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2) Rémi Boyer (Korian) : "S’il y avait encore des doutes, cette période a démontré que la fonction de DRH est une fonction clé"

Fonction RH | publié le : 29.06.2020 | Gilmar Sequeira Martins

Rémi Boyer.

Crédit photo DR

Jusqu’au vendredi 17 juillet, vous retrouverez chaque matin dans votre newsletter infosocialrh (et sur le site info-socialrh.fr) l’interview de l’un des quatorze DRH membres du comité éditorial d’"Entreprise & Carrières" et de "Liaisons sociales magazine", interrogé sur la crise, sur sa gestion de celle-ci et sur les enseignements qu’il en tire. Aujourd’hui, Rémi Boyer, directeur des RH et de la RSE du Groupe Korian.

Quelles mesures avez-vous prises pour vos collaborateurs au début du confinement ?
Rémi Boyer :
Pour Korian, comme pour d’autres métiers de première ligne, l’activité s’est renforcée lors de la crise pour accompagner nos résidents, nos patients et nos équipes. Le Covid-19 a bousculé les conditions d’exercice sanitaires de nos métiers mais l’entreprise s’est mise en ordre de marche très rapidement avec la mise en place d’une cellule de crise Groupe dès mi-février, ainsi que dans nos six pays en Europe. Nous avons pu anticiper nos actions grâce à l’antériorité de l’Italie. Nous avons mis en télétravail toutes les équipes du siège, soit plus 600 personnes en France sur 24 000. Nous gérons 400 établissements en France, dont 308 Ehpad et plus de 80 cliniques spécialisées.

Quel mode de communication interne avez-vous mis en place ?
R. B. :
La communication interne a été renforcée pour soutenir le travail très professionnel et l’engagement des équipes. Nous avons alimenté notre Intranet, nous avons créé un site Internet dédié avec des nombreux témoignages, des encouragements, et nous avons diffusé des newsletters régulières mais aussi les protocoles sanitaires et des échanges de bonnes pratiques entre les pays.

Avez-vous invité vos collaborateurs à se former ?
R. B. :
Notre activité ayant été très sollicitée pendant l’épidémie, nous avons continué à renforcer notre système de formation en le priorisant autour des mesures d’hygiène en particulier, pour assurer la protection des résidents, des patients et des salariés.

Avez-vous recruté, et selon quelles modalités ?
R. B. :
Une part du personnel ayant été touchée par le Covid, nous avons procédé au remplacement et au renforcement des équipes avec le recrutement en CDD de 4 200 personnes en France, entre mars et fin avril. Pour gérer cette situation, nous avons reconverti une partie des équipes du siège  pour renforcer notre cellule de sourcing interne qui est passée durant la crise de cinq à 35 personnes. Leur mission consistait à contacter sept jours sur sept des remplaçants potentiels afin de compléter les équipes d’encadrants et de soignants. Nous travaillons également depuis deux ans avec la start-up MedGo, spécialisée dans la mise en relation entre les vacataires potentiels et les établissements de soin, grâce à un système automatisé de SMS. Cela nous permet de faciliter la gestion des  remplacements. Supprimer des emplois ? Cela aurait été un comble. Notre secteur ne supprime pas d’emplois, il en crée ! Nous avons des besoins durables en recrutement :  nous recrutons 4 500 personnes par an en France, 14 000 à l’échelle du groupe, et à l’heure actuelle la demande se monte à 60 000 postes d’aides-soignantes chaque année en France. Cet écart, du fait de la capacité réduite du système de formation à préparer des professionnels, va persister au moins durant les trois années à venir. L’Allemagne est dans une situation aussi préoccupante, les dernières études montrant qu’il va falloir pourvoir 600 000 postes de soignants sur la prochaine décennie…

Avez-vous négocié un accord de crise avec vos organisations syndicales ?
R. B. :
Cela n’a pas été nécessaire, mais nous avons considérablement renforcé le dialogue social dès le mois de mars, puisque la fréquence du CSE central est passée de quatre réunions obligatoires par an à deux par semaine – soit 25 réunions au cours de la crise. Cela nous a permis de répondre aux représentants du personnel, en particulier au début de la crise, sur toutes les questions liées aux équipements de protection individuels. Depuis juin, le CSE se réunit une fois par semaine. La première semaine de juin, nous avons présenté au CSE central, sur la base des enseignements de cette période, un plan de réflexion sur le contrat social Korian. Ce plan va se baser d’abord sur une phase d’écoute, réalisée par Dialogues et Alixio. Nous sommes en train de négocier un accord de méthode qui permettra de caler avec les organisations syndicales le programme de négociation pour les prochains mois ; entre autres thématiques, nous prévoyons de négocier  un  accord portant sur la santé et la sécurité au travail, la gestion des emplois et des parcours professionnels, la VAE des personnes engagées dans une carrière syndicale, les NAO, le renouvellement de l’accord handicap, ainsi que le renouvellement de l’accord QVT, le premier du secteur, conclu en 2017 et qui arrive aussi à échéance en 2020. Une table ronde sociale se tiendra en septembre pour dresser le bilan des groupes d’écoute et ainsi nourrir le contenu de nos négociations.
Nous comptons aussi finaliser cette année un accord sur la gestion de l’emploi et des parcours professionnels (GEPP) qui traitera de la question des mobilités. C’est important car nous pourrons ainsi améliorer la capacité du groupe à accueillir des personnes issues d’entreprises en transformation, ce transfert pouvant se faire à travers une plate-forme territoriale de reconversion professionnelle. Nous avons déjà pris contact avec quelques entreprises comme Sodexo ou Transdev dans l’idée de faire « matcher » l’offre et la demande au plus près des territoires, sachant que le Groupe Korian est implanté et a des besoins partout en France. La grande distribution pourrait être également intéressée car s’y trouvent des agents de services déjà habitués aux métiers de la relation. Ils pourraient nous rejoindre et nous pourrions les former, soit à travers des congés formation cofinancés, soit par le biais de l’apprentissage.
Nous avons deux projets dans ce domaine. Avec d’autres partenaires (Accor, Accor Invest, Sodexo, Adecco), nous lançons le CFA des Chefs dont la première promotion sera recrutée en septembre. Un deuxième CFA, dédié au soin et lancé en propre par Korian (hors les murs), sera créé en septembre. Nous avons déjà reçu la validation de la Direccte de Rhône-Alpes. Il formera 200 à 400 apprentis par an. La première promotion sera accueillie en 2021. Ce CFA bénéficiera des ressources de notre learning-hub, dédié à l’innovation digitale en matière de formation, que nous lançons en septembre prochain.

Avez-vous changé de regard sur vos collaborateurs, vos équipes RH, vos organisations syndicales, votre direction générale, à l’occasion de cette crise ?
R. B. :
Nous avons constaté la très grande résilience de l’entreprise, j’étais très impressionné par la capacité de l’entreprise à se concentrer intégralement sur son métier de base : le soin. Les salariés n’ont pas compté leur temps… Une enquête interne montre que la fierté de soigner est toujours première. Le management s’est resserré, ressoudé, tout comme les équipes qui ont été soutenues par leur environnement local, par exemple par des petites attentions comme des bouquets de fleurs de la part de partenaires locaux. Les Ehpad sont le plus souvent situés au sein d’écosystèmes locaux très « supportifs ».
Nous avons été très vigilants sur les protections pour les salariés (blouses, charlottes, masques, surchaussures). Mais un des points de sortie de la crise est qu’il faudra poursuivre les réflexions sur la santé et la sécurité des personnels, comme l’avait souligné le rapport El Khomri. Les soignants ont tendance à se soigner après avoir soigné. Installer une culture de la santé au travail est un objectif du secteur. Nous allons y travailler et nous souhaitons conclure un accord sur ce thème à l’automne.
La crise a confirmé que le secteur du grand âge et de l’accompagnement des plus fragiles est un enjeu majeur de la société, comme le prouve la virulence médiatique en mars et avril. Notre secteur suscite l’intérêt des Français mais il faut trouver des solutions pour qu’il soit doté des moyens dont il a besoin pour fonctionner. Le regard de la société a changé mais le paradoxe demeure : les soignants ont été applaudis à 20 h mais le secteur reste sous-financé et manque d’effectifs.

Avez-vous changé de regard sur votre entreprise ? Votre rôle dans l’entreprise ? Votre métier ?
R. B. :
S’il y avait encore des doutes sur l’utilité de la fonction de DRH, cette période a démontré que c’est une fonction clé, en particulier les entreprises à forte densité de main-d’œuvre. Le DRH joue un rôle stratégique d’accompagnement, en particulier dans la définition du contrat social de l’entreprise, notion qui inclut notamment le cadre de travail, la santé, la rémunération et la formation. Notre ambition est de faire de Korian une entreprise apprenante pour améliorer la rétention des équipes et d’être la référence du secteur en matière de qualité du travail.

Cette crise a-t-elle eu un impact négatif, mais aussi des effets bénéfiques pour votre entreprise ?
R. B. :
Cette crise a mis en lumière les difficultés de compréhension du modèle de l’Ehpad. Ce n’est pas un hôpital ou une clinique, mais un lieu de vie. En cas de pandémie, nous n’avons pas les mêmes ressources qu’une structure sanitaire. Notre secteur doit donc mieux faire comprendre son modèle de fonctionnement. La question de la fin de vie intéresse les Français et il faut leur apporter des réponses. L’un des impacts bénéfiques a été le renforcement des liens avec les parties prenantes, très nombreuses autour de nos sites, que ce soient les autorités de tutelle, les familles de résidents, notamment. Nous allons continuer à travailler avec elles pour améliorer la compréhension de notre modèle de groupe privé lucratif.

Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins