logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

«Le travail virtuel implique de repenser la chaîne de valeur RH»

Entreprise & Carrières, 21/04/2009 | Management RH | publié le : 23.04.2009 |

Image

Les communautés de travail se diluent par l’utilisation des NTIC. Affranchir les salariés des limites de l’espace et du temps oblige les DRH à repenser l’organisation. Une interview de M. Besseyre des Horts (photo), professeur au groupe HEC.

 

Entreprise & Carrières : Une bonne partie des tâches effectuées en entreprise pourraient être réalisées hors les murs. En quoi cela change-t-il le sens de la communauté de travail ?


Charles-Henri Besseyre des Horts : Le développement des TIC mobiles a entraîné des avantages évidents, tant pour l’entreprise que pour le salarié : autonomie, flexibilité, réduction
des temps morts, rationalisation des processus opérationnels, diminution des coûts de structure, etc. Cependant, cette émancipation des contingences de l’espace et du temps, qui conduit à pouvoir répondre à ses clients, collègues ou à son patron en temps réel, de n’importe quel endroit de la planète ou presque, remet en cause l’une des bases fondamentales des organisations, la dimension de communauté de travail.
Les conséquences de cette désagrégation sont négatives : remise en cause des valeurs traditionnelles de l’entreprise, dégradation de la qualité des processus de décision, éclatement progressif du collectif, rupture des frontières entre travail et non-travail… C’est que l’entreprise n’est pas seulement un lieu
de production de biens ou de services, mais également une communauté physique répondant à ce que Abraham Maslow, psychologue du travail (début du XXe), dans sa fameuse pyramide des besoins, définissait comme « le besoin social » des individus.
En outre, par le contact direct, les individus captent un certain nombre de messages faibles, mais indispensables, concernant l’identité de l’autre, et qui donnent sens à la dimension interrelationnelle indispensable au travail en équipe et à la dynamique collective. D’où l’absolue nécessité de préserver cette dimension, ne serait-ce que sous forme de communauté virtuelle et de quelques grand-messes symboliques. Pour exercer leur métier, les salariés doivent non seulement le connaître mais encore collaborer sous la bannière de l’entreprise tout en étant en compétition interne. C’est ce que l’on peut appeler la “coopétition” : le fait de collaborer tout en gardant le stimulant de la concurrence interindividuelle. Ils sont d’ailleurs demandeurs de ces liens sociaux, au point, cela s’est déjà vu, de reconstituer des communautés de travail sous forme de rendez-vous conviviaux réguliers, indépendamment même de l’entreprise, à l’instar des commerciaux qui n’ont plus de bureau fixe, par exemple.

 

E & C : En quoi cette nouvelle donne sollicite-t-elle les ressources humaines ?


C.-H. B. d. H. : Les DRH ont compris, avec une certaine lenteur, les implications organisationnelles
des nouveaux moyens de communication. Elles ont pris du retard par rapport
à la virtualité, qui implique pourtant de repenser l’intégralité de la chaîne de valeur RH. Qu’il s’agisse
de la définition de poste, du recrutement, des processus de délégation comme des indicateurs de performance, de la formation ou encore des systèmes de rémunération, il y a urgence à repenser tous les items RH en ce sens.
Les profils et compétences du métier doivent impliquer la possibilité de se gérer de manière autonome. De même, des indicateurs du travail d’équipe doivent servir de butée à la tendance
à l’individualisme absolu qui reviendrait, à la limite, à faire travailler les personnes les unes contre les autres, au prix d’une rétention d’informations dommageable à l’entreprise. Cela peut être fait, notamment, par la mise en place de primes d’équipes virtuelles qui sanctionnent la collaboration, et pas seulement la performance individuelle. Mais cela passe, surtout, par l’organisation d’un minimum de convivialité afin de favoriser la confiance réciproque et de communiquer les valeurs d’entreprise. De même, il appartient aux RH, a contrario, de limiter l’intrusion de l’entreprise dans la vie privée en imposant des limites à la pression de l’entreprise sur les individus.

 

E & C : Concrètement, quelles nouvelles règles pourraient être adoptées ?


C.-H. B. d. H. :
D’abord, des règles de respect : limites horaires aux sollicitations des salariés en soirée ou le week-end. Les réponses en temps réel n’ont, d’ailleurs, pas que des avantages, car elles court-circuitent le temps de la réflexion. Les Blackberries sont, à cet égard, des outils terriblement intrusifs dont il faudrait envisager de réguler l’usage. Les TIC peuvent augmenter encore l’autoritarisme des “petits chefs” à qui elles donnent les moyens de joindre leurs salariés partout, à toute heure. On peut même parler d’une certaine forme de taylorisme réintroduite par les outils mobiles. L’utilisation des messageries électroniques serait également à réguler.
Aujourd’hui, la règle est de joindre des mails en copie à tout le monde dans le but de se couvrir en cas de problème ultérieur. Mais trop d’informations tue l’information. Le salarié submergé par le nombre de messages ne les lit plus tous ou les oublie devant l’urgence des autres tâches. Par ailleurs, il serait temps que les DRH osent se préoccuper du business de l’entreprise et de son organisation, y compris de son organisation spatiale.
L’open-space permet, par exemple, d’économiser des frais de structure (des m2 de bureau) et de faciliter la communication, mais, simultanément, d’introduire une surveillance panoptique de tout le monde par tout le monde. S’il apporte une certaine convivialité, il rend plus difficiles la réflexion et la concentration, tout en augmentant la pression à laquelle est soumise le salarié qui n’a plus d’espace de respiration. Une organisation de l’espace vivable, voire l’aménagement de la cantine ou de la cafétéria, devrait faire partie des prérogatives RH puisque l’espace, comme le temps, est une composante du bien-être mental du salarié. Par ailleurs, à l’ère de la société de la connaissance, chacun sait  que la pause-café est un espace/temps où s’échangent quantité d’informations non formalisées, mais pourtant essentielles, d’où la nécessité, pour l’entreprise, de donner un signe de reconnaissance à ses collaborateurs en leur offrant un lieu de pause de qualité.

 

Propos recueillis par Pauline Rabilloux