Jean Pralong, professeur de gestion des ressources humaines de la chaire « compétences, employabilité et décision RH » de l’École de management Normandie Business School, commente l’étude menée par son département sur les compétences nécessaires pour être efficace en télétravail permanent.
Quelles sont les compétences essentielles pour être efficace lorsque l’on télétravaille ?
Jean Pralong : Il y a des compétences dont l’importance pouvait être anticipée, comme la capacité à comprendre l’organisation et les besoins d’autrui, la capacité à se connaître soi-même ou à identifier les personnes-ressources. En télétravail, l’autonomie devient très importante, tout comme la connaissance de soi puisqu’elle permet de savoir à quel moment il faut faire appel à une autre personne. À mes yeux, le plus important, c’est la capacité à promouvoir son travail, à le rendre visible, car le télétravail consiste précisément à travailler hors du regard d’autrui, à rebours de la tendance de l’open space qui domine depuis dix ans.
Que change l’environnement de télétravail ?
J. P. : Le télétravail fait entrer dans le règne de l’invisibilité et de l’imaginaire. Si quelqu’un ne décroche pas, cela va solliciter l’imaginaire et beaucoup de managers vont se poser des questions. La capacité à se promouvoir va couper court à cet imaginaire et remplacer efficacement la présence physique. A contrario, certains, par excès de timidité ou par volonté de ne pas trop en faire, vont être happés par la pénombre. Cela peut induire une surestimation de la contribution de ceux qui ont la plus forte capacité à se promouvoir. Les managers peuvent éviter ce biais en gardant à l’esprit que tous les collaborateurs n’ont pas cette capacité à promouvoir leurs contributions et en vérifiant que la discrétion n’est pas synonyme d’absence ou de désengagement. Ils devront faire un effort pour restaurer l’équité. Vérifier que les gens travaillent réellement ne pourra plus se faire comme dans un open space. Il faut créer des opportunités d’échanges quotidiens ou hebdomadaires pour que personne ne se sente abandonné.
Faut-il changer de mode de management ?
J. P. : Le mode de management nécessaire pour gérer cette situation nouvelle est en train de se mettre en place. Après les deux premières semaines de réorganisation, nous sommes entrés dans une phase de retour d’expérience pour savoir ce qui est positif ou pas. C’est d’ailleurs le moment de passer à ce nouveau mode de management car c’est après cette période de deux ou trois semaines que commence à apparaître le phénomène d’effacement de certains collaborateurs.
À quelles erreurs sont exposés les managers durant cette période ?
J. P. : La principale erreur serait de considérer que le télétravail est une « relocalisation » du travail de bureau alors que c’est un autre environnement, sans la présence, le regard et le support d’autrui, un environnement où il faut recréer de la visibilité qui n’est pas du même ordre que celle des locaux habituels de travail. Erreur, aussi, de croire que la visioconférence remplace la réunion présentielle. Elle va mettre en avant certains au détriment d’autres. C’est un prisme déformant qui aura un effet de réel sur la vision des managers. Erreur, encore, de considérer qu’il faut voir ce que font les gens pour avoir l’assurance qu’ils travaillent. Erreur, toujours, de croire que tout un chacun a la capacité de mobiliser n’importe quelle ressource disponible dans l’entreprise. Enfin, du fait de cette distance, il vaut mieux privilégier le téléphone plutôt que le mail, qui réduit la personne au rang de problème alors que l’échange oral restaure le collaborateur dans sa dimension humaine.
Propos recueillis par Gilmar Sequeira Martins
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