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L’illusion du made in France

Liaisons Sociales Magazine, 01/11/2010 | Management RH | publié le : 04.11.2010 |

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Stratégie marketing, réflexe patriotique ou levier pour l’emploi ? Le made in France est à la mode. Le gouvernement en fait un volet de sa politique. Mais la démarche est complexe, et son impact bien incertain.

En cet automne 2010, le made in France est furieusement tendance. Il a eu les honneurs de Bercy et du ministre de l’Industrie, qui l’a doté d’un observatoire et d’une mission de travail spéciale baptisée Marque France. Il a fait la une du magazine Envoyé spécial, sur France 2, et de plusieurs journaux nationaux. Consécration suprême, il a même fait la couverture d’un magazine people à gros tirage, invitant les fashionistas en tout genre à se convertir instamment à l’inimitable french touch, Vuitton, Rykiel, Hermès et Paul & Joe en tête de proue. Que s’est-il donc passé pour que les Français, que l’on croyait définitivement résignés au « made in monde », commencent à s’intéresser aux produits bien de chez nous ? Certes, ce n’est pas la première fois que la mode du tricolore est lancée.

 

En 1993 déjà, en pleine crise économique, le réseau des chambres de commerce et d’industrie avait initié une campagne de sensibilisation des consommateurs français autour d’un slogan resté dans les mémoires : « Nos emplettes sont nos emplois ». En 2005, le député Pierre Lellouche s’était, à son tour, emparé du sujet en proposant le label 100 % France. Plus surprenant, des géants de l’agroalimentaire américains se sont mis soudainement à faire de leur ancrage hexagonal un argument publicitaire. En décembre 2009, Coca-Cola lançait une campagne « made in France avec fierté », en précisant que « 95 % des boissons commercialisées en France par Coca sont fabriquées en France », tandis que McDo revendiquait « trente ans de vie française ». C’est à y perdre son patois.

 

Que cache cet engouement qui va à contre-courant de trente années de globalisation galopante et de course au low cost pour l’économie française ? Du marketing un brin démagogique surfant sur les nouveaux modes de consommation responsable ? Un regain de patriotisme économique alors que la crise questionne la mondialisation et que l’Europe est en panne ? Ou s’agit-il bien là, comme veut s’en convaincre le gouvernement, d’un levier déterminant pour que les PME de France protègent leurs savoir-faire et leurs innovations, reconquièrent des marchés et recréent des emplois ?

 

Soutenir le Fabriqué en France. Commençons par poser le décor. Le 2 novembre 2009, le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, inaugure les états généraux de l’industrie. Il s’agit de dresser un état des lieux de la situation du pays, marqué par des années de délocalisations, et surtout de « redonner à la France une ambition industrielle nationale ». À l’issue de trois mois de travaux, en janvier 2010, le ministre reçoit un certain nombre de propositions et se voit assigner un objectif ambitieux : augmenter la production industrielle française de 25 % d’ici à 2015. « Le made in France est l’un des volets de ce plan global, explique-t-on dans l’entourage de Christian Estrosi. L’idée n’est pas de subventionner des activités qui ne sont pas compétitives, mais de soutenir le Fabriqué en France qui peut l’être. Notre sentiment est que les consommateurs sont attentifs à ces questions. »

 

Les enquêtes d’opinion l’attestent en effet. D’après une étude du Credoc de décembre 2009 sur l’impact de la crise économique sur les comportements des consommateurs, le fait qu’un produit soit fabriqué en France motive 74 % des personnes interrogées pour l’acheter. Selon un sondage réalisé en juin 2009 pour le fabricant – français – de lunettes Atol, un consommateur sur cinq déclare acheter davantage français depuis la crise et 39 % des personnes interrogées se disent prêtes à payer jusqu’à 10 % plus cher contre la garantie d’origine du produit. « Pendant longtemps, on a été dans la course au prix, note Frédéric Grivot, vice-président de la CGPME, mais après la vache folle, les fauteuils qui piquent et les chaussures qui brûlent, on assiste à une véritable prise de conscience du consommateur français. »

 

Une prise de conscience et un ras-le-bol que revendique Marie Thuillier, ingénieure et consultante en développement économique des territoires. « Il y a quelques années, j’ai commencé à en avoir marre d’acheter des produits made in China qui ne tenaient pas la route. Et, professionnellement, je voyais des régions ravagées par la disparition totale de savoir-faire et d’industries. Or un savoir-faire qui disparaît ne se récupère jamais, ces territoires ne s’en remettront pas. »

 

Mobilisée par ce double constat, Marie Thuilliera donc créé en 2009 Hexaconso.fr. Ce site référence environ 200 entreprises qui maintiennent autant que possible une part importante de leur production en France. « Le 100 % made in France est un doux rêve impossible à réaliser car de nombreux composants ne sont plus fabriqués en France, tempère-t-elle. Mes critères pour référencer les entreprises sont l’honnêteté et la transparence dont elles font preuve. Car, depuis quelques mois, je sens bien, et les entreprises me le confirment, que le made in France est devenu un argument de vente, parfois utilisé de manière abusive. »

 

Astucieux, mais sans concession, le site de Marie Thuillier comporte ainsi sa blacklist, une liste noire d’entreprises qui mettent en avant le fait de produire sur le territoire français mais qui ont délocalisé en douce. Depuis deux ans, une dizaine de sites similaires ont vu le jour, de Madine France à Acheter français n’est pas un luxe, avec des approches un peu différentes mais toujours animées par un leitmotiv : l’emploi. Soit. Mais – tous ces sites d’information des consommateurs l’ont compris – encore faut-il se repérer dans le maquis des étiquettes, labels et autres marquages d’origine. Quand ils existent. Des drapeaux tricolores sur des boîtes de collants au coq gaulois qui pavoise sur certains emballages de petit électroménager en passant par les poinçons sur les couteaux, sans oublier les mentions telles que « Limoges France », « Joaillerie de France », « Produit en Bretagne » ou encore « Made in Jura »…, que valent réellement ces diverses appellations qui relèvent de la seule volonté du fabricant et ne répondent à aucun cahier des charges officiel ?

 

D’après une étude du Credoc, le fait qu’un produit soit fabriqué en France motive 74 % des personnes pour l’acheter

Un seul marquage officiel. Pour l’instant, un seul marquage officiel existe : le label Entreprise du patrimoine vivant (EPV), créé en 2005 par Renaud Dutreil, alors ministre des PME, du Commerce, de l’Artisanat et des Professions libérales, pour mettre un peu d’ordre dans ce foisonnement et, surtout, protéger et valoriser des TPE et des PME souvent artisanales et emblématiques des savoir-faire français. Attribué sur dossier par une commission nationale à des entreprises renommées dans leur domaine, disposant d’un savoir-faire rare et qui fabriquent en France, il concerne aujourd’hui 800 entreprises, soit 33 000 emplois, et leur offre des avantages fiscaux, notamment pour la formation de jeunes postulants à leurs métiers. Le crédit d’impôt est ainsi majoré à 2 200 euros par apprenti pour les entreprises labellisées.

 

Mais, à côté de ce statut particulier, la grande majorité des entreprises est soumise au régime du code des douanes communautaire selon lequel un produit est « made in France » dès lors que 45 % de sa valeur ajoutée y est produite. Tout en sachant qu’il existe des variantes dans le niveau de tolérance : pour les produits textiles, par exemple, il suffit que « la dernière transformation substantielle du produit » ait eu lieu sur le territoire français pour qu’il soit estampillé français. Reste à savoir ce que recouvre précisément la notion de « transformation substantielle ». En outre, et pour ajouter à la confusion générale, les douanes et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui contrôlent les produits à leur entrée sur le territoire puis dans les rayons des magasins, n’adoptent pas les mêmes critères pour vérifier l’origine d’un produit. Alors que les douanes travaillent sur une base fiscale, la DGCCRF regarde plutôt le niveau d’information sur l’origine du produit. Autant dire qu’actuellement le made in France part dans tous les sens.

 

Voir plus clair et mieux informer le consommateur, c’est l’objet du rapport que le député UMP de Seine-et-Marne Yves Jégo a remis, dans la foulée des états généraux de l’industrie, en mai 2010, à Nicolas Sarkozy. Intitulé « En finir avec la mondialisation anonyme : la traçabilité au service des consommateurs et de l’emploi », il dénonce la confusion, voire l’incohérence des différents marquages et systèmes de contrôle existants et appelle à un grand ménage dans les labels.

 

À la fin 2010, la mission de travail Marque France, chargée de plancher sur les pistes de travail du rapport, doit rendre ses travaux. « Nous prenons le chemin le plus réaliste possible, commente Jacques-Henri Semelle, proche d’Yves Jégo et délégué à la mission, avec une approche à la fois nationale et fondée sur le volontariat qui permettra à ceux qui font l’effort de maintenir leur production en France de le mettre en valeur s’ils le souhaitent. Notre objectif est de créer une sorte de “made in France plus”, un label transversal et transparent avec un cahier des charges accessible aux consommateurs. » La mission s’achève à la fin de l’année, mais une association d’acteurs privés doit prendre son relais pour accompagner la naissance de ce superlabel et veiller au respect de son cahier des charges. Il est aussi question qu’elle étende aux produits non alimentaires l’appellation IGP (pour Indication géographique protégée). Déjà, de grandes entreprises françaises se sont portées volontaires pour le parrainer. Elles doivent être rejointes par des fédérations professionnelles. Parallèlement, le tout jeune Observatoire du Fabriqué en France, mis en place à la fin de l’été, dressera année après année un comparatif par filière du recours effectif à la production française.

 

Que de nouvelles structures, alors que coexistent déjà le Comité Colbert, ambassadeur de 75 grands noms du luxe à la française qui représenteraient 115 000 emplois, l’Institut national des appellations d’origine (Inao), Entreprise du patrimoine vivant, label déjà évoqué plus haut… Le consommateur va-t-il vraiment y voir plus clair, et les emplois prospérer ? Rien n’est moins sûr… Très concrètement, l’ambition d’Yves Jégo de créer un label unique se heurte déjà à des obstacles à divers niveaux.

 

L’Union française de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie, des pierres et des perles (BJOP), dont les adhérents sont, depuis une dizaine d’années, très ébranlés par la concurrence asiatique – le secteur a perdu 8 000 emplois en quinze ans (voir la carte de France page 17) –, a créé en 2004 son propre label. Il garantit, poinçon à l’appui, l’origine et la qualité de fabrication des bijoux : « Un produit labellisé Joaillerie de France est fabriqué, monté, serti et poli en France, explique Bernadette Pinet-Cuoq, vice-présidente de l’Union française BJOP. La commission du label se réunit pour attester que les produits que nous labellisons sont bien d’origine française, sont réalisés selon les règles de l’art et aussi sur les critères éthiques et de traçabilité définis par le Responsible Jewellery Council. Pour ce faire, un organisme indépendant effectue des audits dans les ateliers et vérifie les pratiques. »

 

Dans un rapport remis en mai 2010, dans la foulée des états généraux de l’industrie, le député UMP Yves Jégo dénonce la confusion, voire l’incohérence des différents marquages et systèmes de contrôle existants et appelle à un grand ménage dans les labels

Un superlabel à étoiles. Un sacré arsenal que l’on imagine difficilement les professionnels de la bijouterie abandonner au profit d’un superlabel intersecteurs, à coup sûr moins précis… D’autant que ce fameux futur label devrait comporter différents degrés. Autrement dit, il y aura du made in France plus, du plus plus et du plus plus plus. Il est question, en effet, d’attribuer à chaque produit revendiquant le label un nombre donné d’étoiles définissant la part de la valeur ajoutée effectivement produite en France. Un produit dont on estimera, par exemple, que 50 % de la valeur ajoutée sont dus au savoir-faire français n’obtiendra que deux étoiles alors qu’un autre, dont la valeur ajoutée française sera de 80 %, se verra attribuer trois étoiles, etc. Enfin, de vieilles querelles de clochers risquent de resurgir dans les territoires. Le cas de la coutellerie est, à cet égard, complexe mais révélateur.

 

« Pierre-Jean Calmels, né en 1813, est probablement le créateur du couteau Laguiole yatagan. Dès la fin du XIXe siècle, ses descendants font fabriquer leurs couteaux par des artisans de Thiers, raconte Yvette Béal, chargée de mission à la Fédération française de la coutellerie. Encore aujourd’hui, près de 80 % des couteaux Laguiole sont fabriqués dans la région thiernoise. Ce n’est que dans les années 80 qu’une usine voit le jour à Laguiole même. Le problème est que le modèle du couteau de Laguiole, qui n’est pas déposé, est copié. Des couteaux bas de gamme qui sortent des ateliers orientaux à 1 euro pièce sont vendus sur le marché européen 15 euros, sans aucune mention d’origine. Une marque collective, le LOG, pour “Laguiole d’origine garantie”, est en voie de certification sur la base d’un cahier des charges. Les couteliers thiernois, quant à eux, envisagent la création d’un label qui certifierait tous les couteaux fabriqués en France. » Mais, au-delà de ces débats et des intentions d’achat de consommateurs zélés, reste la réalité du pouvoir d’achat des Français, autre dada du chef de l’État. « Ce sont les Auchan et les Carrefour qui ont appris aux Chinois à produire en masse et pas cher, résume Michel, qui possède deux magasins de lingerie dans la région lilloise. Avant, j’avais du Charmel et du Lejaby. Mais j’ai dû abandonner les grandes marques, les consommateurs n’achètent plus, et j’ai baissé sensiblement mon positionnement : en milieu de gamme, j’ai des sous-vêtements de la marque Triumph, fabriqués en Allemagne, et, pour le reste, j’achète en direct auprès des importateurs chinois dans les entrepôts derrière le Stade de France. » Selon les dernières études de la Fédération de la lingerie, 80 % des acheteuses ont un panier moyen inférieur à 30 euros. Le patriotisme économique a ses limites. Mais l’envie de consommer pas encore.

 

Sévère made in Italy

En votant, en mars dernier, un texte très restrictif sur le made in Italy, les parlementaires italiens ont jeté un pavé dans la mare européenne. Pour l’instant, les pays membres de l’Union divergent sur le marquage d’origine et se contentent a minima du code des douanes communautaire qui définit les règles du marquage d’origine pour les membres de l’Union : un produit peut être estampillé made in si 45 % au moins de sa valeur ajoutée est effectivement produite sur le territoire en question. D’ici à la fin de l’année, un règlement renforçant l’obligation de transparence des fabricants sur l’étiquetage des produits textiles importés doit être voté au Parlement européen. Mais pour l’instant rien n’est prévu pour clarifier le marquage des produits fabriqués au sein de l’Union.

 

Au grand dam des Italiens. C’est pourquoi la loi Reguzzoni-Versace est allée très loin dans le protectionnisme. Elle interdit à tout industriel de faire figurer la mention made in Italy sur les vêtements, chaussures et pièces de maroquinerie si ces produits n’ont pas subi au moins deux étapes de transformation sur le sol italien. Ainsi, une veste dessinée par un styliste italien et montée en Italie, mais dont le tissu provient de l’étranger, ne pourra être estampillée made in Italy. Si Yves Jégo appelle dans son rapport à une loi réglementant le made in France, il est peu probable que la France suive l’exemple italien. Le député UMP propose plutôt de mener une action de lobbying auprès des membres de la Commission pour infléchir leur position et les amener à plancher sur un texte plus protecteur pour les savoir-faire européens.