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Contrat d’engagement jeunes : "la concurrence avec Pôle emploi constitue une menace pour les missions locales"

Marché de l'emploi | publié le : 04.03.2022 | Benjamin d'Alguerre

Depuis le 1er mars, missions locales et agences Pôle emploi sont devenues les fers de lance du déploiement du Contrat d’engagement jeunes (CEJ), mais au risque de créer une concurrence déloyale entre les deux structures au détriment des missions locales, affirme Isabelle Klem, secrétaire générale du Synami-CFDT, syndicat des métiers de l’insertion. Entretien.

Comment votre organisation perçoit-elle le contrat d’engagement jeunes ?

Isabelle Klem : Les salariés des missions locales l’ont plutôt mal pris, d’autant que la Garantie jeunes fonctionnait très bien. C’était un dispositif intéressant même si son fonctionnement froissait certains conseillers. Le fait que la mission locale soit à la fois l’organisme chargé de l’accompagnement des jeunes et celui qui les contrôle – et au besoin les sanctionne – pouvait créer des problèmes de confiance entre les conseillers et les bénéficiaires de la Garantie jeunes. Plusieurs collègues le vivaient mal car des pressions pouvaient se faire ressentir des deux côtés. Là-dessus arrive le CEJ qui prévoit d’emblée de sanctionner les jeunes qui ne respecteront pas les règles du dispositif… Il aurait été plus logique que la Garantie jeunes évolue vers une forme de "RSA Jeunes" versé par les CAF afin que la mission d’accompagnement et celle du versement de l’allocation soient bien distinctes. Au lieu de cela, les missions locales ont conservé leur mission de contrôle et le nouveau dispositif n’a pas prévu de recours pour les jeunes ! En outre, ce système crée une situation de mise en concurrence entre les missions locales et les agences Pôle emploi qui ne peut qu’être en défaveur des premières puisque l’allocation versée par les missions locales transitera par les agences régionales de paiement de l’État (ASP) dont on connaît la lenteur, alors que les jeunes signataires d’un contrat avec Pôle emploi seront directement rémunérés par Pôle emploi. On aboutira donc à un système à deux vitesses en matière de suivi et de rémunération selon le prestataire avec qui le jeune engagé dans le dispositif signera son contrat. Quant aux autres opérateurs du CEJ comme les Epide ou les E2C, on ignore encore tout de la manière dont les choses vont se passer avec eux.

Quelles différences fondamentales entre les missions locales et Pôle emploi en termes de suivi des usagers ?

I. K. : Les missions locales font de l’accompagnement global des jeunes depuis une quarantaine d’années, là où Pôle emploi se concentre surtout sur l’accès à l’emploi. Or, au fur et à mesure de la succession des différents gouvernements, le seul chiffre qui s’est mis à compter réellement aux yeux des pouvoirs publics est celui des sorties positives vers l’emploi. On va donc demander aux missions locales de mettre en place des parcours de 15 à 20 heures comprenant des modules pédagogiques pour les jeunes alors que ce n’est pas notre métier. On nous demande donc d’être organismes de formation et agences Pôle emploi en plus de notre mission d’accompagnement. À l’inverse, les agents Pôle emploi, absolument pas spécialisés dans l’accompagnement de jeunes ne disposeront que de six jours de formation pour acquérir cette compétence. Bon courage à eux…

Avec la Garantie jeunes, nous avions appris à développer une logique de partenariats. Nous faisions entrer les jeunes par cohortes dans le dispositif au début de leur parcours durant environ un an, ce qui leur permettait de travailler en groupes au sein de différents ateliers thématiques consacrés à des questions telles que la santé, la recherche d’emploi ou même la culture afin de leur remettre le pied à l’étrier. Nous avions développé un programme d’accompagnement pour ces jeunes comprenant des modules liés aux questions d’orientation, mais la formation n’est pas notre cœur de métier.

Comment les missions locales seront-elles financées au titre du CEJ ?

I. K. : Autant pour Pôle emploi les choses sont claires, autant nous sommes encore dans le flou côté missions locales. Actuellement, notre financement descend de l’État via les DREETS et les dotations sont accordées en fonction de conventions d’objectifs et de moyens trisannuelles. Nos ressources dépendent donc des objectifs de ces conventions. Le financement du CEJ est très incertain puisque les missions locales devraient toucher en premier lieu une dotation-socle minimale complétée pour chaque jeune intégrant le dispositif. Ce n’est absolument pas sécurisant d’autant qu’on ne connaît pour l’instant pas la clé de répartition des ressources. Avec la Garantie jeunes, c’était plus simple : une partie des financements était versée dès le départ et le solde arrivait lors de chaque sortie de jeune positive du dispositif.

Redoutez-vous de voir les missions locales absorbées par Pôle emploi ?

I. K. : Il s’agirait davantage d’un remplacement que d’une absorption. À partir du moment où Jean Bassères, directeur général de Pôle emploi, affirme lors d’un colloque de l’Union nationale des missions locales (UNML) que "Pôle emploi ne sait pas faire ce que font les missions locales mais qu’il apprend", j’y perçois une menace de remplacement. La concurrence avec Pôle emploi constitue une menace pour les missions locales qui sont des structures éparpillées face à l’énorme machine qu’est Pôle emploi. La preuve : début février, Pôle emploi a envoyé des convocations à tous les jeunes éligibles au CEJ de son réseau pour leur proposer d’entrer d’emblée dans le CEJ, sans tenir compte de leur situation. Les missions locales ne disposent pas de ces moyens massifs pour faire venir les jeunes. Certaines associations régionales des missions locales (ARML) ont même été obligées d’adresser des SMS juste pour prévenir les jeunes, perdus, de prendre contact avec leur conseiller à la mission locale avant de se rendre chez Pôle emploi. Voilà où nous en sommes…

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre