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Cabinet Jeantet : "Avec le Covid-19, les infractions pénales seront difficiles à qualifier"

ISRH | Conditions de travail | publié le : 19.05.2020 | Gilmar Sequeira Martins

Hortense Béthune et Jacques-Henry de Bourmont, avocats au cabinet Jeantet.

Crédit photo DR

Alors que 25 foyers de contamination ont été recensés depuis le début du déconfinement, dont deux dans des abattoirs, la question de la responsabilité pénale des dirigeants revient au premier plan. Le point avec Jacques-Henry de Bourmont et Hortense Béthune, avocats au cabinet Jeantet.

La pandémie de Covid-19 modifie-t-elle les cas qui peuvent engager la responsabilité pénale des dirigeants ?
Jacques-Henry de Bourmont :
Il n’existe aujourd’hui aucune infraction nouvelle quant à la protection des salariés face au Covid-19. Il faut donc se référer aux infractions existantes, notamment en cas de risque de contamination d’un salarié dans l’entreprise. Dans cette hypothèse, l’infraction de mise en danger d’autrui, définie par l’article 223-1 du Code pénal, pourra être recherchée. En pratique, elle pose cependant plusieurs difficultés de qualification dans le contexte actuel. La principale sera d’établir un lien de causalité direct et immédiat. Il sera très difficile, voire impossible, d’établir avec certitude l’origine du risque de contamination du salarié. En effet, comment démontrer que le salarié aura été exposé à des risques de contamination dans l’enceinte de l’entreprise plutôt qu’au contact de ses proches ou dans les transports en commun ?

Quelles sont les autres difficultés de qualification de cette infraction ?
Hortense Béthune :
Pour engager la responsabilité pénale du dirigeant, il faudra également démontrer la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le par le règlement. Cette obligation doit être précise, la jurisprudence rappelle qu’elle doit être particulièrement circonstanciée et sans équivoque. De plus, cette obligation doit résulter d’une règle à valeur normative absolue et contraignante. Or, le Code pénal et le Code du travail ne contiennent aucune infraction nouvelle. Le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 semble trop général et imprécis. Les notes et fiches pratiques diffusées par le ministère du Travail en application de ce décret sont quant à elles suffisamment précises mais dépourvues de valeur contraignante. Enfin, il faudra démontrer que cette violation est manifestement délibérée. Sur ce point, le risque semble donc pouvoir être limité si le dirigeant peut rapporter la preuve qu’il a, a minima, tenter de mettre en œuvre les consignes sanitaires et gouvernementales dans l’entreprise telles que les gestes barrière et les règles de distanciation. Des mesures comme celles prises chez les constructeurs automobiles, avec port de masque et de gants, sont ainsi de nature à limiter le risque pénal pesant sur les dirigeants. Pour toutes ces raisons, l’infraction de mise en danger d’autrui sera difficile à qualifier dans le contexte actuel.
 
Que se passe-t-il si une contamination est découverte au sein de l’entreprise ?
J.-H. de B. :
Dans l’hypothèse où un salarié aurait été contaminé, ce sont les infractions d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique (c’est-à-dire les infractions d’homicide ou de blessures involontaires) qui seront susceptibles d’être recherchées. Cependant, les difficultés de qualification mentionnées pour l’infraction de mise en danger d’autrui concernant le lien de causalité direct et immédiat seront identiques. Dans tous les cas, pour limiter les risques de condamnation, il est fondamental que les dirigeants fassent respecter dans l’entreprise les consignes officielles, notamment celles contenues dans le protocole national de déconfinement. Si l’ensemble des consignes sanitaires et gouvernementales sont respectées, la contamination du salarié dans l’entreprise sera d’autant plus difficile à établir avec certitude.

Quels autres éléments peuvent être pris en compte ?
H. B. :
Les dirigeants disposent de moyens pour limiter au maximum le risque d’engagement de leur responsabilité pénale, notamment en mettant en place des délégations de pouvoirs. Celles-ci permettent de déléguer des pouvoirs normalement exercés par le dirigeant à des personnes en interne, tels les chefs d’atelier. Dans le contexte actuel, nous recommandons donc aux dirigeants de faire procéder à un audit de leur chaîne de délégations ou de subdélégations afin de vérifier qu’elles remplissent bien les conditions de validité. Le délégataire doit avoir consenti à la délégation. Sur ce point, il n’y a pas d’obligation de formaliser son consentement mais nous recommandons de le faire par écrit pour faciliter la charge de la preuve. Enfin le délégataire doit disposer de l’autorité, des moyens (matériels, techniques, financiers) et des compétences (pratiques comme juridiques) nécessaires pour mettre en œuvre cette délégation. Les délégations de pouvoirs sont une source de protection juridique pour les dirigeants car, si les conditions de validité sont remplies, la responsabilité pénale sera transférée sur le délégataire. L’examen des délégations se fait in concreto. Enfin, plus largement, les dirigeants ont une obligation de sécurité et de protection de la santé des salariés, définie à l’article L.4121-1 du Code du travail. Il s’agit d’une obligation de moyens renforcés et non de résultats. Les employeurs doivent donc être en mesure de pouvoir apporter la preuve qu’ils ont bien pris toutes les mesures nécessaires pour remplir cette obligation. L’évaluation des risques passe notamment par une mise à jour du document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp) en lien avec les représentants du personnel.

Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins

 

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins