Les outils l’IA générative pour les entreprises se multiplient. Les utilisateurs des suites bureautiques de Microsoft et de Google peuvent désormais recourir à, respectivement, Copilot et Duet, deux « assistants intelligents », mais aussi ChatGPT Entreprise. Quel sera l’impact de l’usage de ces outils sur le travail quotidien et quelles répercussions auront-ils sur les fonctions RH ? Une première analyse avec Cécile Dejoux, professeur des universités au Cnam, affiliée à l’ESCP Business School, et par ailleurs directrice de l’Observatoire des transformations managériales et RH.
Quel sera l'impact des outils d'IA générative sur le travail quotidien des salariés ?
Cécile Dejoux : L'IA générative va avoir quatre impacts majeurs. Elle va d'abord accélérer l'exécution des tâches, d'autant plus que ce ne sont pas les outils comme ChatGPT, Copilot ou Duet qui vont se généraliser, mais des « combos ». Ces assemblages de plugins que les salariés devront créer vont réaliser des tâches plus complexes. Il sera possible de demander par exemple de créer un cours sur l'IA générative à un « combo » composé de trois plugins : l'un pour rechercher l'information, le second pour la synthétiser et le troisième pour la mettre en forme sous forme de slides. Cela pourrait être considéré comme une « suite éditoriale ». Cela permettra de réaliser des gains de temps considérables. Avec de tels outils, un salarié pourrait confier des activités complexes à l'IA et plus simplement des tâches comme répondre à un mail. Un deuxième impact majeur sera de pousser les salariés à réfléchir à leur valeur ajoutée. Selon moi, elle se situe au niveau de l'offre de services au sens d'accompagnement humain, car c'est par les services que les entreprises vont se différencier à l'avenir. La communication et le marketing sont parmi les métiers les plus disruptés par l'IA générative. Le temps libéré pourrait être consacré à créer de nouveaux services pour les clients, pour leur expliquer une démarche, demander à l'IA de créer des kits de communication différenciants. Globalement, il faudra réinventer la plus-value humaine dans les transactions aujourd'hui confiées à des plateformes automatisées.
Quels seront les troisième et quatrième impacts ?
C. D. : Le troisième impact sera l'augmentation de la créativité. Beaucoup de gens ont pensé que l'IA ne capterait pas les tâches créatives ou c'est l'inverse qui se produit. Les humains vont devoir développer un autre type de créativité en imaginant les nouveaux usages possibles avec l'IA générative. Jusqu'à présent, l'imagination s'investissait dans les applications et leurs développements. Désormais, il faudra imaginer de nouveaux usages et surtout le contrôle, c'est-à-dire le mentoring au sens américain de contrôle de l'efficacité. Avec un cours conçu par une IA générative, nous ne serons plus dans le déductif, c'est-à-dire trouver les informations à retenir, mais dans l'inductif, c'est-à-dire une réflexion. Le quatrième impact sera la personnalisation de la communication. L'IA générative permet d'adresser des messages personnalisés plus rapidement à plus de publics. L'utilisateur pourra ainsi créer une bibliothèque de prompts qu'il pourra réutiliser par la suite. Il n'aura plus à refaire ce type de tâches.
Quel sera l'impact sur le management et l'évaluation de la performance ?
C. D. : Quatre dimensions vont être modifiées. La première sera l'entrée des juniors dans leur métier. Ils seront en compétition avec l'IA et ils vont avoir la tentation de lui confier leurs tâches junior, or celles-ci sont indispensables pour être en mesure de se charger des tâches senior plus tard... Tout l'art du manager résidera dans sa capacité à convaincre les jeunes salariés de s'approprier ces tâches afin de maîtriser les bases de leur métier. Une deuxième dimension sera psychologique. Être sans cesse comparé avec une IA qui est toujours plus rapide et dispose de connaissances bien plus vastes peut amener les salariés à une perte de confiance dans leurs propres compétences et leur valeur. Pour éviter la détresse psychologique, il faudra des personnes très conscientes de leur valeur et surtout capables d'acquérir d'autres compétences que celles de l'IA. L'IA ne maîtrise pas les intentions et l'intelligence. L'IA n'est qu'un outil qui produit encore beaucoup d'erreurs. La troisième dimension sera donc celle du contrôle. Il faudra contrôler ces outils d'IA, car ils produisent encore beaucoup d'erreurs ou de pures inventions appelées des « hallucinations ». Enfin, il faudra garder du recul et un esprit critique. C'est le quatrième point important. Les utilisateurs devront toujours garder à l'esprit le doute et ne pas se laisser trop envahir.
Que doivent faire les équipes RH ?
C. D. : Elles vont devoir acculturer les salariés et leur expliquer l'utilité et l'usage de ces nouveaux outils. Ensuite, mettre en place des formations liées aux métiers et procéder avec des « test & learn » à petite échelle. Le plus important sera de former à l'éthique afin que les salariés sachent ce qu'ils peuvent faire, avec quel outil et dans quel lieu. La formation à tous les risques (réglementaire, biais, etc.) sera bien sûr fondamentale. Intégrer l'IA dans la mesure de la performance ? Il faudra la prendre en compte, mais il est encore trop tôt, car il est encore difficile de savoir où va se situer la limite entre l'humain et la machine. Il faut partir des cas d'usage. J’ai donc lancé un Mooc1 qui aborde plusieurs métiers : le responsable de formation, le RRH, la RH proprement dite, le manager et les consultants. Dans chacun de ces métiers, il faudra des évaluations précises par rapport à des tâches liées au métier. Autant il faudra être « IA compatible » – nous n'avons pas le choix –, autant il faut viser l'équilibre en développant des compétences de centrage spécifiquement humaines, en particulier la capacité à réfléchir afin que l'IA ne nous subtilise pas toutes nos capacités intellectuelles.