Après avoir rédigé un rapport listant 17 propositions déclinées autour de quatre axes, Jean-Dominique Senard, président de Renault Group, et Sophie Thiery, présidente de la commission travail et emploi du Conseil économique, social et environnemental (CESE), garants des Assises du travail, rencontrent les acteurs sociaux pour faire passer leurs messages. Le 6 juillet, ils échangeaient avec les membres de l'association Dialogues.
Comment les Assises du travail peuvent-elles faire évoluer les mentalités et les pratiques managériales ? L’association Dialogues avait invité Jean-Dominique Senard, président de Renault Group, et Sophie Thiery, présidente de la commission travail et emploi du CESE, les garants de ces Assises pour répondre à ces questions. Pour le premier, la conclusion de ces travaux, qui ont occasionné des débats « parfois vifs », mais toujours dans une « atmosphère sereine », flèche sans équivoque vers une réforme des comportements managériaux. Il faudrait qu’ait lieu « un vrai choix » quant au « style et l’organisation » du management en France. Jean-Dominique Senard va jusqu’à espérer une « cristallisation » pour déclencher un dialogue propice à un tel processus.
Sophie Thiery s’est pour sa part félicitée qu’il soit enfin question de travail « après tant d’années où [les acteurs du dialogue social] ont tant parlé d’emploi », tout en rappelant que le premier axe du rapport issu des Assises du travail, intitulé « Gagner la confiance », aborde précisément les pratiques managériales. « Il est la colonne vertébrale des trois autres axes des conclusions des Assises, a-t-elle souligné. Il faut abandonner le style managérial actuel basé sur les KPI, le reporting et le contrôle à distance, que l’extension du numérique a favorisé, pour aller vers plus d’écoute, d’autonomie et de responsabilisation. Il faut donner plus de poids à la relation humaine. » Ce qui implique de faire évoluer la formation initiale des managers et « nourrir des lieux de dialogue » afin de « renforcer le dialogue social », d’où la proposition des garants des Assises de confier à l’Anact la mission d’accompagner les entreprises s’engageant dans cette voie.
Pour restaurer la confiance, il devient nécessaire de rétablir « l’équilibre des temps de vie » professionnels et personnels, d’où l’incitation à expérimenter des dispositifs innovants comme la semaine de quatre jours ou l’extension de la pré-retraite progressive, « toujours dans une perspective de coconstruction » – dont Sophie Thiery a regretté qu’elle ne soit pas « toujours universelle » au sein des entreprises – et avec une évaluation des retombées. « Le travail est un sujet sociétal, pas uniquement du ressort du Code du Travail », a-t-elle souligné.
Le troisième axe de leur rapport, portant sur un socle de droits fondamentaux qui soient « portables », reconnaît les « trous dans la raquette », notamment pour les travailleurs des plateformes, qui ne bénéficient pas d’une protection adéquate pour les accidents et les maladies professionnels. Sophie Thiery a également précisé que l’évolution des contrats de travail devait être évoquée puisque désormais 70 % des embauches se font avec des CDD dont la durée médiane est de cinq jours et que 30 % de ces contrats sont signés pour… une journée. Dès lors, se pose la question de l’accessibilité pour ces travailleurs aux droits prévus par la législation.
Le quatrième axe, la préservation de la santé, est pour Sophie Thiery un enjeu de performance. « La France est lanterne rouge européenne des accidents mortels, a-t-elle rappelé, et moins de la moitié des entreprises réalise le document unique d’évaluation des risques professionnels. Désormais, la formation à la culture de la prévention doit irriguer la formation des managers, les conseils d’administration et le dialogue social. » La situation dans les entreprises doit évoluer d’autant plus rapidement que trois grandes évolutions vont percuter l’économie : la transformation environnementale, les évolutions démographiques, dont le vieillissement de la population et l’immigration, mais aussi l’arrivée de l’intelligence artificielle.
Jean-Dominique Senard a tenu à rappeler que la France cumule deux caractéristiques inhabituelles : une croissance faible et une décrue importante du chômage. « Cela démontre que nous avons un énorme sujet de productivité », a souligné le dirigeant. Dont la cause n’est pas à chercher bien loin : « La distanciation des Français par rapport au travail est l’une des causes. Les statistiques démontrent que la majorité d’entre eux sont malheureux quand ils travaillent. Plus des deux tiers indiquent aujourd’hui que, dans leur vie, leur travail n’est "pas important". » Comment faire bouger les entreprises ? Jean-Dominique Senard en appelle à un « gigantesque effort de formation » et un suivi passant par des points annuels qui seront une porte ouverte à des « dialogues charpentés ». Un vaste programme qui risque de se heurter à l’inertie des pratiques et la crainte très répandue chez les managers de commettre une erreur préjudiciable à leur carrière. Il faudra sans doute plus que des rencontres et des discours argumentés pour déclencher la « révolution managériale ».