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« La réforme va affecter l’ensemble des actifs » (Bruno Coquet, OFCE)

Marché de l'emploi | publié le : 13.06.2024 | Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

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Bruno Coquet, OFCE : « La réforme va affecter l’ensemble des actifs. »

Crédit photo DR

Qualifiée par Emmanuel Macron de « bonne », « importante pour le pays » et « indispensable », la réforme de l’assurance-chômage a été transmise le 11 juin au Conseil d’État et aux partenaires sociaux. Dans sa dernière mouture connue, elle aura des impacts massifs à la fois sur les demandeurs d’emploi, mais aussi sur les salariés, voire les entreprises, estime Bruno Coquet, président de Uno Études et Conseil, chercheur associé à l’OFCE.

Quels seront les impacts de la réforme de l’assurance-chômage qui doit entrer en vigueur le 1er décembre ?

Bruno Coquet : Il faut rester prudent tant que le décret n’est pas paru. Il faut se souvenir que le décret de 2019 s’étendait sur 300 pages, de même que la circulaire de l’Unédic qui venait préciser l’application des dispositions du décret. Le diable est dans les détails : par exemple lors d’une réforme de ces dernières années, la manière de prendre en compte les périodes de maternité pour calculer les droits avait été subrepticement modifiée. Devoir prouver qu’on a travaillé 8 mois, au lieu de 6 auparavant, sur une période plus courte, 20 mois au lieu de 24, va évidemment affecter les personnes qui ont des contrats courts et en particulier les jeunes et les étudiants qui ont aussi souvent des contrats saisonniers. Tous les intérimaires ne seront pas affectés, a priori pas ceux qui sont bien insérés sur le marché de l’emploi et dont les périodes intercontrats sont très brèves.

Les autres catégories seront-elles moins touchées ?

B. C. : Cette augmentation de la durée de travail exigée sur une période plus courte va toucher l’ensemble des actifs. Il faudra avoir une intensité d'emploi sur la période de référence plus forte. Du coup, moins de personnes devraient obtenir les droits d’indemnisation maximaux, qui vont aussi être réduits. Désormais, la durée d’indemnisation se situera entre 8 et 15 mois, alors qu’auparavant, elle pouvait varier de 6 à 18 mois. Pour la catégorie des seniors, la durée maximale d’indemnisation passe de 22,5 mois à 15 mois. C’est une réduction d’un tiers. C’est sur les seniors que l’impact de la réforme est le plus important. Une partie de ces chômeurs qui ne seront plus couverts va se retrouver au RSA.


« Les seniors sont le dernier choix des employeurs. »


Les entreprises n’auraient-elles pas intérêt à revoir la durée des CDD ?

B. C. : Il y a peu de chances que les entreprises fassent évoluer la durée de contrats en CDD, sauf marginalement pour celles qui veulent attirer des profils particuliers en leur assurant des droits d’indemnisation. Cette stratégie comporte cependant le risque de voir s’appliquer un bonus-malus si ce type de contrat dépasse un certain pourcentage du total sur le secteur d’activité. Globalement, la durée des CDD ne devrait pas évoluer et restera majoritairement sur des durées standard de 3, 6, 9 et 12 mois.

Pourquoi l’impact est-il si fort sur les seniors ?

B. C. : L’impact est d’autant plus fort sur les seniors que leurs chances de retrouver un emploi sont plus faibles du fait de la forte discrimination à l'embauche qu’ils subissent. S’ils ont la chance qu’un emploi leur soit proposé, ils sont contraints de faire de fortes concessions sur l'emploi qu’ils retrouvent. Ces deux facteurs vont se répercuter sur le niveau de rémunération. En effet, ces mesures réduisent le pouvoir de négociation des demandeurs d’emploi en les contraignant à accepter plus rapidement des postes à des conditions qu’ils n’auraient sans doute pas accepté dans d’autres circonstances. Cela contredit doublement le mantra gouvernemental selon lequel « le travail paie » : d’abord parce que les salaires associés aux postes acceptés sont inférieurs à ceux occupés précédemment, mais aussi parce que ces périodes de travail donnent accès à moins de droits d’indemnisation, droits qui sont associés au contrat de travail.

Le nombre de ruptures conventionnelles va-t-il baisser ?

B. C. : S’agissant des causes de rupture des contrats de travail des seniors, celle qui arrive en premier est le licenciement, devant la rupture conventionnelle (RC) qui concerne essentiellement les salariés plus jeunes. Environ les deux tiers des RC concernent des salariés âgés de moins de 45 ans. Le problème des seniors, c’est la discrimination à l’embauche. Ils ont encore moins de chances de décrocher un poste que les personnes en situation de handicap, pourtant mal traitées. Les seniors sont le dernier choix de l’employeur. Est-ce que la formation améliore la situation ? D’après les études de la Dares, les seniors qui se forment augmentent en effet significativement leurs chances, mais pour arriver au niveau des personnes en situation de handicap qui se forment. Ce problème de la faible activité des seniors persiste depuis des décennies et il n’est pas lié au niveau des indemnités d’assurance-chômage.

Quelle est la spécificité de la situation des seniors ?

B. C. : Jusqu’en 2002, les demandeurs d’emploi de 57 ans et plus pouvaient avoir droit jusqu’à 60 mois d’indemnisation. Depuis, ces droits ont été largement réduits, mais cela n’a pas eu d’impact majeur sur leur taux d’activité parce que les seniors subissent une double discrimination : face à la rupture du contrat de travail et face à l’embauche. Modifier les règles d’indemnisation ne réglera pas ces deux problèmes et ils vont donc perdurer. Cela réglera d’autant moins ces problèmes que les demandeurs d’emploi seniors les plus qualifiés sont actuellement ceux qui sont les moins sanctionnés pour insuffisance de recherche de nouveau poste, ce qui prouve encore une fois leur surexposition à la discrimination à l’embauche.

La création de la « filière senior » peut-elle changer la donne ?

B. C. : Porter à 60 % du montant de l’indemnisation la part pouvant provenir d’une activité pour les demandeurs d’emploi seniors revient effectivement à subventionner les entreprises qui feront appel à ces personnes puisque c’est l’État qui met à la charge de l’Unedic ce complément de salaire. C’est admettre sans le dire que les seniors doivent réduire leur « capital humain », c’est-à-dire leur niveau de rémunération et la qualité des emplois acceptés pour pouvoir rester en emploi plus longtemps. La nature juridique de ce complément n’est pas encore fixée. Aura-t-il les mêmes propriétés fiscales et sociales que l'allocation de recherche d'emploi ? Si tel n’est pas le cas, le demandeur d’emploi pourrait perdre les droits associés aux cotisations sociales. Il faut là aussi attendre la parution du décret pour en savoir plus.

Auteur

  • Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins