Retraites, pouvoir d’achat, France Travail, orientation… Les dossiers sociaux s’empilent déjà sur le bureau d’Élisabeth Borne qui vient de prendre ses fonctions de Premier ministre le 16 mai 2022.
Elle n’a pas encore choisi son gouvernement, ni même assuré sa légitimité de parlementaire dans la circonscription de Vire, dans le Calvados, que déjà les dossiers s’empilent sur le bureau d’Élisabeth Borne. Présentée à plusieurs reprises comme un "couteau suisse", l’ancienne préfète et directrice de cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’Écologie sous François Hollande qui aura successivement occupé les portefeuilles des Transports, de la Transition écologique puis du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion lors du mandat écoulé, va être chargée de mettre en musique un agenda présidentiel social bien fourni dont Emmanuel Macron a déjà fixé en partie le calendrier.
Réforme des retraites
Le dossier explosif des retraites avait déjà suscité la grogne syndicale en 2019, au point d’engager plusieurs confédérations syndicales dans un mouvement de grève qui avait partiellement paralysé le pays. Même la CFDT avait crié à la trahison gouvernementale en voyant apparaître dans le projet de réforme porté à l’époque par Jean-Paul Delevoye, alors haut-commissaire à la réforme des retraites, la mention d’un "âge pivot" (à 64 ans) qui constituait pour elle une ligne rouge infranchissable. Le projet devrait revenir sur le tapis "dès cet automne" selon l’agenda présidentiel en dépit des rapports du Conseil d’orientation des retraites (COR) qui ne voient aucun danger immédiat pour l’équilibre du régime des pensions. Si l’idée d’une fixation de l’âge légal de départ à la retraite semble bien entérinée, l’exécutif souhaite plutôt y aller en douceur. En supprimant la notion d’âge pivot dans un premier temps et en instaurant un recul progressif de l’âge du départ de quatre mois chaque année jusqu’à un plafond de 64 ans à l’horizon 2027 (ou 2028) et ce, dans le cadre d’une feuille de route définie "en concertation avec les partenaires sociaux". Une "clause de revoyure" fixée à 2031 devrait cependant entériner le plafond des 65 ans pour un départ à la retraite avec une pension à taux plein. Reste à savoir qui sera aux manettes à ce moment-là.
Pouvoir d’achat
Le président réélu l’a promis : une "loi exceptionnelle pour le pouvoir d’achat" doit être mise en chantier dès cet été. Charge désormais au gouvernement de la mettre en musique. L’exécutif n’avait d’ailleurs pas attendu les résultats de la présidentielle pour distribuer les coups de pouce : annonce d’une seconde hausse annuelle du Smic au 1er mai (après celle de janvier) de 2,65 % portant le salaire minimum à 1302 euros net (+ 34 euros par mois), hausse du chèque énergie, blocage de la facture d’électricité, gel du prix du gaz, instauration d’une "indemnité inflation" de 100 euros pour les personnes touchant moins de 2000 euros par mois… Le Gouvernement avait déjà sorti le chéquier pour faire passer aux ménages la pilule d’une inflation galopante.
Mais à l’heure où seules 28 branches professionnelles maintiennent des minima sociaux au-dessus du Smic – au point d’inciter le patron de la CFDT, Laurent Berger, à réclamer une "grande conférence sociale sur les salaires et le pouvoir d’achat", le futur texte réglementaire ne devrait pas prévoir de hausse automatique des rémunérations salariales, mais plutôt généraliser la redistribution des profits des entreprises aux salariés sous forme de dividendes. Selon les scénarios qui circulent à partir des promesses du candidat Macron, ceux-ci pourraient prendre la forme de dispositifs d’intéressement ou de participation, voire d’une nouvelle prime de pouvoir d’achat sur le modèle de celle instaurée par l’exécutif en 2019 à l’issue du mouvement des gilets jaunes ("prime Macron"). Défiscalisée et exonérée de cotisations sociales pour l’employeur, cette prime, aujourd’hui limitée à 1 000 euros par an, pourrait monter jusqu’à un plafond de 2 000 ou 3 000 euros, voire 6 000 en cas de signature d’un accord d’intéressement dans l’entreprise. Une autre mesure programmatique d’Emmanuel Macron pourrait apparaître dans ce futur projet de loi, à savoir la généralisation du compte épargne-temps (CET) à toutes les entreprises. Aujourd’hui apanage des grandes boîtes privées ou publiques, le dispositif pourrait se voir démocratisé à l’ensemble des entreprises, transférable par le salarié d’un employeur à un autre et monnayable tant en euros qu’en heures de repos.
Côté fonction publique, le Gouvernement sortant s’était engagé à une revalorisation du point d’indice "avant l’été" qui devrait être suivie d’une réforme complète des grilles et classifications de la rémunération des fonctionnaires.
Transformation de Pôle emploi en France Travail
Grand chantier annoncé, Pôle emploi devrait céder sa place à l’agence France Travail durant le quinquennat. Plus qu’une disparition, c’est surtout autour d’une agglomération des compétences que le projet devrait se monter, notamment en fusionnant le réseau des agences Pôle emploi et celui des missions locales dans le cadre de structures territorialisées ouvertes aux acteurs locaux (communes, départements…). Ce rapprochement entre acteurs de l’emploi est déjà partiellement à l’œuvre depuis le début 2022 avec la création d’espaces d’accueil communs à Pôle Emploi et Cap Emploi, le réseau en charge de l’accueil et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi en situation de handicap. Selon l’Agefiph, près de 75 % du réseau des Cap Emploi a déjà procédé à ce rapprochement.
Réforme de l’orientation et des lycées professionnels
Après la formation et l’apprentissage, deux nouvelles réformes connexes sont au programme. Primo, celle de l’orientation "qui constituait l’angle mort de la réforme de l’apprentissage de 2018", explique la députée LREM Catherine Fabre. La réponse devrait passer par une meilleure association des différents acteurs de l’orientation dans les territoires (Régions, établissements scolaires, branches et entreprises) afin de mieux guider les jeunes vers les formations aux métiers en tension ou qui recrutent. Reste à savoir qui en sera le pilote. Branches, Éducation nationale ou Régions ? Secundo, celle des lycées professionnels sur le même modèle que l’apprentissage. Principaux changements à l’horizon : "un partenariat beaucoup plus étroit avec les entreprises" et des lycéens professionnels "rémunérés pour leur temps d’entreprise comme le sont les apprentis". Cette réforme s’accompagnerait d’un grand toilettage des filières et des cursus (y compris ceux accessibles par l’apprentissage) avec suppression des parcours qui ne débouchent pas suffisamment sur l’emploi.