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« Les entreprises vont être amenées à faire évoluer leur organisation » (INRS)

Santé au travail | publié le : 04.06.2021 | Gilmar Sequeira Martins

Anne-Sophie Valladeau, expert de l'évaluation des risques professionnels, et Jacques Leïchlé, expert des organisations du travail, à l'INRS, livrent leur analyse sur l'évolution des risques professionnels, un an après le début de la crise sanitaire.

Quels sont les risques professionnels que la crise sanitaire a aggravés ?

Anne-Sophie Valladeau : La réglementation distingue clairement le risque professionnel, directement causé par l’activité professionnelle, du risque sanitaire à l’origine de la crise déclenchée par le Sars-Cov-2. Cette crise sanitaire n’a pas fait émerger de nouveaux risques. Le risque biologique était déjà connu et évalué par de nombreuses professions, que ce soit le milieu médical mais aussi les professions en lien avec le public. Les entreprises ont – ou devraient avoir – depuis longtemps évalué ce risque. S’agissant du risque sanitaire, ce n’est pas aux entreprises mais aux autorités sanitaires de le gérer. Les entreprises, non concernées par ce risque biologique en temps normal, peuvent toutefois l’inclure, de façon temporaire, dans leur document unique d’évaluation des risques professionnels. Les mesures prises durant la crise sanitaire, telles que les écrans de séparation entre caisses par exemple, vont probablement rester car il s’agit de limiter l’exposition des salariés. Pour les salariés non exposés au risque biologique dans leur activité professionnelle, d’autres mesures ont pu être prises comme le télétravail, la réduction de la densité de personnes dans un local ou le port du masque. Ces mesures peuvent devenir pérennes mais elles impliquent alors des évolutions de l’organisation du travail qui peuvent créer de nouveaux risques professionnels ou en augmenter certains existants. Il est alors important que l’entreprise analyse et évalue les nouvelles mesures mises en place et leurs impacts sur la santé et la sécurité au travail du personnel, et les fasse apparaître dans son document unique.

Comment les entreprises peuvent-elles les identifier et déterminer leur niveau de gravité ?

A.-S. V.  : Le télétravail va probablement s’installer dans l’entreprise mais il a plusieurs impacts. Globalement, il risque d’affaiblir le collectif puisque les personnes en télétravail ont moins de contacts directs avec leurs collègues, ce qui réduit l’émulation et la créativité. La visio ne peut pas se substituer complètement à la présence au sein de l’entreprise. Le télétravail expose à l’isolement et réduit le sentiment d’appartenance à l’organisation. Il pose aussi problème aux nouveaux arrivants qui ont justement besoin d’échanges directs et non formels pour mieux s’intégrer dans le collectif de travail. Le risque d’isolement et de détachement de l’organisation peut être pondéré par l’ancienneté, mais il érode le sentiment d’être reconnu par ses collègues et la dimension de partage. Le télétravail peut avoir des effets contrastés. Dans certaines circonstances, si l’environnement de travail est agressif par exemple, le télétravail peut être protecteur, mais il peut aussi exacerber certaines difficultés qui, en présentiel, seraient réglées de façon plus simple. Le télétravail peut pousser certains cadres hiérarchiques à demander des comptes plus régulièrement notamment. À distance, ce type de tension peut être plus difficile à désamorcer et devenir une source de stress intense. Le télétravail peut augmenter les risques liés au travail de bureau, car à domicile, les personnes sont globalement moins bien installées que dans leur entreprise. À noter que l’employeur reste responsable de la S&ST bien qu’il n’ait pas la maîtrise de l’installation à domicile.

Quelles dispositions peuvent prendre les entreprises pour prévenir ces risques ou limiter leur impact ?

Jacques Leïchlé : La difficulté sera la plus élevée pour les entreprises qui ont dû adopter le télétravail alors qu’elles n’y avaient pas du tout recours avant la crise sanitaire. Les entreprises vont être amenées à faire évoluer leur organisation après cette crise car elles ont pu constater les apports du télétravail. Les salariés ont également acquis de nouvelles méthodes de travail. Les dirigeants devront mixer un dispositif bâti sur les relations en présentiel avec celui qui va avec les relations à distance. Le mode de travail séquentiel, qui est habituel en présentiel va devoir se mixer avec un mode projet plus adapté au travail à distance. Pour bien identifier les risques liés à ces évolutions, il faut mener un échange réel et libre entre les salariés, leurs représentants, la hiérarchie et la direction sur l’évolution de la situation, avant, pendant et après la crise sanitaire, pour redéfinir le « travailler ensemble ». Autrement, il y a un risque de perte d’intérêt au travail La crise sanitaire a renforcé la quête de sens pour de nombreux salariés. Un retour d’expérience dans chaque entreprise de cette période unique est plus que souhaitable.

Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins