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Marie Bouny, LHH : « Il faut développer une véritable culture sanitaire dans les entreprises »

Santé au travail | publié le : 15.07.2022 | Benjamin d'Alguerre

Marie Bouny, LHH.

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Alors que la contamination de la Covid-19 repart à la hausse, les entreprises ne pratiquent pas assez les retours d'expérience sur leur gestion de la crise passée. Entretien avec Marie Bouny, co-directrice de la Practice Stratégie et performance sociale chez LHH.

La contamination fait-elle son retour dans les entreprises ?

Marie Bouny : Oui. La contamination augmentant dans l’espace public, elle augmente aussi dans l’entreprise. La question est comment les entreprises peuvent-elles y faire face ? En situation de crise, tout le monde se tourne vers l’État pour savoir ce qu’il convient de faire. C’était l’objet des protocoles sanitaires : donner le cadre à suivre. Or, depuis le 14 mars 2022, les règles relatives à la vie en entreprise hors situation épidémique sont de nouveau en vigueur. En l’absence d’obligations réglementaires spécifiques, il est plus difficile de faire accepter des mesures parfois contraignantes. Spécialement dans un contexte social complexe. La crise sanitaire de la Covid a bouleversé les organisations. Elle a mis à l'épreuve les collectifs de travail. Ces derniers sont aujourd’hui fragilisés. De plus, avec l'érosion du pouvoir d'achat et l'inflation, les tensions autour des salaires sont vives. Les entreprises sont aujourd’hui prises en étau entre leur volonté de protéger les travailleurs des dangers sanitaires et la nécessité d’apaiser un climat social dégradé.

À cela s’ajoute que le déploiement pratique des dispositifs de protection est souvent difficile. Une étude de la Dares publiée en juin dernier met en exergue qu’en janvier 2021, près de la moitié des salariés n’était pas en mesure d’appliquer pleinement les gestes barrières au travail. Certains facteurs organisationnels freinent l’application des dispositifs individuels de prévention. Par exemple, le bruit sur le lieu de travail qui incite les salariés à se rapprocher physiquement pour échanger, l’intensité du travail qui génère de la négligence en matière sanitaire ou encore le fait d’être en contact et en tension avec le public. A contrario, des leviers existent et il faut s’en saisir. Ainsi, associer les salariés, leurs représentants permet de rappeler les risques et d’ancrer les bonnes pratiques que nous connaissons tous – mais que nous oublions parfois sous le feu de d’action. Et bien sûr, comme toujours, soutenir et outiller les managers. Ils sont en première ligne pour assurer l’application effective des gestes barrière et accompagner leur équipe.

Dans cette période de reprise pandémique, les instances représentatives du personnel (IRP) s’emparent-elles du sujet pour combler l’absence de nouveaux protocoles sanitaires étatiques ?

M. B. : En partie, mais la question du pouvoir d’achat est souvent un des premiers sujets de préoccupation. Pour autant, la protection des travailleurs est – et doit rester – un enjeu crucial. La crise a nécessairement assuré une montée en compétences des partenaires sociaux sur les questions sanitaires. Reste maintenant à conserver ces compétences acquises. Aujourd’hui, il n’existe pas assez de démarches de retours d’expérience sur la gestion des vagues épidémiques passées alors qu’il est fondamental de multiplier ces démarches pour se préparer à celles à venir. Le virus est toujours là, il va falloir vivre avec et donc développer une véritable culture sanitaire avec une responsabilisation individuelle et collective. Pour cela, il est indispensable d’associer les différentes parties prenantes. L’étude de la Dares montre bien que les salariés acceptent davantage les restrictions sanitaires lorsqu’ils ont été informés et consultés au préalable des raisons de ces restrictions.

Alors que le travail hybride semble devenu la norme dans les entreprises qui le peuvent, les salariés sont-ils prêts à revenir massivement sur leur lieu de travail ?

M. B. : Tous n’en ont pas envie, loin de là. Il y a eu une révolution dans l’organisation du travail de près d’un quart des salariés. Un salarié sur trois serait d’ailleurs prêt à quitter son poste s’il n’a pas la possibilité de travailler à distance (étude du BCG parue le 7 juillet dernier). Et chez les jeunes entre 18 et 24 ans, un sur deux serait prêt à démissionner si ce n’est pas possible de télétravailler (étude de l’ADP Research Institute publiée mercredi 13 juillet 2022). Le retour au tout présentiel pour les emplois télétravaillables poserait donc de vraies difficultés de rétention et d’attraction des talents. Le travail hybride est largement plébiscité par les salariés.

Y a-t-il des évolutions en matière de pratiques du télétravail depuis la fin des protocoles sanitaires ?

M. B. : Le télétravail a diminué du fait de la fin du télétravail obligatoire. 21 % des salariés ont été au moins un jour en télétravail en mars, après 29 % en janvier. Le travail à distance recule dans l’ensemble des secteurs, et de manière significative dans les activités financières et d’assurance. Non seulement la part de télétravailleurs diminue, mais le nombre de jours télétravaillés baisse également, même si, dans la plupart des cas, le télétravail est pratiqué deux jours par semaine (Dares, les activités et conditions d’emploi de la main-d’œuvre pendant la crise sanitaire Covid-19).

Évidemment, on constate beaucoup d’hétérogénéité selon les entreprises et la nature de leur activité. Parmi celles qui restent dans le cadre du télétravail « deux jours par semaine », on voit se développer certaines bonnes pratiques pour limiter les risques de contagion, comme une meilleure répartition des journées de présentiel dans la semaine pour ne pas concentrer les présences dans les locaux le mardi et le jeudi.

L’activité partielle perdure-t-elle encore durablement aujourd’hui ? Certaines branches comme la métallurgie et l’intérim ont renouvelé leur accord activité partielle de longue durée (APLD) pour faire face aux difficultés économiques liées à la crise mondiale des approvisionnements, mais d’autres le font-elles en prévision d’une aggravation possible des contaminations ?

M. B. : Selon les chiffres dont nous disposons, en mars 2022, 230 000 salariés étaient en activité partielle. Chiffre le plus bas depuis mars 2020 et spécialement depuis le pic d’avril 2020 avec plus de 8,3 millions de salariés en activité partielle. Certains secteurs comme l’hébergement et la restauration, les services aux entreprises ou encore les transports et entreposage recourent toujours sensiblement à l’activité partielle, mais globalement, elle diminue partout.

Pour autant, l’ordonnance du 13 avril 2022 est venue reporter la date butoir d’entrée dans le dispositif du 30 juin 2022 au 31 décembre 2022. Il en découle donc qu’il ne sera plus possible, au-delà du 31 décembre 2022, de transmettre à l’autorité administrative un accord collectif ou un document unilatéral initial relatif à l’APLD. Il pourrait donc y avoir une recrudescence d’accords en fin d’année.

Il convient toutefois de ne pas confondre la date butoir du 31 décembre 2022, (date au-delà de laquelle il n’est plus possible d’entrer dans le dispositif), avec la date de fin de l’accord qui emporte la fin de la mobilisation du dispositif pour les entreprises concernées.

A-t-on constaté des problèmes en entreprises liés à la vaccination ?

M. B. : Pas davantage que pendant les repas de famille… Il y a bien eu çà et là des tensions au sein des collectifs de travail. Ce n’est pas surprenant. Les entreprises ne sont pas un monde à part, les tensions qui traversent la société civile peuvent s’y retrouver.

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre