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(6) Serge Derick (BPCE) : "L'humain doit être au cœur des modèles business et managériaux"

ISRH | Fonction RH | publié le : 03.07.2020 | Lys Zohin

Serge Derick.

Crédit photo DR

Jusqu’au vendredi 17 juillet, vous retrouverez chaque matin dans votre newsletter infosocialrh (et sur le site info-socialrh.fr) l’interview de l’un des quatorze DRH membres du comité éditorial d’«Entreprise & Carrières» et de «Liaisons sociales magazine», interrogé sur la crise, sur sa gestion de celle-ci et sur les enseignements qu’il en tire. Aujourd’hui, Serge Derick, directeur stratégie et développement social et RH à la DRH du groupe BPCE.

Quelles mesures avez-vous prises au début du confinement ?
Serge Derick :
Les réseaux bancaires du groupe (Caisse d’épargne et Banque populaire) ayant été reconnus d’importance vitale, nous nous devions de maintenir un service à la clientèle, avec le plus grand nombre possible d’agences ouvertes, mais selon des modes aménagés (sur rendez-vous ou sur filtrage, par exemple). Par ailleurs, à l’échelle du groupe, la décision a été prise de ne pas recourir au chômage partiel. Nous ne voulions pas aller chercher l’aide de l’État. En conséquence, nous avons privilégié le télétravail, à plus de 95% chez Natixis ainsi qu’au sein de nos filiales IT, par exemple, et à 50% dans les établissements régionaux, associé dans certains cas à une dispense d’activité pour les collaborateurs ne pouvant travailler. À cela se sont ajoutées plusieurs mesures d’aménagement des organisations du travail mises en place pour les gardes d’enfant et l’aide aux personnes vulnérables, notamment. À l’étranger, nous nous sommes conformés aux dispositions prises par le pays.

Comment s’est organisé le travail de vos équipes RH ?
S. D. :
Au niveau de la DRH groupe, les équipes ont été mises en télétravail pour la plupart, à l’exception de celles juridiques et sociales, restées en présentiel. Si certaines des actions habituelles de gestion de carrière et de recrutement ont été suspendues, l’activité n’en a pas moins été très intense et concentrée sur d’autres, particulièrement dans le domaine social – du fait de la veille à effectuer, en particulier sur les sujets juridiques, et de la coordination des actions à l’échelle du groupe. Pour ce faire, nous avons mis en place un « noyau dur » de quatre personnes de la DRH groupe, en contact journalier – avec des call hebdomadaires aux 60 DRH de l’ensemble du groupe –, le but étant de partager, entre autres, la mise en œuvre opérationnelle des recommandations des autorités sanitaires et gouvernementales auxquelles nous avions décidé de nous conformer au fil de l’eau (avec l’appui d’une FAQ interne). En outre, des réunions téléphoniques hebdomadaires ont été menées avec les deux instances de négociation de branche (pour les Caisse d’épargne et les Banques populaires). Il s’agissait, au-delà du social, de faire des points réguliers sur la crise et d’informer sur les mesures opérationnelles prises mais aussi de partager une information plus générale de l’impact de la crise sur l’activité commerciale, en étroite concertation avec les équipes commerciales, et sur le plan de continuité d’activité. Les équipes formation ont été quant à elles fortement mobilisées pour reconsidérer l’ensemble des formations présentielles en distanciel.

Comment vous-même avez-vous travaillé ?
S. D. :
L’équipe du social est restée en présentiel – avec des journées très longues ! L’esprit d’équipe a joué à plein, avec une forte densification du relationnel. Pour ma part, j’ai consacré l’essentiel de mon temps à la gestion de la crise, en misant sur l’autonomie et sur la responsabilisation des managers pour animer les équipes et les projets, au quotidien et en proximité, par rapport à toutes les autres fonctions RH de la direction.

Comment ont fonctionné les instances dirigeantes de votre entreprise ?
S. D. :
La mobilisation de l’ensemble des équipes dirigeantes du groupe a été quotidienne. D’autant que ce qui caractérise notre groupe, c’est une très grande proximité des directions avec leurs équipes sur le terrain. Une cellule de crise d’une trentaine de personnes, pilotée par un membre du comité de direction générale, a été animée tous les jours au plus fort de la crise. Elle l’est encore aujourd’hui, deux fois par semaine.

Quel mode de communication interne avez-vous mis en place pendant le confinement ?
S. D. :
La volonté a été de donner non seulement de l’information sur le sujet sanitaire et social mais aussi sur les activités commerciales et sur la vie de l’entreprise à destination de l’ensemble des collaborateurs, avec une grande diversification des supports (newsletters, vidéos…). À titre d’illustration, Laurent Mignon, le président du directoire du Groupe BPCE, s’est adressé directement aux collaborateurs de l’ensemble de la communauté de BPCE à plusieurs reprises par mail, par vidéo et par le réseau social interne. Les banques étaient fortement mobilisées dans le cadre de différentes mesures gouvernementales, comme le prêt garanti par l’État. Une façon de montrer notre utilité, élément mobilisateur pour les équipes.

Avez-vous invité vos collaborateurs à se former ?
S. D. :
Oui. Les managers ont ainsi pu suivre des modules de techniques de management à distance, et ils ont eux-mêmes mobilisé les collaborateurs, qui pouvaient suivre également des formations à distance, en particulier sur les aspects réglementaires, essentiels dans notre métier, avec l’idée de libérer du temps pour l’après-crise. Enfin, les équipes de formation et de communication ont élaboré des tutoriels sur la Covid, les gestes barrière, etc., à destination de l’ensemble des salariés. Notre plateforme SpeachMe (partage de modules de formation) a d’ailleurs enregistré une hausse très sensible de speach (publications) des salariés durant la période.

Avez-vous recruté, et selon quelles modalités ? Avez-vous dû procéder à des suppressions d’emplois ?
S. D. :
Les recrutements ont ralenti, effectivement, même si une grande partie du sourcing s’effectue depuis des canaux digitaux. Nous allons cependant tenter de tenir nos objectifs en ce qui concerne les alternants. Et nous n’avons pas l’intention de supprimer des emplois du fait de la crise.

Avez-vous négocié un accord de crise avec vos organisations syndicales ?
S. D. :
Nous n’avons pas négocié d’accord de branche, mais nous avons mené, entreprise par entreprise, la concertation sociale, dans un dialogue très rapproché avec les CSE notamment, et avec les CSSCT, en ce qui concerne les mesures sanitaires bien sûr, mais aussi l’organisation du travail, les congés payés et les RTT. Nous n’avons d’ailleurs pas imposé de jours de congé au sein du groupe, même s’il y a eu accord dans quelques établissements pour mieux planifier les absences et éviter, post-confinement, les reports et la prise de congés massive.
Par ailleurs, nous n’avons pas fait d’accord solidaire pour garantir le maintien de salaire des collaborateurs placés en activité partielle pour garde d’enfants et situation de santé fragile. Ces situations ont été gérées en local, dans un cadre de cohérence groupe. Nous n’avons eu aucun contentieux pendant la période de confinement. Et si certaines de nos entreprises pouvaient craindre un exercice du droit de retrait, cela ne s’est pas produit. La qualité du dialogue social et la proximité entre management et équipes ont permis de gérer cette période de façon consensuelle et responsable.

Avez-vous changé de regard sur vos collaborateurs, vos équipes RH et vos organisations syndicales, à l’occasion de cette crise ?
S. D. :
Nous entretenions déjà des relations en grande proximité avec tous au sein des RH, ainsi qu’avec la grande majorité des organisations syndicales. Le fait de réunir les représentants syndicaux pour les informer et nous concerter avec eux en dehors d’un contexte classique de négociation a permis d’enrichir le dialogue social. J’espère que nous allons pouvoir capitaliser sur cette période. Ainsi, le travail à distance comme la QVT feront partie des sujets qui vont se nourrir des enseignements de cette crise, avec un regain d’intérêt mais aussi de nouveaux risques.
En ce qui concerne les managers et les collaborateurs, la période a été très responsabilisante et la crise n’a pu que renforcer les caractéristiques de chacun. Enfin, en ce qui me concerne, je suis encore plus convaincu qu’auparavant de la nécessité d’une accélération et d’une intensification de la transformation. Et je pense que les équipes RH vont me rejoindre sur la nécessité qu’elles ont à se transformer elles aussi. Nous allons organiser des retours d’expérience en ce sens.

Avez-vous changé de point de vue sur le télétravail ?
S. D. :
Si j’étais déjà convaincu des bienfaits du télétravail, ce n’était pas le cas de tous. Mais la période a changé le regard collectif sur ce sujet. Bien entendu, il s’agit d’avoir les équipements nécessaires, de même, sans doute, que des accords nouvelle génération, car il faut organiser le télétravail et l’encadrer, notamment en ce qui concerne le droit à la déconnexion. Reste aussi la question des espaces de travail, que l’on pourra reconfigurer.

Avez-vous changé de regard sur votre rôle dans l’entreprise, votre métier ?
S. D. :
J’espère qu’au niveau de la DRH groupe, cette période nous permettra de valoriser le rôle de coordination, de concertation et d’impulsion du changement.

Avez-vous changé de regard sur le rôle de l’entreprise et sur sa responsabilité sociale et sociétale ?
S. D. :
Nous travaillons actuellement sur notre plan stratégique qui pourrait ne pas se traduire par une formulation de raison d’être unique pour le groupe, mais déclinable en fonction de la diversité de nos métiers. Ce qui apparaît clairement en tout cas, c’est que les entreprises s’aperçoivent, tant vis-à-vis de leurs clients que de leurs collaborateurs et de toutes leurs parties prenantes, que l’humain doit être au cœur de leurs modèles business et managériaux. C’est ce qui, avec le retour d’expérience, donnera du sens à nos engagements.

Cette crise a-t-elle eu un impact négatif pour votre entreprise ? A-t-elle eu, malgré tout, des effets bénéfiques ?
S. D. :
Si l’on s’en tient à la seule lecture des résultats, nous n’aurons pas d’effets bénéfiques. La suite nous dira ce qu’il en est de la portée réelle de la crise, du fait que certains secteurs, comme les collectivités locales, ont suspendu leurs investissements. De même au niveau des entreprises, pour lesquelles il n’est pas sûr que nous ayons un regain d’activité rapide, compte tenu de la crise économique. Enfin, pour les particuliers, les associations ou autres, cela risque d’être la même chose. Et si le confinement a permis de reconsidérer l’image des banques, qui ont un problème d’attractivité, en montrant qu’elles étaient là pour soutenir l’activité, et a accru la fierté d’appartenance des collaborateurs à notre groupe, la crise économique pourrait obérer ces effets bénéfiques, en fonction des impulsions que nous pourrons donner dans nos politiques salariales et nos recrutements. Bref, le seul effet bénéfique que je vois, c’est que la crise nous pousse à nous remettre en cause plus vite et à nous transformer.

Propos recueillis par Lys Zohin

Auteur

  • Lys Zohin