logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Fabrice Gutnik : « La prévention primaire est fondamentale en matière de santé au travail »

Santé au travail | publié le : 08.11.2021 | Benjamin d'Alguerre

Pour Fabrice Gutnik, maître de conférences associé à l’université Jules Verne de Picardie et consultant Afnor Compétences, la question de la prévention primaire au travail impose de repenser le pouvoir dans l'entreprise.

 

Quelles perspectives cette période de fin de crise Covid ouvre-t-elle pour les politiques de santé au travail ?

Fabrice Gutnik : Les premières études réalisées depuis le retour au travail tendent à démontrer qu’au-delà des seules conséquences de la contamination à la Covid-19, certains phénomènes sanitaires restent préoccupants. Un récent sondage1 montrait ainsi que 38 % des salariés français souffrent de détresse psychologique et que 2 550 000 salariés "sont" en burn-out sévère. Quant aux accidents de travail, leur nombre reste sensiblement le même depuis dix ans (dont 550 mortels par an). De nouvelles problématiques liées au développement du travail à distance ont également (ré)émergé : un rapport du Sénat2 d’octobre dernier posait la question de la confusion entre vie professionnelle et vie personnelle qu’entraînait la généralisation du télétravail et remettait le droit à la déconnexion au cœur du débat. La question du télétravail – en 2017, près de 7 % des actifs le pratiquaient régulièrement contre environ 25 % en 2020 – induit aussi celle de l’emprise technologique sur les salariés. Les politiques RH de promotion de la QVT, de prévention des RPS et de santé au travail en général doivent en tenir compte et ne plus se limiter à la vie intra-muros des entreprises. Et dans ce cadre, la prévention primaire est fondamentale.

 

Cette prévention primaire s’impose-t-elle dans les politiques RH ?

F. G : Insuffisamment. Certains experts affirment que la prévention primaire est un sujet qui ne se traduit pas en actions concrètes et qu’en conséquence, les entreprises ne s’y intéressent pas, faute de pouvoir communiquer dessus. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de généraliser. Beaucoup d’entreprises ont la volonté de faire mieux sur ce sujet, mais elles sont trop concentrées sur leurs activités de production pour s’en emparer. Pourtant, la question du contenu du travail était déjà posée dans l’ANI "Qualité de vie au travail" de 2013. L’enjeu, aujourd’hui, est de convaincre les entreprises que leurs politiques RSE peuvent aussi contribuer au bien commun. Attention toutefois à ne pas aborder des politiques volontaristes en matière de santé au travail sous l’angle d’une sorte de morale publique susceptible de se révéler stigmatisante en chamboulant les libertés individuelles au nom de l’intérêt général. Je pense notamment aux exemples de l’interdiction du tabac dans les lieux de travail ou plus récemment de la vaccination. Il y a une alchimie délicate entre liberté individuelle et santé publique à trouver. Et l’exercice est complexe.

 

Comment les services RH peuvent-ils s’emparer efficacement de ces questions ?

F. G : D’une manière générale, en passant "du management par la règle à un management par la confiance", comme le souligne le rapport du Sénat. Ce qui suppose de s’intéresser au sens du travail et pas seulement à l’emploi. Ce n’est pas facile, notamment parce que la relation de travail des salariés est historiquement marquée par un pouvoir de décision, de contrôle et de sanction de l’employeur, qui doivent – plus encore aujourd’hui – s’articuler avec les limites qu’imposent les droits fondamentaux des personnes, tels que le respect à la vie privée, les libertés ou encore l’interdiction des discriminations. La problématique de la conception et de l’exercice du pouvoir dans l’entreprise doit donc être au centre des réflexions.

(1) Baromètre T8, sondage OpinionWay et Empreinte Humaine réalisé auprès de 2 016 salariés français du 28 septembre au 07 Octobre 2021.

(2) Huit questions sur l’avenir du télétravail, 21 octobre 2021.

 

 

 

 

 

 

 

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre