Psychiatre et spécialiste du stress en entreprise, Patrick Légeron, le directeur général de Stimulus, un cabinet de conseil en changement comportemental, également co-directeur du rapport sur le burn-out de l'Académie de médecine (2016), expose les dangers du burn-out pour les managers. Et les solutions pour y rémédier...
On a beaucoup parlé des dangers du télétravail, sous forme de stress, d'isolement voire de burn-out pour les collaborateurs. Qu'en est-il des managers ?
Patrick Légeron : Pendant longtemps, en effet, les managers étaient plus épargnés par le burn-out que les salariés. Mais les choses ont changé depuis environ dix ans, avec des contraintes de performance accrue imposées par la direction de l'entreprise, et parfois même des conflits de valeurs, les managers devant mettre en œuvre des décisions qui ne leur conviennent pas, ainsi qu'avec le développement du numérique, qui a, plus que pour les équipes, effacé la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle. Autant d'éléments qui ont particulièrement affecté les middle managers. Leur niveau de stress a donc rejoint celui des collaborateurs, mais pour des raisons différentes. La crise actuelle n'a évidemment fait qu'aggraver la situation, d'autant que les managers, en France, privilégient encore largement le contrôle des équipes, et qu'ils ont du mal à l'exercer en raison de la généralisation du télétravail. Cette perte de contrôle génère un stress très fort chez eux.
Ont-ils plus de difficultés que les collaborateurs à en parler, à demander de l'aide ?
P. L. : Oui ! Les enquêtes européennes montrent que les salariés français ont plus de mal que d'autres à évoquer leur mal-être avec leur supérieur. Pour les managers, c'est encore plus vrai, du fait du tabou de la faiblesse, qui engendre, dans leur perception, l'idée d'une perte de légitimité. Et il y a encore chez eux la notion que les émotions négatives, tel le stress, sont inacceptables en entreprise. Or intérioriser des émotions négatives est un poison. Les managers ont donc une révolution à faire. Ils doivent faire preuve de davantage d'empathie vis-à-vis des équipes, mais aussi vis-à-vis d'eux-mêmes. Et demander de l'aide.
Quelle forme peut-elle prendre ?
P. L. : Avant de demander de l'aide, les managers doivent d'abord accepter d'être en difficulté et sortir du déni. Les signes du burn-out s'installent progressivement, ils doivent pouvoir les repèrer avant qu'il ne soit trop tard. Ensuite, en matière de stress et de burn-out, s'il y a évidemment des éléments extérieurs, les études montrent qu'un tiers dépend de l'individu. Les managers doivent donc créer leur propre résistance au stress, qui passe par une meilleure hygiène de vie, de la relaxation et un investissement dans autre chose que le travail. Enfin, ils ne doivent pas avoir peur d'aller chercher de l'aide. Nombre d'entreprises mettent aujourd'hui en place des hot lines, confidentielles, dans ce but. L'aide peut aussi exister à l'intérieur des organisations, auprès des syndicats, par exemple. Mais le problème est plus large. Alors que les entreprises ont une stratégie commerciale et financière, rares sont celles qui en ont une visant à introduire davantage d'humain dans l'entreprise. Or si une entreprise pense qu'elle peut sortir de la crise actuelle avec des salariés et des managers stressés ou au bord du burn-out, elle se trompe lourdement !