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Au Québec, l'IA au travail s'avère complexe

Organisation du travail | publié le : 08.01.2023 | Gilmar Sequeira Martins

La province canadienne a introduit l’intelligence artificielle dans certains services publics. La révolution n’est pas aussi « tranquille » que prévu…

Quels sont les impacts de l’introduction d’algorithmes d’intelligence artificielle (IA) dans une organisation ? La question a été documentée au Québec. La Belle Province héberge en effet des centres de recherche réputés dans ce domaine et des chercheurs les ont étudiés, dans le cadre plus large des transformations numériques. Steve Jacob, professeur au département de sciences politiques et titulaire de la chaire de recherche sur l’administration publique à l’ère numérique de l’université Laval, souligne la spécificité de ces évolutions. « Au Québec, dit-il, certaines structures sont passées d’une situation où elles avaient très peu d’outils numériques à l’IA. Or cette technologie n’est pas du même ordre, car elle ne constitue pas une solution clé en main. » Il estime ainsi qu’envisager la transformation numérique comme une réforme classique de l’organisation multiplie les risques d’échec. Ses recherches ont d’abord révélé l’écart entre publications scientifiques et ressenti des fonctionnaires des services publics. Alors que les premières anticipaient des évolutions profondes grâce à la transformation numérique ainsi que des craintes quant à l’IA, portant notamment sur l’imprévisibilité, les pertes d’emploi et une forme de déshumanisation, des sondages auprès des fonctionnaires ont révélé que 7 % seulement d’entre eux s’attendaient à un impact fort sur la qualité de leur emploi, tandis que 40 % estimaient que cela ne produirait pas d’évolution majeure…

Les sondages montrent cependant que les fonctionnaires plus âgés, ou issus des populations autochtones ou des minorités sont plus nombreux à estimer que les nouvelles technologies, dont l’IA, auront un impact certain sur leur emploi. Quoi qu’il en soit, sur le terrain, l’IA modifie les organisations et le travail. Ainsi, dans certains centres d’appels, ce sont désormais des algorithmes qui fournissent des informations aux agents chargés de répondre aux questions des citoyens. Les agents n’entrent donc plus en contact avec les services disposant des informations et n’ont plus à connaître l’organisation ni le fonctionnement de ces services. « Cela implique de réfléchir à de nouveaux référentiels de compétences », indique Steve Jacob. La question sera d’autant plus difficile à résoudre que les futures compétences à acquérir varient selon les secteurs. Ainsi, les fonctionnaires publics chargés de la gestion, de l’éducation et de la santé sont ceux qui détiennent le moins de capacités techniques. À l’inverse, ceux des services IT présentent les compétences en communication les moins élevées. La transformation numérique devra donc en tenir compte.

Le Centre intégré des services sociaux, qui gère des hôpitaux mais aussi les services de protection de la jeunesse et prend en charge les enjeux de santé mentale, a ainsi engagé une transformation numérique d’ensemble. « Il s’agit en effet de plusieurs transformations, car ce sont différents métiers qui sont touchés », souligne Steve Jacob. L’introduction de systèmes d’IA peut d’ailleurs modifier les comportements de ceux qu’ils sont censés aider. Ainsi, un service social a été équipé d’un algorithme permettant d’évaluer le niveau d’urgence nécessaire pour déclencher une intervention. Or les agents ont constaté que l’algorithme commettait parfois des erreurs… Ces situations ont conduit les travailleurs sociaux à adapter en conséquence leurs réponses aux questions de l’algorithme, afin de l’amener à considérer une intervention urgente.

Ces changements impliquent donc aussi une refonte de la définition des compétences. Conçues classiquement comme l’addition des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être, elles mettent pour l’instant l’accent sur une dimension individuelle, en faisant abstraction de la mise en œuvre qui, elle, inclut la culture organisationnelle, la situation professionnelle, les moyens mis à la disposition des salariés et la motivation. Or « la compétence est le résultat d’une rencontre entre un individu, un groupe et une organisation », rappelle Steve Jacob. Il relève également que l’IA est perçue comme une baguette magique du même type qu’un logiciel, alors qu’elle demande un travail préalable autour des données et une phase d’apprentissage. Autant dire que la transformation numérique et l’IA d'autant plus invitent à sortir du cadre de réflexion portant sur la compétence individuelle pour intégrer les dimensions organisationnelles et la motivation des équipes.

Retrouvez cet article dans le numéro 1606 d'Entreprise & Carrières

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins