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(13) Sylvie Peretti (Generali): "Le tout-télétravail présente le risque d’entraîner davantage d’effets négatifs que positifs"

ISRH | Fonction RH | publié le : 08.07.2020 | Benjamin d'Alguerre

Jusqu'au vendredi 17 juillet, vous retrouverez chaque matin dans votre newsletter infosocialrh (et sur le site info-socialrh.fr) l'interview de l'un des quatorze DRH membres du comité éditorial d'«Entreprise & Carrières» et de «Liaisons sociales magazine», interrogé sur la crise, sur la gestion de celle-ci et sur les enseignements qu'il en tire. Aujourd'hui, Sylvie Peretti, membre du Comex de Generali en charge des ressources humaines.

Comment Generali s’est-elle adaptée à la crise ?
Sylvie Peretti : Nous avons la chance d’appartenir à un groupe italien et nous avions donc vu venir la crise. Nos collègues asiatiques ont été confinés les premiers et le tour de l’Italie est venu peu de temps après. Dès la fin janvier, nous anticipions déjà l’arrivée de la crise en France. D’ailleurs, l’inauguration du nouveau siège de la Generali Academy, qui aurait dû se tenir à Trieste le 5 février, avait déjà été reportée sine die. Nous n’avons donc pas été pris de court. Lorsque le confinement est finalement survenu en France, nous étions d’autant prêts que que nous étions déjà armés :  d’une part grâce à notre accord de télétravail couvrant 50% de nos collaborateurs et, d’autre part, du fait des grèves de décembre qui nous avaient permis de tester le travail à distance pour 90% des équipes administratives. Bien sûr, dans les conditions de la crise, le passage à 100% fut une vraie nouveauté, mais vu notre expérience en la matière, notre équipe IT était prête et organisée. La bande passante a été multipliée par deux, des galets 4G ont été fournis à ceux qui ne disposaient pas des connexions Internet nécessaires et des ordinateurs ont été prêtés aux collaborateurs qui n’en possédaient pas. 

Tous vos salariés ont-ils été placés en télétravail ?

S.P.: Oui, le travail à distance a été généralisé, même si certaines tâches ne pouvaient être effectuées. Pour les commerciaux notamment. Nous aurions pu les placer en activité partielle ; nous avons plutôt choisi de leur confier des tâches supplétives pour remplacer l’activité de vente qu’ils n’étaient plus en mesure de réaliser :  les former massivement grâce aux contenus de notre académie (notre service de formation interne) disponibles en e-learning, les faire participer à des campagnes d’appels clients et dès la mi-avril,  les préparer à la reprise de leur activité commerciale à l'horizon du 11 mai. Il leur a été demandé également de prendre quelques jours de RTT ou de CET. Ce qui a été intéressant, durant cette période, ce fut la mise en place de systèmes d’entraide entre services. L’idée était d’identifier ceux que la crise avait contraints au sous-emploi et de permettre à ces équipes de soutenir temporairement d’autres fonctions en surcharge. Par exemple, les équipes de la communication événementielle ont pu assister les commerciaux dans leurs campagnes de phoning. Les spécialistes de certains domaines assurantiels, moins sollicités pendant le confinement, ont été affectés en renfort auprès de leurs collègues spécialistes d’autres secteurs qui le furent beaucoup plus (comme celui de l’indemnisation santé). Toute cette opération a été pilotée par les managers et les partenaires RH. Cela nous a permis de ne pas recourir au chômage partiel. En fin de crise, nous avons organisé des consultations de ces salariés concernant l’expérience qu’ils avaient vécue et leurs retours ont été très positifs.

Les formations dispensées à vos équipes commerciales l’ont-elles été au titre du FNE-Formation ?

S.P.: Non. Nos formations sont spécifiques à l’entreprise. Nous les avons prises en charge sur les fonds du plan de développement des compétences et elles ont été dispensées par nos équipes. Certains de nos collaborateurs ont pu suivre jusqu’à 300 heures de formation durant le confinement.

Comment l’entreprise a-t-elle conservé le lien avec les salariés pendant ces deux mois ?

S.P.: Grâce à un plan de communication interne adapté et renforcé qui s’est décliné au travers de nombreuses initiatives : réunions d’information à distance régulières sur l’évolution de la pandémie (identification des clusters…) ; annonce des mesures mises en place par l’entreprise (règles de déplacements, mise en place du télétravail, nouvelle organisation du travail…) ; création d’une publication hebdomadaire « feel good » consacrée aux bonnes nouvelles et aux informations pratiques (comprenant des reportages ou des témoignages de collaborateurs) ;  rappel régulier des règles d’organisation ; augmentation de la fréquence des réunions de direction (rassemblant plus d’une centaine de personnes par visioconférence) ; demande aux managers d’organiser, eux aussi, une réunion hebdomadaire avec leurs équipes ou de multiplier les appels personnels afin de prendre de leurs nouvelles. Enfin, nous avons mis en place une plateforme téléphonique pour permettre aux salariés confinés de rester en contact avec tous les services internes (RH, informatique, gestion technique, santé au travail) dont ils pouvaient avoir besoin. Une autre hotline, dédiée au soutien psychologique, a aussi été ouverte. Elle n’a pas rencontré un grand succès.

Ces réunions plus fréquentes ont-elles aussi concerné le dialogue social ?

S.P.: Oui. Entre le 10 mars et le 20 mai, nous avons animé plus de  25 réunions sociales (CSE, CSSCT, DSC, etc.) afin de tenir les élus au courant de la situation. Nous avons d’ailleurs négocié durant la crise un accord de méthode – signé vendredi 12 juin – concernant les conditions de la reprise, mais prévoyant aussi une clause de revoyure pour toutes les négociations interrompues par la crise et fixant l’agenda social des douze prochains mois afin de rassurer les syndicats sur notre volonté de ne pas enterrer le dialogue social. Parmi les mesures contenues dans l’accord figure notamment le cas de la rémunération variable des commerciaux. Le seul point sur lequel nous avons choisi de prendre le temps de la réflexion est celui… du télétravail. Nous allions rentrer dans une négociation lorsque la crise est survenue mais nous n’allons pas immédiatement la reprendre. Nous allons tenter d’abord d’analyser la période que nous venons de traverser pour bien cranter le sujet. Elle devrait reprendre en septembre.

Comment évaluez-vous la qualité du dialogue social mené pendant la période ?

S.P.: On peut identifier plusieurs sujets et plusieurs moments… Concernant les sujets liés au confinement et au déconfinement, la direction et les syndicats ont toujours été en phase. La question de l’impact de la crise sur l’activité s’est révélée plus longue et plus ardue à traiter. Certaines organisations syndicales demandaient par exemple des compensations financières pour les salariés, mais à l’heure actuelle, nous ne sommes pas encore en mesure de déterminer quels ont été les effets du confinement sur la situation économique de l’entreprise. Cependant, en dehors de ce type de situation, le dialogue social avance et fonctionne.

Generali dispose-t-elle de représentants de proximité sur ses sites déconcentrés et ceux-ci ont-ils joué un rôle dans le dialogue social de proximité ? 

S.P.: Pas vraiment, mais cela est dû au fait qu’à l’exception du siège, à Saint-Denis, tous nos sites ont été fermés pendant le confinement. Nous avons travaillé avec les CSSCT, lesquelles ont sollicité les représentants de proximité mais faute d’avoir été présents sur les sites, il  était difficile pour eux de mener leurs missions. En réalité, leur véritable rôle se joue aujourd’hui, à l’heure de la reprise, où ils vont devoir être mobilisés quant aux conditions de cette reprise en matière de sécurité sanitaire et de précautions.

À l’issue de cette crise, le regard des salariés sur le télétravail a-t-il évolué ? 

S.P.: Certains oui… d’autres non. Le sujet risque de se révéler compliqué. De façon pragmatique, nous avons monté un groupe de travail pour réfléchir sur cette question, mais pour ma part, je ne suis pas complètement certaine qu’il faille aller vers une solution télétravail à 100%. L’entreprise « désincarnée » a ses limites. On a besoin de liens pour porter nos valeurs. La présence physique a de l’importance pour créer du collectif. En outre, nous avons fait le constat inattendu qu’en situation de télétravail, les salariés ont tendance à se recentrer sur leurs seules compétences. Tout ce qui relève du transversal, de la créativité, de l’innovation ne se développe plus. Tout ce qu’ils pouvaient apprendre par le compagnonnage de leurs confrères – et cela peut concerner des choses aussi élémentaires que le fait de se faire expliquer le fonctionnement d’un logiciel technique par le collègue assis à côté d’eux dans le bureau – n’existe plus en télétravail et il n’est pas possible de remplacer ce genre d’apprentissage informel par des modules d'e-learning. Le tout-télétravail présente le risque d’entraîner davantage d’effets négatifs que positifs. Toutefois, la période actuelle a décomplexé notre vision du télétravail, y compris pour les managers et notre futur accord devra sûrement amener plus de souplesse et de flexibilité, mais il nécessitera une réflexion plus poussée sur les nouveaux/futurs modes d’organisation du travail.

Le management a-t-il été à la hauteur lors de cette crise ?

S.P.: Oui ! Et les enquêtes que nous avons réalisées auprès des salariés en avril et mai le démontrent. À titre d’exemple, quelques chiffres : 85% des collaborateurs jugent avoir été souvent accompagnés et soutenus durant la période de confinement. 93% estiment que les mesures instaurées étaient adaptées. Et 83% des managers ont mis en place d’eux-mêmes des outils pour rester en contact avec leurs collaborateurs, qu’il s’agisse de boucles de WhatsApp, d’apéros du vendredi sur Teams, etc. Plusieurs de ces outils ont d’ailleurs vocation à être pérennisés dans l’après-crise.

Vos entreprises sous-traitantes ont-elles été une variable d’ajustement pour Generali ?

S.P.: Parmi nos sous-traitants, il y a ceux que la crise a contraints à stopper toute activité le temps du confinement et ceux qui l’ont poursuivie. Pour ces derniers, notre service des achats a négocié avec eux pour éviter de les plonger dans les difficultés financières. La direction s’est également engagée vis-à-vis de nos fournisseurs pour réduire les délais de paiement 

Avez-vous réduit le volume de CDD, d’alternants, d’intérimaires ou de stagiaires ?

S.P.: Pour l’alternance, la pandémie est tombée précisément au moment de notre campagne de recrutement annuelle. Suite à l’annonce du confinement, nous l’avons stoppée durant une quinzaine de jours avant de la relancer car si nous ne recrutons pas maintenant, nous n’aurons personne en septembre. Habituellement, notre effectif compte 300 alternants sur 7000 salariés, soit 5% du total. Nous devrions rester sur ce ratio l’an prochain. De plus, pour l’instant, aucun des CFA de notre réseau ne nous a fait part de difficultés particulières. Concernant les CDD et les  intérimaires, ceux qui travaillaient déjà dans l’entreprise sont restés mais nous risquons tout de même de moins recourir au travail temporaire. Par les temps qui courent, recruter des intérimaires sur des contrats d’un mois ou moins n’aurait aucun sens. Les CDI à qui une promesse d’embauche avait été faite ont été recrutés même s’il a été difficile de les intégrer compte tenu de la situation de confinement imposant le travail à distance. Difficile de s’adapter pour un jeune qui arrive en entreprise… Mais dès le retour à la normale, nous recruterons à nouveau. Nos métiers attirent de hauts profils dans les domaines de l’IT ou du data-scientisme et nous ne souhaitons pas gâcher ce potentiel. 

Quels enseignements tirez-vous de cette période ?

S.P.: Avant tout, rappelons-nous que la crise n’est pas terminée. La cellule opérationnelle de crise et le Comex de crise vont rester actifs même si le dispositif va s’alléger (en passant  d’un rythme journalier à un rythme hebdomadaire). Nous entrons dans la phase 2. Le travail sur site a repris mais du 13 juillet prochain jusqu’à une date encore indéterminée, le présentiel sur site restera limité à 50% de l’effectif. Nous profiterons de cette période pour tester de nouveaux dispositifs. Nous allons également observer les pratiques afin d’en tirer le positif et le négatif. D’ores et déjà, à ranger du côté positif, nous pouvons constater que de nouvelles solidarités se sont créées. Des collaborateurs se sont recentrés sur leurs équipes. Les managers se sont montrés très attentifs au bien-être de leurs équipes et les salariés entre eux se sont préoccupés les uns des autres. Lorsqu’un salarié n’allait pas bien, il y en avait toujours un autre pour faire remonter l’information au manager qui prenait le relais. Nous avons progressé en matière d’efficacité, par exemple avec des reunions plus courtes, plus concises et orientées sur les décisions. Concernant le fonctionnement des instances, nous nous sommes également adaptés et, par exemple, avec notre CSEC qui compte plus de 35 personnes, nous avons réussi à instaurer des règles de réunions (usage des messages pour demander la parole, les micros muets…). Nous avons su conserver la qualité du dialogue et de l’écoute même par Skype ! Côté négatif, l’activité est restée concentrée sur le quotidien, l’opérationnel, l’essentiel. Nous avons consacré moins de temps à la réflexion sur l’anticipation et le devenir. Les gens sont restés concentrés sur leurs sujets opérationnels et n’ont globalement entretenu de liens qu’avec ceux qui partageaient les mêmes. Les managers, pour leur part, ont dû assurer d’énormes responsabilités en matière de maintien du lien social entre les membres de leurs équipes, ce qui a concouru à augmenter sensiblement leur charge de travail en plus de leur charge mentale. 

Propos recueillis par Benjamin d'Alguerre

 

 

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre