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Idées

L’accord sur la formation continue est-il satisfaisant ?

Idées | Débat | publié le : 01.02.2009 |

Début janvier, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord sur la formation professionnelle. Avec un objectif ambitieux : faire accéder à la formation 700 000 personnes de plus par an, 500 000 salariés peu qualifiés et 200 000 demandeurs d’emploi. La réforme qui s’esquisse marque-t-elle un progrès par rapport à l’ANI de 2003 ? Les réponses, mitigées, de la directrice générale de l’association Entreprise & Personnel, d’un professeur du Cnam et d’un chercheur du CNRS.

Sandra Enlart Directrice générale d’Entreprise & Personnel

Il est encore trop tôt pour savoir si la réforme de la formation sera satisfaisante. Néanmoins, on peut déjà se réjouir du fait que les demandeurs d’emploi et les salariés soient traités comme un ensemble, et non pas comme deux populations qui ne relèveraient pas des mêmes choix. Symboliquement, mais financièrement aussi, la mutualisation des fonds est un signe de décloisonnement : les demandeurs d’emploi sont des salariés potentiels et les salariés peuvent aussi représenter une population fragile.

La transformation du FUP en FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels) doit aussi être perçue comme un signe positif. L’intitulé lui-même est une manière d’inscrire la formation dans un périmètre très large qui est bien celui de la mobilité tout au long de la vie. Mais ce cadre n’est pas idéalisé, comme dans le texte du préambule de la loi du 31 décembre 1999 où l’on insistait sur un individu acteur de son parcours. Ici le fait de parler de sécurisation montre bien que l’on a collectivement pris conscience de la nécessité de protéger les plus fragiles en leur donnant accès non pas seulement à la formation, mais plus largement à tout ce qui peut professionnaliser. Enfin, la place accordée à l’individualisation, à l’ingénierie pédagogique et de parcours, à l’autoformation est certes insuffisante par rapport à nos attentes, mais au moins ces thèmes sont-ils clairement inscrits dans le paysage conventionnel.

Un certain nombre de points restent en attente : de nombreux sujets cruciaux sont renvoyés à des groupes de travail (portage du DIF, bilan d’étape professionnel…). L’articulation entre les niveaux politique et individuel est bien peu présente. Espérons que les conseils régionaux continueront à faire ce travail entre les démarches des différents acteurs ! Enfin, deux questions nous inquiètent : pourquoi avoir maintenu la distinction entre les actions portant sur les postes de travail et celles portant sur le développement des compétences ? Fallait-il raisonner d’une part sur les postes et d’autre part sur les individus après vingt ans de chantier de gestion des compétences ? Si nous soutenons fortement ce qui est dit autour de l’évaluation, cette partie du texte est encore beaucoup trop floue quant à ses critères. Or chacun sait que le choix des indicateurs en dira beaucoup sur les objectifs réels de la réforme et la place que la formation pourra prendre. Au bout du compte, cette réforme est globalement porteuse d’espoir même si nous la souhaitions plus audacieuse.

Vincent Merle Professeur au Cnam

La crise s’accentue, le chômage monte et les caisses de l’État sont vides. Le régime d’assurance chômage risque à nouveau de passer dans le rouge et devra sans doute diminuer sa contribution à la formation pour aider au retour à l’emploi. Les régions sont empêtrées dans un système de commande à travers des marchés publics qui entrave la construction d’une offre de formation de qualité. C’est donc le dos au mur que cette négociation s’est ouverte, après une concertation qui n’est pas vraiment parvenue à trouver la voie d’une rénovation en profondeur de la collaboration entre les trois grands acteurs de la formation professionnelle, l’État, les régions et les partenaires sociaux. Sans véritable feuille de route et sommés de mettre la main à la poche, les négociateurs pouvaient difficilement accoucher d’un accord très innovant. Le gouvernement jugera si la création du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels répond à ses attentes et si les stages de préparation opérationnelle à l’emploi sont de nature à donner un coup de pouce significatif aux dispositifs d’aide au retour à l’emploi. Il y a là cependant un premier pas important : pour la première fois, les partenaires sociaux admettent que les fonds versés par les entreprises aux organismes mutualisateurs peuvent avoir pour objet de contribuer à la formation des personnes à la recherche d’un emploi. Sans cela, tous les efforts en faveur d’une meilleure coordination seraient vains.

Mais le texte peut aussi être lu comme le prolongement de l’accord de 2003. Les partenaires sociaux continuent à creuser les sillons qu’ils ont ouverts : portabilité du DIF, bilan d’étape professionnel, amélioration des services rendus par les Opca, développement des certifications professionnelles interbranches, accentuation du rôle des Fongecif en matière d’aide à l’élaboration d’un projet de développement professionnel… Les notions de coresponsabilité, de professionnalisation, de validation des acquis font leur chemin et accompagnent la lente évolution des pratiques de formation en entreprise. Tant mieux ! Mais nous sommes loin du grand chambardement annoncé, et bien des questions de fond restent en suspens, notamment celle de la construction d’une offre de formation qualifiante ouverte à tous ou celle d’une révision en profondeur du financement de la professionnalisation de tous les jeunes par l’alternance. Quant à la lisibilité du système, elle n’est pas pour demain !

Philippe Méhaut Directeur de recherche au CNRS, Lest, Aix-en–Provence

Les petits pas par rapport aux textes antérieurs sont nombreux dans l’accord, mais l’incertitude sur leur effectivité est grande. La formation « tout au long de la vie professionnelle » élargit la perspective par rapport à la formation professionnelle tout au long de la vie. L’introduction de la sécurisation des parcours a le mérite de déplacer les enjeux sur la perspective individuelle. Le resserrement des priorités aide à la clarification des choix, à l’évaluation des résultats. Focaliser sur les moins qualifiés, sur les salariés des PME, définir des objectifs quantifiés, mieux articuler la politique en direction des chômeurs et celle en direction des salariés doit, en principe, permettre de lever certaines des critiques récurrentes sur « l’effet Matthieu ». Le système se rééquilibre de la branche à l’interprofessionnel, avec une meilleure prise en compte des enjeux transversaux relatifs à la certification, au pilotage renforcé par le Comité paritaire national pour la formation professionnelle, à l’articulation avec les territoires. Reste la grande question, non résolue et exacerbée par cet accord, celle du statut de la formation.

Bien privé, relevant d’abord de l’employeur, telle était la réponse de 1971. Bien privé mais mixte (salarié et employeur) pour le CIF. Bien semi-public si la branche a autorité sur les acteurs privés, ce que renforçait l’ANI de 2003. Bien public, de façon implicite, dans le présent accord. Comment comprendre la notion de socle commun de compétences, décliné dans les branches ? Pourquoi instituer une instance spécifique d’évaluation ? Pourquoi un fonds paritaire de sécurisation des parcours et pas un fonds national ? On est aux limites de ce que peuvent proposer les acteurs d’un segment de la formation, segment qui comporte des enjeux financiers importants, à ce jour pas vraiment remis en question. Cette limite ne peut être reprochée aux seuls partenaires sociaux. Si la formation est vraiment un bien public, alors l’État ne peut avancer masqué, avec un couteau et un objectif, celui de piquer dans la caisse. Il ne peut esquiver les questions relatives à l’incapacité de la formation initiale à tarir les sorties non qualifiées ou celles du droit à la formation différée. Les régions ne peuvent occulter le besoin de propositions et de réponses coordonnées, qu’il s’agisse des priorités nationales ou des articulations pluripartenaires. Ce débat n’aura probablement pas lieu, faute de volonté politique. C’est ce qui corsète le plus l’ANI et son interprétation.