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Surveillance illégale des salariés : Amazon doit payer 32 millions d’euros

Relations Sociales | publié le : 24.01.2024 | Gilmar Sequeira Martins

Surveillance illégale des salariés : Amazon doit payer 32 millions d’euros.

Crédit photo Gorodenkoff/Adobe stock

Dans les entrepôts d’Amazon, une tâche effectuée en plus de 1,25 seconde est considérée comme une « erreur ». Ce dispositif, avec celui permettant de détecter les temps d’inactivité supérieurs à dix minutes, ont été considéré par la Cnil comme portant « une atteinte excessive » aux droits des salariés à la protection de leur vie privée et personnelle, ainsi qu’à « leur droit à des conditions de travail qui respectent leur santé et leur sécurité ».

32 millions d’euros. C’est le montant de la sanction administrative que la Cnil a infligée à Amazon France Logistique pour des manquements au RGPD portant sur la surveillance des salariés. Dans sa délibération rendue publique le 23 janvier, le gendarme des données personnelles précise que l’ensemble de ce processus a été déclenché par des articles de presse et « plusieurs plaintes de salariés ». Les agents de la Cnil ont eu à déterminer si le système mis au point par Amazon pour préparer les colis et les livrer aux clients relevait d’une surveillance excessive.

La Cnil relève d’emblée que, pour effectuer leur travail, les salariés des entrepôts d’Amazon utilisent un scanner dont les données permettent de construire un indicateur dénommé « Stow Machine Gun ». Elle « constate que la collecte de l’indicateur Stow Machine Gun revient en pratique à suivre la vitesse de succession des actions du salarié, dans chacun des gestes qu’il effectue sur une tâche directe, en y associant un indicateur d’erreur chaque fois que cette vitesse est supérieure à 1,25 seconde ». Autrement dit, tout geste effectué en plus de 1,25 seconde est considéré comme une « erreur »…

Le régulateur des données personnelles estime que cette information « est de nature à exercer sur [le salarié] une surveillance continue des délais associés à chacune de ses actions sur des tâches directes, avec une mesure de l’ordre de la seconde » et en conclut que « cet indicateur présente un caractère intrusif important et que son traitement est de nature à avoir des répercussions morales négatives sur le salarié, pouvant résulter de ce suivi continu qu’il permet de son activité sur les tâches directes », d’autant plus que « le traitement de cet indicateur concerne un nombre élevé de personnes, puisqu’il vise tous les salariés travaillant dans [les] entrepôts [de Amazon France Logistique] ».

Une « atteinte excessive » qui touche la santé et la sécurité

L'organisme ajoute « qu’une surveillance d’une telle précision excède les attentes raisonnables des salariés qui, s’ils peuvent s’attendre, en tant que salariés de la société, à ce que leur travail fasse l’objet d’une certaine surveillance, ne sauraient toutefois raisonnablement s’attendre à ce que leurs actions réalisées avec les scanners soient suivies à la seconde près ». Le gendarme des données personnelles estime par ailleurs « excessif de conserver toutes les données recueillies par le dispositif ainsi que les indicateurs statistiques en découlant, pour tous les salariés et intérimaires, en les conservant durant 31 jours ».

La Cnil en conclut qu’un tel dispositif « porte une atteinte excessive aux droits et intérêts des salariés travaillant au sein des entrepôts – en particulier ceux à la protection de leur vie privée et personnelle, ainsi qu’à leur droit à des conditions de travail qui respectent leur santé et leur sécurité ». En fin de procédure, Amazon France Logistique a informé la Cnil de « l’arrêt prochain de l’indicateur Stow Machine Gun ». Dans sa délibération, la commission note que cet indicateur était toujours utilisé à la date du 27 décembre 2023, jour de la réunion de sa formation restreinte chargée de se prononcer sur les manquements de la société.

Elle a aussi examiné un indicateur permettant aux superviseurs des équipes d’être informés, pour chaque salarié, des temps d’inactivité (« idle time ») supérieurs à dix minutes, voire moins lorsqu’ils sont affectés à des « tâches directes ». Elle considère que « le traitement des idle times rattachés à l’identité de chaque salarié présente un caractère intrusif important, puisqu’il contraint en pratique le salarié à être en mesure de justifier de tout temps considéré comme non productif », et ajoute que les salariés « ne sauraient toutefois raisonnablement s’attendre à devoir potentiellement justifier à tout moment de très courtes interruptions, temps considéré comme non productif, lorsqu’elles se produisent ».

Possible recours devant le Conseil d'État

Amazon France Logistique a avancé que ce dispositif permettait d’assurer le « coaching » des salariés lorsqu’ils rencontrent des difficultés. La Cnil estime dans sa délibération que « le traitement des idle times à des fins de coaching des salariés est également disproportionné, pour ces mêmes raisons » et que cet indicateur « est de nature à avoir des répercussions négatives sur le salarié, pouvant résulter du suivi continu qu’il permet des temps très courts sur les tâches directes considérés comme non productifs. »

La commission précise par ailleurs que le traitement de cet indicateur « conduit le salarié à devoir potentiellement justifier, à chaque arrivée sur site, transition ou reprise de poste, de tout temps de latence de son scanner inférieur à dix minutes » et qu’il « présente dès lors, comme les idle times, un caractère intrusif fort de nature à avoir les mêmes répercussions négatives sur le salarié ».

Dans sa délibération, la Cnil précise qu’Amazon France Logistique « annonce qu’elle augmentera à trente minutes le seuil au-delà duquel les informations relatives à l’inferred time seront enregistrées dans les outils et que ces informations seront accessibles aux superviseurs non plus en temps réel, mais à l’issue d’un délai de deux heures » et que « l’augmentation de la durée déclenchant l’enregistrement des inferred times s’appliquerait à tous les cas de figure qu’ils couvrent ». Amazon France Logistique dispose de deux mois à compter du 27 décembre 2023 pour déposer un recours devant le Conseil d’État.


Pour en savoir plus : la délibération de la Cnil du 27 décembre 2023

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins