanuel Macron. À l’occasion de ses vœux à l’Élysée, le président de la République avait déjà fait l’annonce d’un deuxième train de simplification des règles du monde du travail visant à simplifier la création d’emplois. Un projet au moins aussi ambitieux que celui des ordonnances de 2017, croient savoir quelques proches du dossier… et qu’il appartiendra au nouveau Premier ministre et à son ministre du Travail de mettre en musique. Et la partition devrait se jouer assez vite : les premières ébauches de cet acte II sont attendues au mois de mars 2024.

Les premiers pas de France Travail

Ce n’est pas lui qui a impulsé cette réforme… mais ce sera pourtant à lui d’en essuyer les plâtres ! Depuis le 1er janvier 2024, Pôle emploi, les missions locales, le réseau des agences Cap emploi et les divers services d’insertion et d’accompagnement dans l’emploi développés par les collectivités locales disposent d’un « toit commun », France Travail. Si, pour l’heure, la gouvernance de cette nouvelle instance dirigée par l’ancien haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises Thibaut Guilluy reste encore largement à construire – la place qu’y occuperont les partenaires sociaux, financiers du régime à travers l’Unédic, constitue un dossier particulièrement brûlant – d’autres chantiers sont encore à mener, à commencer par le système d’information commun à toutes les entités constitutives de la nouvelle instance.

Mais c’est surtout la vocation de France Travail qui risque d’être interrogée ces prochains mois. Instrument au service de l’objectif de plein-emploi affiché par le président de la République depuis sa réélection, la nouvelle instance a été façonnée autour de la réforme du RSA, qui prévoit l’inscription systématique de ses bénéficiaires (et de tous les demandeurs d’emploi d’une manière générale) dans un parcours encadré par un « contrat d’engagement » prévoyant notamment quinze à vingt heures d’activité hebdomadaires (ateliers de CV, visites d’entreprises, stages, formation, etc.) dont le non-respect des termes pourrait valoir au chômeur fautif la privation temporaire ou définitive de son allocation. Pour le Gouvernement, l’objectif est de réhabiliter le travail plutôt que le chômage indemnisé. Les syndicats, eux, y voient surtout un instrument de « flicage » des demandeurs d’emploi. Assorti de la garantie d’une surcharge de travail pour les agents de France Travail chargés d’assurer « l’accompagnement renforcé » des chômeurs dans leur parcours personnalisé de retour à l’emploi.

Cette volonté de contrôle s’est vue, en outre, renforcée par un décret publié le 28 décembre dernier. Celui-ci prévoit que deux refus de CDI par un salarié précaire (en CDD ou en mission d’intérim) au cours d’une même année fermeront le droit à leur indemnité chômage. À condition, toutefois, que l’emploi proposé soit au moins de qualité égale à celui exercé auparavant ou qu’il soit conforme au parcours personnalisé de retour à l’emploi signé avec France Travail. Le décret fixe, de plus, six critères établissant le caractère « raisonnable » de l’offre d’emploi en CDI (qualifications, salaires, zone géographique de travail, situation personnelle et familiale du demandeur d’emploi, situation du marché du travail local, caractéristiques de l’emploi recherché) qui constituent autant de garde-fous visant à éviter qu’un chômeur ne se sente obligé de prendre n’importe quel job pour ne pas perdre ses indemnités. Cependant, si cette réforme semble approuvée par une partie du grand public (elle recueillait 53 % d’opinions favorables à en croire un sondage Elabe/Les Echos/Institut Montaigne dévoilé début décembre), elle n’en a pas moins suscité les foudres des organisations syndicales.

Les risques de parasitage de la négo « seniors »

Le précédent Gouvernement avait choisi de dissocier ce dossier de celui de la réforme des retraites, malgré la pression des syndicats réformistes (CFDT, CFE-CGC et CFTC, notamment) qui tenaient à corréler les deux sujets. Fin 2023, le Gouvernement a invité les partenaires sociaux à engager une série de négociations portant respectivement sur le maintien des seniors dans l’emploi, la mise en place d’un compte épargne-temps universel dans les entreprises (une revendication de la CFDT qui, à ce stade, ne semble convaincre qu’elle…), l’usure professionnelle et la progression des carrières.

À l’heure où ces lignes sont écrites, les deux premières séances de négociation ont surtout servi à défricher les sujets à l’agenda et à fixer un calendrier qui doit mener les négociateurs jusqu’à la mi-avril, date à laquelle le Gouvernement attend leur copie. Côté syndicats, on entend surtout réfléchir aux carrières longues et à l’effet que celles-ci peuvent entraîner sur l’état de santé des salariés alors que dans les rangs patronaux – et principalement ceux du Medef – c’est davantage la question de l’équilibre des comptes de l’assurance-chômage grevés par les « préretraites Unédic » qui est en question. Une pratique jusqu’alors populaire chez les employeurs, qui consistait à licencier les salariés de 59 ans tout en leur permettant de toucher une indemnité chômage égale au montant de leur salaire jusqu’à leur entrée officielle en retraite à 62. Mais désormais rendue impossible par le report de cet âge à 64 ans.

Si les négociations s’annoncent tendues, c’est surtout le comportement du Gouvernement pendant les mois à venir qui inquiète les partenaires sociaux. Ce dernier pourrait, sur fond de bisbilles entre Bercy et le ministère du Travail, être tenté de mettre en chantier, de sa propre initiative, plusieurs réformes susceptibles de parasiter les discussions, à l’image d’une remise à plat des ruptures conventionnelles (jugées trop nombreuses et trop coûteuses) ou de réduire la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi de plus de 55 ans.

Le surplace de l’apprentissage

C’est l’une des réformes sur lesquels l’exécutif a le plus misé, dès 2017, afin de favoriser l’emploi des jeunes. Mais si les premières années ont été fastes pour la croissance des contrats d’alternance – portés, il est vrai, par une politique particulièrement généreuse en matière de financement des contrats désormais décidés par les branches professionnelles – la facture finale, particulièrement salée pour France compétences, l’instance en charge de la ventilation des fonds de la formation professionnelle et de l’apprentissage (21 milliards en 2023), a convaincu les pouvoirs publics de rétropédaler. Dans un premier temps, en rognant le niveau de prise en charge des contrats d’apprentissage ; dans un second, en remplaçant les deux aides à l’embauche d’apprentis qui existaient par une prime unique de 6 000 euros dont le destin est incertain passé 2024, du fait de son coût.

Si ce serrage de vis a la vertu de réduire les dépenses et les effets d’aubaine, il a aussi contribué à déprécier l’apprentissage en tant que voie de formation. Résultat : l’apprentissage a connu un net tassement en 2023. Là où les effectifs avaient crû sensiblement en 2021 (+ 15 %) et 2022 (+ 38 %), la hausse l’année passée n’était que de 2,9 %. Correspondant à un effectif de 860 000 apprentis et rendant difficile l’atteinte du seuil du million d’alternants que s’est fixé l’exécutif. Un objectif que certains poussent d’ores et déjà le Gouvernement à abandonner, malgré sa force en matière de symbole et de communication. D’autant qu’avec plusieurs années de recul, il apparaît désormais que la croissance de l’apprentissage a surtout profité à un enseignement supérieur qui s’est découvert une vocation de chasseur de primes au détriment des niveaux de qualification inférieurs (CAP et Bac pro) qui, en fonction des filières, stagnent, voire régressent.

Formation professionnelle : le reste à charge sur le CPF inquiète

Autre sujet sensible. Car si, là encore, la réforme de 2018 a permis de démocratiser l’accès à la formation professionnelle à travers la monétisation du compte personnel de formation (CPF), le coût de l’opération pour France compétences et les abus constatés au cours des premières années de l’ouverture en grand, ont convaincu le Gouvernement de progressivement refermer les vannes. Par de nouvelles conditions d’accès plus restrictives et demain, par l’instauration d’un reste à charge sur l’achat de toute formation par le biais de la plateforme Mon Compte Formation afin de « responsabiliser les acheteurs ». S’il appartient encore à une concertation avec les partenaires sociaux de préciser les contours de ce « ticket modérateur » dont le montant ne devrait pas dépasser « quelques dizaines d’euros » selon Carole Grandjean, ministre déléguée à l’Enseignement et à la Formation professionnels dans l’ancien gouvernement Borne, l’instauration de ce reste à charge pourrait avoir un effet répulsif sur les utilisateurs du CPF. Une crainte pour les organismes de formation présents sur ce marché qui redoutent, en outre, que les fonds disponibles (2,2 milliards en 2024) ne se voient siphonnés par la récente éligibilité du permis moto au compte personnel de formation…

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre