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(11) Jérôme Leparoux (Daher): "La crise a révélé les valeurs de l’entreprise, et les RH en sont les premiers porteurs"

ISRH | Fonction RH | publié le : 08.07.2020 | Jean-Paul Coulange

Jusqu'au vendredi 17 juillet, vous retrouverez chaque matin dans votre newsletter infosocialrh (et sur le site info-socialrh.fr) l'interview de l'un des quatorze DRH membres du comité éditorial d'«Entreprise & Carrières» et de «Liaisons sociales magazine», interrogé sur la crise, sur sa gestion de celle-ci et sur les enseignements qu'il en tire. Aujourd'hui, Jérôme Leparoux, secrétaire général et DRH de Daher.

Quelles mesures avez-vous prises au début du confinement ?

Jérôme Leparoux : Nous avions prévu, le lundi 15 mars, une réunion « télévisée » du Top Management, comme nous en avons l’habitude, pour échanger autour de notre plan de compétitivité. Nous avons été rattrapés par la crise… sanitaire, d’abord. Une fois la surprise passée, nous avons, comme tout le monde essayé de comprendre ce que pouvaient signifier concrètement les premières mesures prises par le Gouvernement sur nos sites de production et dans nos entrepôts logistiques. Le siège a été fermé, les activités opérationnelles ont été mises en sommeil pendant quelques jours. La première mesure a donc été l’organisation d’une forme de « chômage technique » dans nos opérations, et la mise en place du télétravail. Dans le même mouvement, nous avons mis en place un rendez-vous quotidien avec nos cinq coordinateurs syndicaux, pour essayer de comprendre ensemble ce qui était en train de se passer sur le terrain, et comment la situation était vécue par nos salariés.
Fin mars, nous avons repris de manière progressive l’activité, en mettant en sécurité nos collaborateurs sur nos propres sites, et sur ceux de nos clients, en faisant coexister nos propres mesures avec celles de nos clients, ce qui n’a pas toujours été simple.

Il a fallu également trouver un mode de communication avec nos salariés, qu’ils soient en « activité partielle », sur site, en télétravail ou contraints de rester chez eux pour garder leurs enfants. Nous avons décidé de les joindre par SMS. Au début, cela a été perçu comme un peu intrusif, car les messages étaient bien sûr envoyés sur le téléphone personnel de nos compagnons… À l’usage, les partenaires sociaux ont estimé que c’était finalement un excellent moyen pour partager l’information. Nous avons complété le dispositif par un « sharepoint », un petit site Internet dédié, qui est devenu le panneau d’affichage virtuel de l’entreprise et sur lequel nous avons diffusé des informations à caractère général, des informations sanitaires, et également le contact des représentants des salariés.

Dans un second temps, nous avons fait revenir progressivement les gens sur site avec, au début, près de 70% de salariés en chômage partiel. À ce moment-là, nous en étions à organiser le travail, dans des conditions inédites. Mais nous n’avions pas encore mesuré à quel point la crise économique qui allait frapper le secteur aéronautique serait si grave.

Nous avons conclu un premier accord de crise avec les syndicats, courant du 16 au 30 avril, garantissant le paiement intégral de la journée pour les compagnons appelés à leur poste, quel que soit le temps de travail réellement effectué. Nous avons aussi instauré une mesure « pouvoir d’achat », en garantissant 95% du salaire net au lieu de 84%, ce qui correspond à l’esprit de l’entreprise familiale qu’est Daher.

À cette occasion, pour instituer un dialogue permanent avec les coordinateurs syndicaux, nous avons mis en place ce que nous appelons le « C3 », notre « comité de coordination de crise » qui se réunit par téléphone au minimum quatre fois par semaine et qui a permis de traiter l’ensemble des sujets, sanitaires d’abord, puis économiques en parallèle.
Chemin faisant, nous avons prolongé l’accord de crise par avenant, toujours à l’unanimité, avec une mesure de pouvoir d’achat limité à 90% du salaire net. Au moment où nous parlons, près de 2000 salariés sont toujours en activité partielle. Presque plus personne n’est en télétravail – ce dispositif aura concerné jusqu’à près de 1500 salariés – et nous faisons face à une baisse drastique de la charge de travail.

 

Comment vos équipes RH et vous-même avez travaillé pendant cette période ?

J.L. : Nous sommes entrés dans une animation plus opérationnelle, avec une « routine managériale » de type projet : une réunion quotidienne du comité de direction RH d’une heure, en visio. Nous avons découvert Teams ! Ces réunions perdurent aujourd’hui encore. Les échanges ont été davantage tournés vers l’action, avec une prise de parole plus réfléchie, davantage d’écoute, qui ont en fait créé davantage de cohésion et de collectif. D’une manière générale, c’était un bon test pour la qualité de notre management. 

Comment ont fonctionné vos instances dirigeantes ?

J.L. : Les sièges étaient fermés. La cellule de crise s’est réunie chaque jour, à distance. L’équipe de direction, éparpillée géographiquement, a également trouvé un mode de communication plus coopératif, plus collectif que dans les réunions ordinaires. Cette crise aura fait mûrir les équipes de direction. 

 

À l’international, vous avez adapté vos opérations aux situations locales ? 

J.L. : Oui, en n’ayant pas d’autre choix – et c’est une bonne chose ! – que la confiance et une large délégation, puisque nous ne pouvions pas aller sur place…

 

Avez-vous stoppé les recrutements, l’intérim, les stages ?

J.L. : Les recrutements ont été stoppés. Les équipes ont fait preuve de beaucoup d’imagination pour intégrer les quelques nouveaux arrivants. Nous avons proposé des sujets aux stagiaires sans les faire revenir sur site, et nous essayons de préserver les alternants. La crise économique nous a très vite mis dans en « mode frugal ». Tout ce qui n’était pas vital a été mis de côté. L’agilité est une marque de fabrique de Daher qui a une très forte culture entrepreneuriale. Nous sommes d’ailleurs plus forts dans cette dimension-là que dans la planification et les procédures, qui sont pourtant fort utiles ! Dans cette période d’incertitude, nous avons senti que nous étions plus aptes que d’autres à nous adapter rapidement à des circonstances nouvelles, changeantes et instables.

 

Les mesures sur l’emploi viendront-elles plus tard ?

J.L. : Elles vont arriver rapidement. Le ministre de l’Économie a évoqué une baisse d’activité du secteur aéronautique de l’ordre de 40%. Les études confirment que le trafic aérien ne retrouvera son niveau d’activité qu’à partir de 2023, voire de 2025, ce qui implique un ajustement très profond pour tous les acteurs de la filière.

 

Avez-vous changé de regard sur vos collaborateurs, vos équipes RH, vos organisations syndicales, votre direction ? 

J.L. : La crise a confirmé tout le bien que je pensais de mes équipes ! Elles ont montré un sens des responsabilités, une implication, un sens du collectif et de l’intérêt général remarquables. Pour l’équipe de direction, la crise a été un révélateur des qualités individuelles. Il y a eu des débats, notamment lorsque les consignes gouvernementales ont évolué. Sur les questions de responsabilité et d’exemplarité notamment. Du côté des représentants des salariés, certains se sont révélés aussi très au-delà des étiquettes syndicales. Et une certaine « solidarité », dépassant le clivage traditionnel entre direction et organisations syndicales s’est créée autour de l’impératif de sécurité.

 

Avez-vous changé de regard sur le télétravail ?

J.L. : Nous sommes une entreprise industrielle et de services industriels, dont l’activité n’est pas facilement « télétravaillable » contrairement au secteur tertiaire. Mon regard sur le télétravail a un peu changé. Je continue de penser qu’il ne peut y avoir de solution unique. En revanche, j’ai constaté un très fort engagement, et même davantage de performance que ce à quoi je m’attendais. Nous n’avons pas d’accord de télétravail. Le sujet est un peu un serpent de mer dans notre entreprise de 155 ans d’histoire, qui rassemble de nouvelles générations très allantes sur la question et d’autres plus réticentes. La question du télétravail est clairement sur la table.

 

Avez-vous changé de regard sur le management ? 

J.L. : Cette crise a fonctionné comme une loupe grossissante sur les pratiques de chacun et sur la manière dont les formes de management étaient reçues par les équipes. Les managers les moins à l’aise dans le pilotage par objectifs ou ceux qui ont besoin de davantage de contrôle ont pu parfois se trouver en difficulté face à leurs équipes. Ils étaient en général favorables à l’arrêt du télétravail. À l’inverse, ceux qui favorisent spontanément un fonctionnement en réseau, basé sur la confiance, ont trouvé dans le télétravail un terrain d’expression plus large, et ont parfois montré des réalisations inédites. Une chose est sûre, l’injonction ne fonctionne plus ! Le management doit donc continuer à se réinventer en misant sur l’incitation et la recherche de sens…

 

Avez-vous changé de regard sur la question de la RSE ?

J.L. : Quand on entre dans le genre de situation irréelle que nous avons connue avec le Covid-19, et que tout semble s’effondrer, ce qui reste, en définitive, ce sont les valeurs. Tous les débats qui ont surgi durant le confinement, démultipliés par les réseaux sociaux, ont posé la question du sens d’une manière exacerbée, qui a percuté chacun d’entre nous. Avant le début de la crise, nous avions commencé à travailler sur la raison d’être de l’entreprise résiliente, de l’entreprise contributive, pour en faire un élément de cohésion au sein de l’entreprise, entre l’entreprise et ses actionnaires familiaux, et un levier de création de valeur. Pour moi, une des caractéristiques majeures de cette période, c’est que les contradictions de la société sont entrées dans l’entreprise avec une force nouvelle, et qu’il va falloir trouver le moyen de les dépasser.

À titre d’illustration, nous sommes avionneur et équipementier aéronautique. Or, nous venons de vivre dans un monde sans avions et même presque sans voitures. Le niveau de pollution a baissé drastiquement. Cela interroge tout le monde, hors de l’entreprise et dans l’entreprise ! Il faut donc établir une nouvelle légitimité pour nos activités, à l’aune de ce que nous venons de vivre. Ce n’est qu’un exemple, et nous travaillons au développement de technologies qui permettront de « décarbonner » le transport aérien. Mais il y a une foule de contradictions de ce type que les entreprises doivent résoudre. Parallèlement, la manière dont les employeurs – et les managers – se sont comportés durant la crise fera une vraie différence lorsque le marché du travail sera revenu à la normale…

 

Avez-vous changé de regard sur votre propre métier de DRH ?

J.L. : J’ai vraiment eu le sentiment que la fonction était au centre de l’organisation. La sécurité des salariés, le bouleversement de l’organisation du travail, la nécessité de donner un cap, de trouver les équilibres entre le business, les attentes légitimes des salariés et les impératifs sanitaires nous ont mis au centre du jeu. La crise a révélé les valeurs de l’entreprise, et les RH sont les premiers porteurs de ces valeurs…

Nous retrouvons aujourd’hui un rôle plus classique d’ajustement de la ressource à la charge de travail tout en préservant les compétences, ce qui n’est pas le plus simple compte tenu de la crise que traverse notre secteur. La séquence qui s’ouvre souligne donc l’autre dimension de la fonction, celle qui consiste à faire face aux situations difficiles en prenant ou en accompagnant parfois des décisions difficiles. 

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange

Auteur

  • Jean-Paul Coulange