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(8) Frédérique Giavarini (Fnac-Darty) : « Il faut mettre en place une conduite du changement »

Fonction RH | publié le : 07.07.2020 | Gilmar Sequeira Martins

Jusqu'au vendredi 17 juillet, vous retrouverez chaque matin dans votre newsletter infosocialrh (et sur le site info-socialrh.fr) l'interview de l'un des quatorze DRH membres du comité éditorial d'«Entreprise & Carrières» et de «Liaisons sociales magazine», interrogé sur la crise, sur la gestion de celle-ci et sur les enseignements qu'il en tire. Aujourd'hui, Frédérique Giavarini, secrétaire général en charge de la RH, de la RSE et de la gouvernance du groupe.

 

Quelles mesures avez-vous prises pour vos collaborateurs au début du confinement ?

Frédérique Giavarini : À l’annonce du confinement, nous avons fermé l’ensemble de nos magasins dans tous nos pays, à l’exception du Portugal, où ils ont fermé quelques jours plus tard, et des Pays-Bas, où ils sont restés ouverts sur toute la période. Globalement, seule l’activité Internet a été maintenue, ainsi que la logistique, les livraisons, les interventions à domicile et la relation client à distance. C’est au total plus de 80 % des salariés qui ont été mis en activité partielle en France et à l’étranger. L’ensemble des salariés des sièges, dont les équipes RH, a basculé en télétravail, y compris des salariés qui n’avaient jamais télétravaillé comme ceux de la paie. Ce changement a été mené de façon très rapide. J’ai aussi été en télétravail, comme l’ensemble des salariés du siège du groupe. Le comex a tenu des réunions quotidiennes jusqu’au début du mois de juin.

Comment s’est organisé le travail de vos équipes RH ?

F. G. : La RH et en particulier l’équipe paie ont connu une période très intense et compliquée du fait de la complexité de la situation et de la rapidité exigée pour le traitement des déclarations. Les six premières semaines furent d’une intensité rare et pas seulement pour les managers. Nous avons aussi assuré des échanges très fréquents avec les partenaires sociaux pour les tenir informés de la situation et travailler avec eux à la mise en place des mesures sanitaires nécessaires pour les activités poursuivies. C’était un point crucial comme l’ont démontré les situations d’autres entreprises (Amazon ou La Poste).

Quel mode de communication interne avez-vous mis en place ?

F. G. : La communication interne a été très riche et très fréquente. Nous avons utilisé les canaux existants comme le site intranet du groupe que nous avons alimenté avec des informations sur la situation de l’entreprise, les mesures sanitaires mais aussi avec des reportages sur les activités poursuivies (la logistique par exemple), des conseils pour ceux qui étaient en télétravail ou encore des conseils de vie quotidienne et des défis / jeux pour tous ceux qui étaient confinés… Le LeadershipGroup, qui est constitué des 150 top managers, a été réuni virtuellement très fréquemment (et beaucoup plus qu’à l’accoutumée) pour partager les informations clés sur la situation du groupe. La communication managériale s’est adaptée au télétravail en devenant elle aussi plus fréquente, avec des interventions plus brèves, qu’il s’agisse des réunions d’équipes ou des échanges individuels. J’ai pour ma part fait des points avec mon équipe plusieurs fois par semaine et pris également contact avec des collaborateurs en activité partielle pour m’assurer qu’ils allaient bien et leur donner de la visibilité sur les échéances.

Avez-vous invité vos collaborateurs à se former  ?

F. G. : Nous avons invité les équipes à se former aux outils nécessaires au télétravail, pour les aider à mieux concilier vie professionnelle et personnelle, et nous avons rendu obligatoire pour tous les managers la formation au management à distance.

Avez-vous recruté pendant la période de confinement et selon quelles modalités ?

F. G. : Le recrutement s’est globalement arrêté, à quelques exceptions près. Mais nous avons pu accueillir quelques rares nouveaux salariés pendant le confinement.

Avez-vous négocié un accord de crise avec vos organisations syndicales ?

F. G. : Afin de préparer au mieux la reprise de l’activité qui s’annonçait très incertaine, nous avons engagé des négociations avec les partenaires sociaux au niveau du groupe à partir de la mi-avril pour mettre en place une modulation du temps de travail et gérer la prise de congés dans le nouveau cadre légal : l’objectif était de pouvoir adapter le dimensionnement des équipes à la réalité de l’activité. Ces négociations, qui ont ensuite basculé au niveau des enseignes à la demande des partenaires sociaux, ont permis d’aboutir à un accord pour l’enseigne Darty, qui connaît ce type d’organisation du travail, mais elles ont échoué au niveau de l’enseigne Fnac. À la demande des organisations syndicales de certaines sociétés Fnac, nous avons toutefois rouvert les discussions et finalement signé des accords avec le siège, les magasins en périphérie de ville, les sociétés de service après-vente ainsi que chez Nature & Découvertes. En mars, nous avions maintenu la rémunération de l’ensemble des salariés du groupe. En avril et jusqu’à la fin du confinement, seuls les salariés des sociétés couvertes par un accord ont vu leur rémunération maintenue à 100 %, soit environ 13 500 des 18 000 salariés du groupe. En avril, les dirigeants ont décidé de réduire de 25 % leur rémunération, de même que les membres du conseil d’administration ainsi que le comex (-15%).

Avez-vous changé de regard sur vos collaborateurs, vos équipes RH, vos organisations syndicales, votre direction générale à l’occasion de cette crise ?

F. G. : Cette période a confirmé des convictions et tendances (télétravail, quête de sens, évolution des modes de management, responsabilité de l’entreprise, besoin d’agilité) plutôt que changé le regard. Elle a renforcé le sentiment d’urgence de procéder à ces transformations.

Avez-vous changé de regard sur le télétravail, le travail à distance ?

F. G. : J’étais convaincue que le télétravail était possible et inéluctable mais il restait relativement exceptionnel même si un accord avait été conclu au siège. Il était considéré comme impossible de l’appliquer à une grande proportion de salariés. Tout cela a été balayé du jour au lendemain. Même le service de paie est passé en télétravail. Aujourd’hui, le télétravail est possible et souhaitable et nous savons que les salariés du siège souhaitent bénéficier de deux à trois jours de télétravail hebdomadaire de façon durable. Cette demande va perdurer et nous devons accompagner les salariés et les managers vers le télétravail, car il a aussi des limites. Ce mode de travail exige un management de proximité avec des échanges plus fréquents, il requiert aussi de la confiance et présuppose l’engagement des salariés. Dans un tel cadre, le besoin de sens et la communication sont des éléments clefs. Il faut aussi accompagner les salariés qui télétravaillent dans leur organisation et la fixation des priorités. Beaucoup peut être fait en télétravail à l’aide des outils numériques mais pour ce qui relève de l’innovation et de la cocréation, je pense que la présence physique est nécessaire. Le télétravail ne peut pas être permanent, y compris pour les professions qui s’y prêtent. Ce n’est d’ailleurs pas le souhait des salariés qui préfèrent une forme de mixité. Dans la période actuelle de reprise post-Covid, il faut gérer la complexité liée à des formes de travail mixtes où les salariés sont pour partie présents et pour partie en télétravail. Nous devons mettre en place des outils spécifiques pour faciliter l’organisation des réunions qui mêlent présentiel et distanciel. L’un des enjeux actuels est de rassurer certaines personnes qui appréhendent le retour au bureau. Nous devons leur redonner envie de revenir en valorisant le lien social, en donnant des perspectives sur la QVT et, bien sûr, en les rassurant sur les conditions sanitaires de retour au travail.

Avez-vous changé de regard sur le management ?

F. G. : Les managers se sont adaptés au télétravail. J’ai toujours été convaincue que les managers de proximité avaient un rôle majeur à jouer. Et cette période a renforcé ma conviction que les modes de management devaient évoluer, ne serait-ce que pour mieux satisfaire les attentes des nouvelles générations et accompagner les nouvelles formes de travail. Cette période fait mieux percevoir les raisons qui rendent nécessaires la plus grande responsabilisation des équipes, leur autonomie et le besoin de plus de sens au travail. Cette évolution des modes de management demandera du temps. La formation ne suffit pas, il faut mettre en place une conduite du changement, travailler sur les organisations et sur la gouvernance.

Avez-vous changé de regard sur votre entreprise, votre rôle dans l’entreprise, votre métier ?

F. G. : J’ai toujours été convaincue que la DRH a un rôle stratégique clef dans les organisations et en particulier dans la nôtre car nous sommes une entreprise « people intensive ». L’humain fera plus que jamais la différence. Dans cette crise, les RH ont été en première ligne. La responsabilité de l’entreprise est désormais une évidence, compte tenu des enjeux climatiques et du désengagement de l’État sur le long terme. Avec une telle crise, la RSE de l’entreprise est mise au premier plan dans les discours mais cet enjeu n’est pas toujours positionné au cœur des priorités des entreprises et des investisseurs. Parfois, je me demande si le monde d’après ne sera pas pire que le monde d’avant. Les investisseurs restent très court-termistes dans leurs attentes vis-à-vis des entreprises. Les entreprises restent soumises à des injonctions contradictoires et je ne suis pas convaincue que les choses aient évolué.

Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

 

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins