Les RH vont jouer un rôle moteur dans l’adoption et la diffusion des outils d’IA au sein des entreprises. C’est la conviction de Belkacem Laïmouche, pilote du groupe de travail RH au sein du Hub France IA, une thèse qu’il défend avec toute une série d’arguments.
Pourquoi les RH vont-elles jouer un rôle majeur dans l’adoption de l’IA dans les entreprises ?
Belkacem Laïmouche : Parce que le secteur des RH sera le premier à être transformée par l’IA. Ce sera, entre guillemets un « terrain de jeu » qui va permettre de démontrer la valeur de l'IA avec des tests de cas d'usage qui parlent à tous les employés sur des objets comme la paie ou la gestion de carrière. Les employés vont ainsi devenir des utilisateurs de solutions d’intelligence artificielle. Cela va permettre de faciliter la compréhension et de démystifier l'usage de ces outils. Très concrètement, cela passera par la mise en place de robots conversationnels qui prendront la place des RH pour répondre à des questions à faible valeur ajoutée, mais récurrentes, et qui portent toujours sur les mêmes thématiques. En mesurant la puissance de l'intelligence artificielle sur des sujets RH qui nous parlent en tant qu'utilisateurs et en tant que personnels concernés par cette thématique, les salariés pourront mieux mesurer la possibilité de transposer cette technologie dans d'autres activités de l'entreprise.
Les salariés ayant déjà échangé avec des chatbots n’ont pas toujours été satisfaits du résultat…
B. L. : Il est vrai que les chatbots actuels arrivent rapidement à des limites et les employés sont assez mitigés sur l'efficacité de ces outils, dont les technologies datent de plusieurs années et ne fournissent pas forcément de réponse à des questions complexes. Mais l'IA générative va nous faire entrer dans une nouvelle dimension puisque l'utilisateur se verra systématiquement proposer une réponse, quelle que soit la question. Autre changement important : il y aura une vraie personnalisation, c'est-à-dire qu'on aura l'impression de discuter avec un vrai humain en langage naturel, chose que ne permettaient pas forcément les anciennes générations d'intelligence artificielle. Avec l'IA d’aujourd'hui, et l'IA générative en particulier, on atteint un niveau de maturité qui laisse penser que les outils tels que les chatbots auront vraiment une utilité et une grande crédibilité vis-à-vis des utilisateurs.
Identifier les signaux faibles
Quels autres usages sont déjà possibles ?
B. L. : Il est possible d’automatiser les tâches récurrentes comme les demandes génériques adressées aux RH. Une IA peut proposer une réponse qu’il sera toujours possible de compléter et/ou modifier avant l’envoi. L’IA peut aussi faire gagner du temps dans le traitement des candidatures et l’identification de celles présentant le meilleur potentiel. Le temps nécessaire à la rédaction d’une offre d’emploi peut aussi être réduit. Certaines offres exigent de spécifier des compétences répertoriées dans des référentiels. Cela exige une veille continue qui est chronophage. Une IA peut se charger de ce travail de veille et rédiger une offre d’emploi actualisée. En matière de mobilité interne, les outils d’IA peuvent aussi identifier les fonctions qui correspondent le mieux aux profils déjà présents dans l’entreprise. Ces solutions permettent de proposer un plus grand éventail de trajectoires possibles pour les salariés, mais aussi de faire émerger des talents. D’autres processus peuvent être automatisés, comme le classement de documents tels que des devis et factures, ou la gestion de notes de frais avec une simple photo réalisée avec un Smartphone.
L’IA peut-elle contribuer à améliorer la qualité de vie au travail ?
B. L. : Les solutions d'IA pourraient permettre d'identifier des signaux faibles, que ce soit dans les échanges de mails entre salariés ou dans leurs comportements quotidiens. L’IA permet aussi de repérer la prise des jours de congé atypique. En analysant toutes les données, ces outils permettent de dégager des tendances et avoir un thermomètre qui peut renseigner sur la qualité de vie au travail de telle ou telle entreprise.
« Chacun peut construire son propre chatbot »
Les équipes RH ont-elles les compétences techniques pour produire de tels outils ?
B. L. : Les IA conventionnelles nécessitaient d'avoir sous la main des data scientistes, des personnes qui savent programmer des algorithmes de machine learning, etc. Aujourd’hui, il est aussi possible d’accéder à la puissance de l'IA générative et d’utiliser des briques déjà préprogrammées qu'il est possible d’ajuster et d’entraîner avec les données d’un contexte particulier. Chacun peut construire son propre chatbot sans être forcément un expert ou un technicien spécialiste des algorithmes.
Est-ce avec de tels outils que les équipes RH peuvent montrer la voie aux autres métiers ?
B. L. : Exactement, elles peuvent montrer l'intérêt de l’IA et les DRH doivent profiter de la vitrine que constitue le comex de l'entreprise pour évoquer la question de l’IA et de ses usages, parce que c’est le premier métier qui sera transformé par cette technologie. Les DRH doivent utiliser le comex pour valoriser et essayer par ricochet de faire boule de neige pour les autres métiers de l'entreprise.
Sensibiliser les utilisateurs
Quels acteurs les DRH doivent-ils mobiliser pour lancer un projet d’intelligence artificielle à l’échelle de l’entreprise ?
B. L. : Il faut associer plusieurs acteurs. D’abord la DSI, qui doit être associée au plus tôt dans les projets, notamment au moment de l'expression du besoin, afin qu’elle puisse anticiper les besoins techniques et les éventuelles difficultés d'intégration de solutions d'intelligence artificielle. Ensuite, il y a les équipes de communication interne, pour informer en toute transparence les agents, les salariés et les rendre peut-être acteurs du projet, c'est-à-dire en proposant, en suggérant des idées de cas d’usage. Et puis il faut aussi mobiliser les managers, le middle management plus exactement, pour justement créer une culture de l'IA et aider à évangéliser en interne.
Quelles précautions doivent être prises pour utiliser ces technologies ?
B. L. : Ces technologies doivent être utilisées avec parcimonie et avec certaines précautions. Elles nécessitent au préalable d’être alimentées avec des données de qualité. Les équipes RH doivent donc identifier une base de données en interne qui puisse être de qualité suffisamment exhaustive pour entraîner des algorithmes. Il faut aussi prendre en compte le fait que ce sont des solutions qui peuvent « halluciner », parce que ce sont des algorithmes qui reposent sur ce qu'on appelle de « la statistique sémantique », c'est-à-dire que l’outil fournira toujours une réponse, mais parfois elle peut être décorrélée de la réalité. L’IA générative fournit une réponse qu’elle a calculée comme étant probablement la plus pertinente. Il faut donc sensibiliser les utilisateurs pour mettre les warnings là où c'est nécessaire. Et ensuite charger les employés ou les utilisateurs d’effectuer une surveillance continue afin que le système ne dérive pas. Il faut donc réaliser des tests réguliers pour vérifier qu’à une question donnée le système fournisse bien la réponse attendue.