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Duerp : l’Igas demande au Gouvernement de revoir sa copie

Santé au travail | publié le : 08.01.2024 | Benjamin d'Alguerre

Duerp : l’Igas demande au Gouvernement de revoir sa copie

Duerp : l’Igas demande au Gouvernement de revoir sa copie.

Crédit photo AspctStyle/Adobe stock

Réformées par la loi « santé au travail » d’août 2021, les nouvelles dispositions du document unique d’évaluation des risques professionnels pourraient se révéler difficilement applicables et nuire à la confidentialité des données des entreprises. L’Igas préconise une série de modifications pour remettre le dispositif d’équerre.

Sur le papier, l’affaire était entendue. L’ANI « santé au travail » du 9 décembre 2020 et sa transposition dans la loi « pour renforcer la prévention en santé au travail » du 2 août 2021 offraient une nouvelle dimension au document unique d’évaluation des risques professionnels (Duerp). Déjà obligatoire dans toutes les entreprises publiques et privées, accessible aux représentants du personnel, aux travailleurs (même en CDD ou intérimaires), cet outil d’identification des risques professionnels – physiques comme psychosociaux – auxquels peuvent être confrontés les salariés en situation de travail a connu une nouvelle extension de son périmètre. D'abord, en devenant accessible aux anciens salariés de l’entreprise, même lorsque ceux-ci l’ont quittée (un changement qui a conduit le Gouvernement à encadrer cet accès par décret afin que le secret des affaires ne soit pas mis en danger par des risques de fuite) et, surtout, en changeant de nature, puisqu’avec la réforme de 2021, le Duerp est passé d’un outil de « traçabilité collective des risques » à un instrument de « traçabilité collective des expositions des travailleurs ».

Ce sont précisément ces changements dans la structure du Duerp qui suscitent plusieurs ambiguïtés que dénonce l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) dans un rapport sur le document unique rendu public le 4 janvier dernier. Dans ce pavé de quelque 180 pages, les inspecteurs pointent les différents couacs nés de la réforme du Duerp inscrite dans la loi du 2 août 2021. Primo : difficile d’assurer la confidentialité des affaires des entreprises et le secret de leurs savoir-faire techniques dès lors que le document est susceptible d’être transmis à tout ancien salarié en faisant la demande, même après le départ de celui-ci. Secundo : « l’infaisabilité » du portail unique de recensement des Duerp sur lequel les documents sont censés être conservés durant quarante ans. Là encore pour des raisons liées au secret des affaires et à la confidentialité de certaines données, mais aussi à cause d’un cahier des charges impossible à réaliser, imposé par les organisations patronales, et d’un coût trop élevé (estimé à 15 millions d’euros). Tertio : le changement de nature du Duerp, censé désormais recenser « la traçabilité de l’exposition des travailleurs » plutôt que les risques, pourrait lui faire perdre sa vocation d’outil de prévention au profit d’un instrument de réparation des accidents et maladies professionnelles. Quarto : le Duerp « nouvelle formule » s’articule mal avec les nouvelles prérogatives – nées de la même loi ! – des services de prévention et de santé au travail chargés, notamment, d’établir et de conserver les dossiers médicaux de santé au travail des salariés. À quoi s’ajoutent la mauvaise tenue des Duerp dans un nombre conséquent de TPE-PME et… leur absence totale dans certaines structures publiques (malgré l’obligation de tenir à jour un tel document) qui n’arrangent pas les choses…

16 recommandations pour revoir la copie

Dans ces conditions, l’Igas demande au Gouvernement de revoir sa copie. Ou, tout au moins, de corriger le tir. Et formule une série de 16 recommandations pour réviser le dispositif, dont certaines nécessiteraient un retour des textes devant le Parlement. Avec la priorité de redonner au Duerp sa vocation initiale de prévention. Exit, donc, la « traçabilité collective des expositions des travailleurs » et retour à un document centré sur la traçabilité des seuls risques. Exit, aussi, le portail national unique, auquel l’Igas propose de substituer la transmission systématique de Duerp régulièrement remises à jour aux instances représentatives du personnel, à l’administration du travail et aux services de prévention et de santé au travail. La conservation durant quatre décennies des anciens documents demeurerait, mais exclusivement à l’usage des partenaires institutionnels de l’entreprise. Les anciens salariés, eux, n’auraient accès qu’aux informations relatives aux expositions professionnelles, au besoin remis à jour après consultation du Duerp de leur ancien employeur par les services de santé au travail.

Du côté des entreprises, l’Igas propose une savante combinaison de la carotte et du bâton. Parmi ses suggestions, l’inspection propose ainsi la préservation du secret des affaires à travers l’inscription d’une mention législative « rappelant que l’employeur doit préserver les secrets légaux et protéger la sécurité publique et la sécurité des personnes lorsqu’il tient un Duerp à la disposition d’un ancien travailleur ». Un nouveau cran de sûreté passerait par l’instauration d’une doctrine de vigilance en matière de rédaction de Duerp à diffuser auprès des employeurs afin de les aider à conserver leurs secrets légaux et, le cas échéant, la sécurité nationale. La création de cette doctrine associerait les ministères du Travail, de l’Économie, des Armées et de la Fonction publique ainsi que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Autre nouveauté préconisée par l’Igas : mener, en amont des prochaines réformes de la santé au travail, une concertation tripartite préalable à toute négociation interprofessionnelle visant à vérifier l’applicabilité de la réforme avant de mettre en branle le mécanisme parlementaire… Côté bâton et au vu de la faible effectivité des Duerp dans les TPE-PME et dans la fonction publique, l’Igas recommande de sévir davantage auprès des entreprises récalcitrantes en créant une sanction administrative pour non-respect des différentes obligations liées à la tenue du document.

Auteur

  • Benjamin d'Alguerre