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Vie des entreprises

Michel Langrand joue la carte du collectif chez Velux France

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.02.2009 | Sabine Germain

Entités autonomes, travail d’équipe, promotion interne… le leader de la fenêtre de toit, filiale du groupe familial danois VKR, cultive les valeurs de solidarité et le cocooning. Mais pour prévenir le risque de sclérose, il dope la mobilité.

Ronds, ovales, rectangulaires, carrés… Des Velux de toutes les formes, de toutes les tailles transforment le hall du siège, à Morangis (Essonne), en cathédrale de verre. Des Velux, ou plutôt des fenêtres de toit : la marque a beau être devenue un nom générique, Michel Langrand, président de Velux France, tient à marquer la différence. Une façon de rappeler que toutes les fenêtres de toit ne s’appellent pas Velux, mais que la marque est largement leader de ce marché, créé il y a plus de soixante ans au Danemark. Dès la fin de la guerre, Villum Kann Rasmussen, ingénieur et fils de pasteur, veut accélérer la reconstruction en réhabilitant des greniers et en leur apportant ventilation (ve) et lumière (lux) grâce à des fenêtres de toit. Vingt ans plus tard, il formalise sa vision : faire de Velux une « entreprise modèle ». Soit « une société qui traite ses clients, ses fournisseurs, ses employés et ses actionnaires mieux que la plupart des autres entreprises, et dont les bénéfices financent la croissance et garantissent l’indépendance financière ». C’est ainsi que le holding familial VKR reste propriétaire à 100 % de Velux : « Nous sommes à l’abri des pressions actionnariales et des fluctuations boursières. Notre actionnaire est exigeant, mais il a toujours eu une logique industrielle de long terme », se félicite Michel Langrand, aussi secret que Velux France qu’il préside depuis dix-sept ans. Mais déterminé à dénicher de nouveaux marchés dans un secteur du bâtiment en pleine déconfiture.

1 Séparer les activités

Président de Velux France, Michel Langrand ne gère en réalité que la distribution. Soit 265 salariés sur le millier que compte la marque en France : la moitié au siège de Morangis, l’autre moitié dans les agences régionales de Rennes, Lyon, Reims et Toulouse. Les 750 autres salariés se répartissent entre quatre sites de production, rattachés à la direction produits du siège, au Danemark : VKR France (450 salariés) produit des fenêtres, des raccordements et des vitrages à Feuquières-en-Vimeu (Somme) ; SK France à Marnay (Haute-Marne), Velsol à Reignier (Haute-Savoie) et KH France à Gray (Haute-Saône) totalisent 300 salariés qui fabriquent des stores et accessoires. Bien que totalement étanches en termes d’organisation et de management, les cinq sites français restent très proches les uns des autres grâce à de constants échanges. « Je me sens comme chez moi dans l’usine de Feuquières-en-Vimeu, où j’emmène régulièrement des clients en visite », note Julien Chaillot, directeur régional des ventes en Ile-de-France.

Point commun aux différents sites : aucun syndicat n’a franchi leurs portes. Tous les représentants du personnel sont sans étiquette. Et renvoient poliment les questions des journalistes vers la direction. Une situation qui ne simplifie pas forcément le dialogue social : « En 2006, nous avons mis en place un compte épargne temps de façon unilatérale, commente Nicolas Bruneteaux, responsable du développement RH de Velux France. Ce dispositif a ensuite été soumis à l’approbation du CE. » Idem sur le site de production de Feuquières, où le directeur, Renaud Grasset, a fait du comité d’entreprise son interlocuteur privilégié : « Nous engageons de véritables négociations sur les salaires ou l’organisation des horaires. Nous sommes ainsi en train de tester un nouvel horaire en 4 x 10 dans l’atelier d’aluminium. Au bout de trois mois, nous écouterons les conclusions du groupe de travail “pénibilité” et du CHSCT. Si l’expérience est concluante, nous l’élargirons à d’autres ateliers. Sinon, nous laisserons tomber. »

Les branches production et distribution ont, elles, une façon différente de gérer leurs effectifs : chez Velux France, 96 % des salariés sont en CDI. « Nous ne recourons aux CDD qu’en cas de congés maladie ou maternité, explique Christine Billet, responsable RH. Nous refusons de céder à la culture de la précarité. » Sur les sites de production, en revanche, le recours aux CDD et à l’intérim représente entre 10 à 15 % des effectifs, bien que des accords d’annualisation du temps de travail permettent de lisser la production tout en évitant, au maximum, le recours au travail de nuit.

2 Favoriser le travail d’équipe

Sur ses 26 hectares de terrain situés en lisière de la baie de Somme, le site de Feuquières-en-Vimeu n’a rien d’une usine classique. Treize petits bâtiments sont noyés dans une mer d’espaces verts. « Ces bâtiments fonctionnent comme autant de PME de 15 à 30 salariés, souligne Renaud Grasset. Le manager (qu’on appelle l’animateur) ne se contente pas d’animer son équipe : il gère ses flux de matières premières, ses coûts de revient, la maintenance de ses équipements… » Chaque bâtiment fonctionne de façon quasi autonome, avec cinq à dix opérateurs « compétence plus », qui ont une responsabilité spécifique : qualité, sécurité, environnement, maintenance, rangement, communication visuelle, secourisme… Ces opérateurs sont choisis en fonction de leurs aptitudes ou de leurs centres d’intérêt. Ils bénéficient d’une formation spécifique, mais ne perçoivent pas de rémunération complémentaire. Leur motivation, ils la trouvent dans les visites d’entreprises et les séminaires d’échanges qui leur sont proposés environ une fois par mois. Mais aussi dans les perspectives d’évolution : environ la moitié des managers sont des opérateurs sortis du rang. L’autre moitié est composée d’ingénieurs, le plus souvent formés en alternance. « Nous avons du mal à intégrer des animateurs venus de l’extérieur. S’ils sont trop directifs, la greffe ne prend pas avec les opérateurs », constate Renaud Grasset.

À 31 ans, Mathieu Tinseaux se définit lui-même comme un « bébé Velux » : il a décroché son diplôme d’ingénieur en alternance en mettant en place le process de maintenance commun à toutes les équipes de Feuquières-en-Vimeu. à présent, il anime le bâtiment usinage bois : une équipe de 25 à 30 personnes, selon le niveau d’activité. « à moi de me débrouiller pour sortir mes cadres de fenêtres dans les délais, prix et qualité qui m’ont été fixés. Si je suis aussi autonome, c’est parce qu’on m’a laissé le temps de grandir au sein de l’entreprise. »

Quant à la rémunération, elle est, elle aussi, loin d’être individualisée. Le salaire de base, proche du smic pour les opérateurs, est complété par une prime mensuelle et une prime annuelle. Toutes ces primes sont collectives et calculées en fonction des performances, de l’assiduité de l’équipe, et peuvent faire varier les rémunérations de 20 à 30 % d’un bâtiment à l’autre. S’ajoutent, en fin d’année, l’intéressement (institué en 1999, il correspond à 8 à 12 % de la rémunération annuelle) et la participation (environ 10 %). « En fin d’année, cela peut représenter jusqu’à 22 % de rémunération complémentaire », commente Christine Billet, responsable RH de Velux France. « Nous avons également mis en place une retraite complémentaire par capitalisation (article 83) pour l’ensemble des salariés, y compris les non-cadres », ajoute Nicolas Bruneteaux.

« Velux a toujours privilégié le travail d’équipe, dans des petits groupe à taille humaine », explique Michel Langrand, déçu toutefois de constater que la solidarité n’est pas citée par les salariés dans les enquêtes internes comme une valeur fondamentale de l’entreprise : « Le confort de leurs petites équipes fait qu’ils ne voient plus assez leurs collègues. » Et d’en tirer les conséquences en créant un restaurant d’entreprise, inauguré le mois dernier. « Elior a été emballé par notre projet, qui mise à la fois sur la convivialité et la diététique », explique le dirigeant, qui a fait installer des corbeilles de fruits dans tous les couloirs du siège de Morangis. « Dans l’idéal, nous aurions aimé que les repas soient gratuits, précise Nicolas Bruneteaux. Mais l’Urssaf considère qu’il s’agit d’un avantage soumis à cotisations sociales. Nous facturons donc chaque repas au minimum légal : 2,13 euros. »

3 Gérer les âges au cordeau

Dans l’usine de Feuquières-en-Vimeu, la moyenne d’âge s’établit à 37,8 ans depuis des années. Et ce n’est pas près de changer : « Nous sommes très attentifs à la pyramide des âges, explique Renaud Grasset. Nous voulons qu’elle reste le plus plate possible, avec un mélange homogène de toutes les générations. » Il ne s’agit pas d’un vœu pieux : quand un recrutement est engagé, le respect de la pyramide des âges est un impératif. « C’est contraignant, mais je tiens beaucoup à cette politique instituée par mon prédécesseur, poursuit Renaud Grasset. Je suis convaincu que la mixité entre des seniors expérimentés et des jeunes qui maîtrisent mieux les nouvelles technologies est extrêmement féconde. »

Michel Langrand aussi est attaché à la mixité au sein des équipes de Velux France. « C’est une pratique qui nous a toujours été naturelle. Au point que lors de notre enquête interne, 96 % des salariés ont déclaré que les personnes étaient traitées équitablement selon leur âge, leur sexe ou leur origine », renchérit Nicolas Bruneteaux qui regrette, en revanche, des lacunes dans l’insertion des salariés handicapés. « Nous n’en comptons que trois, alors que nous devrions en avoir quatre fois plus pour satisfaire à nos obligations. » En attendant de combler son retard, Velux France accueille des stagiaires handicapés.

4 Stimuler la mobilité interne

Avec une ancienneté moyenne de dix ans et des commerciaux âgés en moyenne de 46 ans, Velux France est bien placé pour savoir qu’un turnover très faible n’a pas que des vertus. Pour stimuler la mobilité et pallier le départ en retraite programmé de nombreux vendeurs, l’entreprise a mis au point un Pass Mobilité. Objectif : faire évoluer les assistantes commerciales ou les techniciens SAV qui le souhaitent vers la force de vente. Les candidats s’engagent alors dans un parcours en cinq étapes, qui peut s’étaler sur plusieurs mois en alternant les entretiens de motivation, la formation et les visites de sites. Un an après son lancement, ce dispositif a vu passer sept salariés, dont quatre ont obtenu une nouvelle affectation. « Un jeune technicien SAV est ainsi devenu délégué technique, commente Julien Chaillot, directeur régional des ventes en Ile-de-France. Sa mission : identifier les professionnels du bâtiment susceptibles de poser des Velux, les former, et développer de nouveaux courants d’affaires avec eux. Il devrait très vite pouvoir évoluer encore vers le poste de délégué professionnel : il gérera alors son propre portefeuille de clients. »

Promouvoir la mobilité interne pourrait toutefois avoir un effet pervers si la crise amenait l’entreprise – qui intervient sur le marché très affecté de la construction – à mettre la pédale douce sur le recrutement. Ces dernières années, Velux France a intégré 30 à 35 nouveaux collaborateurs (soit 10 à 15 créations de poste par an). Un peu de sang neuf…

Mais le risque de sclérose et de consanguinité n’est jamais loin. Michel Langrand l’avoue à demi-mot : « Nous aimons les personnalités qui partagent nos valeurs de solidarité et d’engagement personnel. Les jeunes loups aux dents longues n’ont pas vraiment leur place chez nous. Et c’est probablement dommage… » Il préfère retenir les conclusions de l’enquête Great Place to Work, qui a vu Velux France arriver à la 25e place (médaille de bronze) au palmarès des entreprises où il fait bon travailler.

Repères

Avec 10 000 salariés dans 40 pays, Velux appartient toujours au holding familial danois VKR qui possède une vingtaine de marques de fenêtres (Dovista), de décoration (Faber), de ventilation (Window Master), d’énergie solaire (Solar Cap)…

Le groupe emploie 16 000 salariés dans le monde et réalise 2,33 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour 188 millions d’euros de résultat net. Les chiffres des filiales ne sont pas publiés.

1942

Villum Kann Rasmussen invente la fenêtre de toit et dépose la marque Velux.

1964

Velux s’implante en France.

1976

Le premier des sites de production français entre en activité à Feuquières-en-Vimeu (80).

1997

Construction du siège de Velux France, à Morangis.

2008

Inauguration d’un nouveau bâtiment, qui double la surface du siège de Velux France.

ENTRETIEN AVEC MICHEL LANGRAND, PRÉSIDENT DE VELUX FRANCE
“En période de crise, il faut continuer à investir dans l’innovation”

Vous présidez l’activité distribution de la marque Velux en France. Les quatre sites de production français sont en revanche rattachés à la direction produits, au Danemark. Pourquoi ce cloisonnement ?

Séparer la production et la distribution me semble plutôt logique. à chacun de (bien) faire son métier. Le groupe Velux a adopté une organisation « glo-cal » : globalisée dans la vision partagée, localisée pour rester proche de notre marché. En matière de management, chacun des six sites français est autonome. Mais nous partageons tous la même mission et les mêmes valeurs.

Ces notions ne sont-elles pas galvaudées ?

Villum Kann Rasmussen, le fondateur de Velux, a rédigé dès 1965 un texte définissant la mission du groupe : être une entreprise modèle. Cette « mission », immuable depuis plus de quarante ans, s’assortit de « valeurs » partagées par l’ensemble du groupe : l’engagement personnel, le respect mutuel, l’amélioration continue, la conscience au travail et l’initiative locale. à chaque site, dans le monde, de décliner cette mission et ces valeurs en une « vision ». Actuellement, la vision du groupe est d’être le meilleur aux yeux de nos clients et d’améliorer l’habitat.

Comment continuez-vous à gagner des parts de marché ?

Nous voulons développer une offre qui améliore la qualité de vie. C’est un objectif plus mobilisateur. Surtout en période de crise. Dans la conjoncture actuelle, les salariés sont inquiets, et c’est légitime. Le fait que nous soyons toujours dans une dynamique de croissance [Velux ne publie pas ses chiffres, NDLR] les rassure un peu. Mais nous devons également trouver de nouvelles pistes de développement. Puisque les Français peuvent plus difficilement acquérir un logement, nous pouvons les aider à agrandir leur domicile en aménageant les combles.

La crise est particulièrement sévère sur le marché du BTP. Avez-vous prévu d’en tirer des conséquences ?

Nous n’avons aucun projet de réduction d’effectifs. Mais nous allons clairement rationaliser nos budgets pour pouvoir continuer à investir dans l’innovation et dans la valorisation de nouveaux marchés (les combles à aménager, notamment). Nous sommes dans une logique plus offensive que défensive. De ce point de vue, le fait d’appartenir à un holding familial et de ne pas être coté en Bourse est rassurant.

Vous n’avez aucun représentant syndical au sein de l’entreprise. Comment procédez-vous pour négocier des accords collectifs ?

Le taux de participation aux élections professionnelles est relativement élevé. Les salariés privilégient les élections au second tour, sans étiquette syndicale. Nous négocions avec le comité d’entreprise et mettons en place des accords de façon unilatérale. Pour les 35 heures, la délégation syndicale a été accordée à certains salariés.

Avez-vous envisagé de revenir sur l’accord relatif à la réduction du temps de travail ?

Revenir sur les 35 heures serait un signal très négatif. Une façon de dire : dès que la loi change, on s’engouffre dans la brèche. Nous préférons proposer davantage d’heures supplémentaires à ceux qui le souhaitent.

Et la retraite à 70 ans ?

Je considère que c’est aux salariés de se déterminer. Notre devoir est de les accompagner et de leur permettre de partir à l’âge qu’ils souhaitent. Ce débat me semble toutefois révélateur de l’image très négative qu’a la valeur travail dans notre pays. Après tout, on peut aussi se réaliser dans son travail et avoir envie de poursuivre sa carrière aussi longtemps que possible.

Vu de la maison mère danoise, le droit du travail français est-il perçu comme contraignant ?

Contraignant, c’est certain. Ce qui me semble le plus lourd à gérer reste toutefois l’amoncellement législatif. Cela dit, nous sommes en France et nous nous accommodons du contexte français. Même si je note qu’au Danemark, où le cadre législatif est moins contraignant, les salariés changent beaucoup plus facilement de carrière. Comme par hasard, les taux d’emploi sont bien plus élevés qu’en France pour toutes les catégories de salariés…

Propos recueillis par Sandrine Foulon et Sabine Germain

MICHEL LANGRAND

56 ans.

1976

Sup de Co Le Havre et Stanford University.

1978

Directeur du département BTP d’Atlas Copco France (groupes électrogènes et air comprimé).

1984

Directeur commercial de HIAB-Foco France.

1989

Directeur commercial de Somfy France.

1992

Président de Velux France.

Auteur

  • Sabine Germain