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"Ce qu'on attend des DRH, c'est la gestion du sens du travail" (Claude Monnier, Sony Music)

Fonction RH | publié le : 04.01.2023 | Benjamin d'Alguerre

Une fonction RH qui placera le sens du travail et l’affect des salariés au sommet de ses priorités, c’est que prophétise Claude Monnier, Chief People Officer de Sony Music pour l’année 2023. Entretien.

Quels seront, selon vous, les grands enjeux RH de 2023 ?

Claude Monnier : Ces dernières années, la fonction RH s’est vue fortement sollicitée sur la question du « qui » en entreprise. Après une décennie 1990-2000 consacrée au recrutement des talents puis une autre (2000 – 2010) plutôt orientée sur la problématique de faire travailler ensemble plusieurs fonctions, ce que le corps social des entreprises et la hiérarchie attendent désormais de nous autres, DRH, c’est la gestion du sens du travail. En 2022, donner du sens au travail représentait 90% de mon temps et cette proportion passera sans doute à presque 100% en 2023 ! Aujourd’hui, sous la conjonction des diverses crises que nous traversons, l’affect des salariés occupe une place centrale dans leur rapport au travail. La vie personnelle et la vie professionnelle s’imbriquent comme jamais auparavant. L’époque où l’on exigeait d’un salarié qu’il dépose ses problèmes personnels à l’entrée de l’entreprise est totalement révolue. C’est encore plus vrai dans une entreprise à vocation artistique comme Sony Music où l’on travaille avec des artistes dont l’affect est déjà particulièrement exacerbé et parfois même à l’origine de leur créativité musicale. Par ailleurs, cette transformation profonde du rapport au travail, qui se traduit par des phénomènes que l’on a baptisé « grande démission » ou « quiet quitting », n’est pas réservée qu’à la génération Z ou à certains secteurs professionnels. Je constate qu’elle a tendance à être trans-générationnelle, trans-métiers ou trans-fonctions. C’est peut-être le retour de balancier de deux décennies où l’on a demandé aux salariés de tout donner à leur travail… en tous cas, c’est un sujet qui se place au carrefour des relations humaines, des sciences sociales et de la RSE.

Vous pensez que la pandémie de Covid-19 a été le déclencheur de cette situation ?

C.M : Je ne dispose d’aucune étude scientifique sur laquelle m’appuyer pour l’affirmer, alors je me garderai bien de le faire. En revanche, que la crise sanitaire ait constitué un accélérateur pour une tendance préexistante, c’est très possible. Cependant, je pense que ce qui se passe dans les entreprises en ce moment n’a rien d’un effet de mode : c’est un phénomène majeur, structurant et pérenne. Et la fonction RH se doit d’y apporter des réponses tout en veillant à conserver une « posture basse ». C’est-à-dire une attitude qui ne heurte ni l’affect, ni l’intimité des salariés.

Comment ce constat va-t-il se traduire chez Sony Music ?

C.M : Depuis dix ans, nous menons un travail de développement RH sur l’identité professionnelle, l’estime de soi, la gestion des temps faibles (ces moments où le salarié subit professionnellement le contrecoup d’un drame ou d’un coup dur personnel) et la créativité. Ce sont les quatre piliers structurants à partir desquels nous allons construire notre stratégie RH pour les années à venir. Comme je le disais, la fonction RH doit surtout rester en posture basse, humble, à l’écoute des acteurs et parfois, reconnaître qu’elle n’a pas toutes les réponses. Ce que n’ont pas davantage l’IA ou le Big Data. Dans ces conditions, les directions des ressources humaines doivent apprendre à travailler à la fois sur l’infiniment grand (les conseils d’administration des entreprises) et l’infiniment petit (écouter les salariés, les accompagner, etc.) en ayant bien à l’esprit de respecter leur identité professionnelle, mais aussi personnelle. Bref, il va falloir apprendre à gérer des flux plutôt que des stocks.

Votre secteur est aussi touché de plein fouet par le changement de mode de consommation de la musique par le public via des plateformes de diffusion comme Spotify ou de partage comme Youtube. Comment cela affecte-t-il le fonctionnement de Sony Music et le DRH que vous êtes ?

C.M : 50% de notre organisation est composée de métiers qui n’existaient pas il y a 5 ans comme des curateurs de méta-datas qui paramètrent des algorithmes pour produire les meilleures playlists possibles. Et pour tous ces nouveaux métiers, il n’existe aujourd’hui ni formation initiale, ni formation continue ! Nous sommes donc engagés dans un chantier de R&D permanent pour identifier les mélanges de savoir-être, compétences et affect nécessaires à l’exercice de ces nouveaux métiers. Et en plus, je dois m’interroger par-dessus sur le sens de ces métiers ! Ce sera mon chantier de l’année. Durant ma carrière, j’ai eu l’habitude de travailler sur des cycles RH longs (5-10 ans), puis moins longs (3-5 ans) et aujourd’hui, ma temporalité… ce sont des vidéos Tik-Tok de 10 secondes ! Nos équipes sont connectées 24 heures sur 24 pour repérer la tendance musicale du moment sur les réseaux sociaux pour identifier l’artiste et le signer ! Forcément, dans ces conditions, les relations avec les salariés ou les élus du personnel doivent se faire en synchronicité. Je reçois plus de messages WhatsApp en une journée que de mails. Evidemment, tous les secteurs professionnels ne sont pas concernés par cet impératif de synchronicité, mais pour moi, c’est devenu 50% des conditions du succès de la fonction RH !

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre