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“Le contentieux lié au Covid-19 est plus une épée de Damoclès qu'une réalité"

ISRH | Santé au travail | publié le : 19.05.2020 | Judith Chétrit

Patrice Adam est maître de conférences à l'université de Lorraine.

Crédit photo DR

Patrice Adam, maître de conférences en droit à l’université de Lorraine, détaille les enjeux du risque pénal des employeurs durant la crise sanitaire.

Les élus et les organisations patronales cherchent à assouplir la responsabilité des employeurs en matière de santé et de sécurité au travail. Comment qualifiez-vous ce risque ?
Patrice Adam :
Je ne pense pas qu’un énorme contentieux se développera. Au-delà de quelques cas d’entreprises emblématiques qui ont tardé à jouer le jeu, beaucoup ont suivi les préconisations gouvernementales. J’ai même l’impression que cela a parfois revivifié le dialogue social face à ce défi inédit en matière d’organisation du travail. Il y a eu une sorte de trêve sur les revendications classiques pour tenter d’organiser ensemble la reprise de l’activité. Mais il y aura aussi des actions judiciaires qui ne seront pas forcément faites pour être gagnées. Ce seront des procès de témoignages qui serviront à asseoir une stratégie locale de contestation. Même si ce que nous vivons est une situation très originale, les réponses apportées par un éventuel contentieux s’inscriront dans un contentieux assez banal de santé au travail. Je prends le pari que la chambre criminelle n’ira pas sur le terrain de la condamnation patronale.

Cette anxiété est-elle due à un flou juridique et jurisprudentiel ?
P. A. :
Le message envoyé est toujours le même et on l’a encore vu dans la formulation des ordonnances de référé concernant Amazon et d’autres entreprises. Il y a une obligation de prévention incombant aux employeurs qui doivent mettre en place une série de mesures qui s’imposent à eux, associer les élus et les services de santé au travail dans leur démarche, informer et former les salariés. L’absence de consultation des instances sociales est au cœur de cette ordonnance passée. La crise du Covid-19 ne modifie pas tellement les problématiques de santé au travail. La Cour de cassation continue d’employer le terme d’obligation de sécurité du résultat mais le résultat n’est pas l’absence d’atteinte sinon la mise en œuvre de mesures de prévention, ce qui est aussi qualifié d’obligation de moyens renforcée.

Que recouvrent les mesures de prévention ?
P. A. :
J’entends certains contester la valeur légale du plan de déconfinement. C’est méconnaître l’existence du droit mou et le fait que les juges n’utilisent pas uniquement des normes impératives provenant de l’État mais aussi les recommandations et préconisations qui constituent un cadre de comportement. Beaucoup d’employeurs n’ont pas encore tout à fait compris que la responsabilité sera jaugée et appréciée à l’aune de ces mesures. Si cette crise peut aider à la compréhension de cette obligation dans un pays où les entreprises n’ont pas une culture de la prévention très poussée, ce sera déjà quelque chose de positif !

Il faut quand même distinguer le civil du pénal…
P. A. :
Le contentieux pour faute inexcusable avait déjà explosé car le cadre a été assoupli, mais le risque pour l’employeur reste le même que précédemment défini. Est-ce qu’il a commis une faute de prévention ? Le terrain de la faute inexcusable est aussi celui aujourd’hui de préjudices non indemnisables. Pour ce qui est du préjudice d’anxiété avancé par certains syndicats, l’issue est très incertaine même si je fais le pari que la Cour de cassation refermera la porte après l’avoir ouverte en 2019. Il faudrait un fait générateur. Pourquoi l’entreprise serait débitrice de l’anxiété générée alors que certains pourraient se retourner vers les discours contradictoires de l’État et le manque de masques, y compris sur le lieu de travail ? Le juge se posera alors la question de la réalité du danger encouru. Les premières situations tranchées au civil décideront de l’orientation ultérieure d’autres affaires. Il est rare d’avoir des débats sur les maladies professionnelles devant les tribunaux correctionnels.

Propos recueillis par Judith Chétrit

Auteur

  • Judith Chétrit