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Vie des entreprises

Patrick Mendy se bat pour préserver l’emploi de ses routiers

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.01.2009 | Stéphane Béchaux

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Principaux marchés en 2007 (en %)

Crédit photo Stéphane Béchaux

En 2005, l’ex-patron de la PME était rappelé aux affaires par les syndicats. Depuis, son fils a pris les rênes. Pour éviter de licencier malgré la crise, il serre les coûts et optimise le temps de conduite des 127 routiers. Les troupes suivent, globalement.

Terrible hécatombe. L’an dernier, près de 2 000 entreprises de transport routier ont déposé le bilan. Et l’exercice 2009 s’annonce plus exécrable encore. Cette tempête économique n’épargne pas les Transports P. Mendy. Implantée au nord de Bayonne, cette PME familiale, qui emploie 127 conducteurs, a pour premier client… Renault ! En 2007, le constructeur automobile représentait 22 % de son chiffre d’affaires (15,4 millions d’euros). Un taux en chute libre depuis l’été 2008. Chez les Mendy, on fait le dos rond. « J’aurais pu réduire immédiatement le nombre de tracteurs [la partie motrice du camion] et de conducteurs. Mais quand on fait vivre 127 familles, on en tient compte », justifie Patrick Mendy, 38 ans, petit-fils du fondateur. Comme baptême du feu, difficile de faire pire. Le jeune patron n’a en effet véritablement succédé à son père qu’au printemps, après que l’entreprise a décroché la récompense suprême : le prix du Transporteur de l’année 2008.

1-Cultiver l’esprit de famille.

Les fins de mois difficiles, les Transports Mendy connaissent. Propriété de TNT de 2000 à 2005, la PME cumule alors les déficits. En novembre 2005, le groupe néerlandais annonce la vente du site landais de Bénesse-Maremne à son directeur. Tollé immédiat des salariés, qui se mettent en grève et bloquent les camions. « On ne voulait plus des gens de TNT. Des -financiers qui ont mis la boîte par terre et se remplissaient les poches », explique un con-ducteur. En quête d’un repreneur, les syndicats frappent à la porte de l’ancien patron, Pierre-Michel Mendy. Bonne pioche. À 62 ans, il -rachète son entreprise, vendue en 2000, en association avec un partenaire local.

Changement de nom, de logo, de couleur des camions… Le retour du fondateur marque un nouveau départ. Ses enfants réintègrent aussi l’entreprise, aux postes clés : Patrick comme directeur, et sa sœur, Isabelle, en tant que directrice administrative et financière. Avec eux reviennent les méthodes managériales d’antan. Portes de bureaux ouvertes, tutoiement de rigueur, contact direct. « Il faut être un peu paternaliste avec les conducteurs. Être près d’eux, les écouter, comprendre leurs problèmes », souligne le patron qui, chaque samedi matin, nettoie et attelle lui-même les camions.

Dans l’entreprise, pas d’outils RH sophistiqués. Ni rémunération variable pour les affréteurs ni entretien annuel d’évaluation pour l’ensemble des troupes. « Ici, on travaille dans la convivialité. On veut maintenir un bon climat social, pas générer du stress en fixant des objectifs », explique la DRH, Marie Pépiot, qui claque la bise à tout le monde, délégué cégétiste inclus. De la période TNT, les Mendy ont en effet hérité de trois sections syndicales, aux troupes clairsemées : CFDT, CGT et CGT-FO. Une situation dont s’arrange la PME, qui n’a pas connu le moindre conflit depuis trois ans. Mieux, toutes ses négociations se sont conclues par des accords unanimes.

2-Contenir la masse salariale.

Accueillis en sauveurs, les Mendy n’en tail-lent pas moins dans les coûts. Pour alléger la masse salariale, ils exigent du personnel qu’il renonce au treizième mois que TNT lui avait accordé. En échange, la direction propose un accord d’intéressement généreux, fondé sur des critères non financiers : la consommation de gazole, la sinistralité routière et les réclamations des clients sur la marchandise. De quoi assurer 1 200 euros par an à tous les salariés. Renégocié dé-but 2009, le prochain accord d’intéressement s’annonce moins favorable. La -direction entend y ajouter des critères financiers et muscler les objectifs à atteindre.

Autre chantier, entrepris début 2007, l’harmonisation des statuts des conducteurs. À l’époque, en effet, tous ne sont pas logés à la même enseigne. « Les plus anciens avaient une garantie salariale de 210 heures, les plus jeunes de seulement 180 heures », souligne la DRH. Par accord, direction et syndicats fixent à 200 heures le contrat type de tous les routiers. En ces temps de vaches maigres, la mesure rassure. « On est sûr de toucher nos 200 heures, même si on reste à la maison faute de boulot », apprécie l’un des conducteurs. Pour améliorer l’ordinaire, lui et ses collègues peuvent aussi compter sur quelques carottes. Comme une prime mensuelle de 70 euros attribuée à ceux qui ne déclarent pas de sinistre pendant les trois mois précédents. Ou une prime annuelle d’assiduité de 225 euros versée en janvier à ceux qui ont été absents moins de dix jours l’année précédente.

Pas de grain à moudre, en revanche, du côté des augmentations salariales. L’entreprise s’en tient aux minima conventionnels. « Autrefois, on se battait pour entrer chez Mendy car on était payé au-dessus des conventions collectives. Mais depuis l’époque TNT, c’est terminé », constate Orlando de Pinho Texeira, le délégué cégétiste. Preuve que le package social s’avère néanmoins convenable, le transporteur connaît un turnover relativement faible. « Dans une entreprise, il y a toujours des gens qui se plaignent. Mais la famille Mendy, elle est plutôt sociale », assure le délégué cédétiste Didier Pétin, conducteur maison depuis vingt-deux ans.

3-Optimiser les temps de conduite.

Chez les Mendy, on surveille l’activité des routiers comme du lait sur le feu. Et en particulier le nombre d’heu-res qu’ils passent, chaque mois, derrière leur volant. « Un conducteur qui consacre moins de 80 % de son temps de travail à la conduite ne peut pas nous faire gagner d’argent », martèle Patrick Mendy. D’où cette règle non écrite du « 80-20 » instaurée dans l’entreprise qui stipule que sur cent heures travaillées, un conducteur doit en passer au moins quatre-vingts sur la route et au plus vingt chez le client pour charger ou dé-charger son camion.

Le principe ne fait pas l’unanimité. « La direction fait pression sur les conducteurs pour qu’ils se mettent en repos quand ils arrivent chez les clients. Mais ça n’est pas normal. Quand on attend trois heures pour charger ou décharger, on ne dispose pas librement de son temps. C’est donc du travail ! » dénonce Éric Remoinville, le délégué FO, en guerre ouverte avec le patron. Une argumentation déjà développée par l’inspecteur du travail des transports. En janvier 2007, un courrier adressé à la direction – toujours affiché sur le panneau syndical de la CGT – rappelait le caractère illégal d’un tel principe.

Le transporteur, qui a fait équiper ses camions d’un outil informatique très performant, suit à distance, et en temps réel, l’activité de chacun de ses 127 chauffeurs. Une tâche qui incombe à Richard Plusquellec, le beau-frère du patron. « Par souci de rentabilité, on a toujours essayé d’être à la pointe en matière de suivi et de gestion de l’activité des conducteurs », précise l’intéressé, qui peut même se brancher au logiciel depuis son domicile. Des données, il ressortirait que 16 conducteurs ne « jouent pas le jeu » du 80-20. « C’est ce que nous a dit la direction en comité d’entreprise », assure un membre de l’instance.

L’outil informatique permet aussi à la PME d’optimiser les temps de service des routiers. Une gestion cruciale en période de disette. « Quand un conducteur atteint ses 200 heures, on arrête de le faire rouler. On partage le temps de travail de telle sorte que tout le monde atteigne les 200 heures de la garantie salariale », explique Patrick Mendy. Un principe accepté par les troupes au nom de la solidarité. Mais qui fait mal au porte-monnaie. Avec la baisse d’activité, les chauffeurs ont perdu de 200 à 300 euros par mois, en heures supplémentaires et en frais de route.

4-Promouvoir une conduite responsable.

Chez les Mendy, on chasse le gaspi. Notamment la surconsommation de gazole. L’an dernier, la flotte a englouti 32 litres aux 100 kilomètres. La direction voudrait réduire cette consommation de 1 litre, histoire d’économiser… une centaine de milliers d’euros par an ! Pour sensibi-liser les conducteurs, la PME affiche chaque mois les noms et les performances des trois plus économes et des trois plus dépensiers. Ceux qui dépassent les 33 litres aux 100 kilomètres partent en formation. Le transporteur dispose en effet de son propre formateur qui, en plus de renouveler les certificats professionnels des conducteurs, leur apprend la « conduite rationnelle ». « Le maître mot, c’est l’anticipation. Moins vous utilisez la pédale de frein et l’accélérateur, moins vous consommez », explique, en bon maître d’école, Frédéric Ratajski.

Seconde priorité, la sécurité. Située en bordure d’autoroute, à quelques mètres d’une barrière de péage, la PME est aux premières loges pour observer les dégâts des freinages trop tardifs. « Il ne se passe pas un mois sans qu’on assiste à un accident. Un camion, c’est un tombeau », commente un chauffeur. Le transporteur, qui termine sa démarche de certification environnementale ISO 14001, entend y ajouter un volet portant sur la prévention des risques. « On s’est lancé, l’an dernier avec le CHSCT, dans une démarche d’amélioration de la sécurité. On veut y intégrer des objectifs de baisse des cotisations patronales au régime AT-MP », précise Marie Pépiot. Une DRH qui, mariée à un conducteur routier, n’a pas besoin d’être sensibilisée…

La saga Mendy

Avec un chiffre d’affaires de 15,4 millions d’euros en 2007, P. Mendy reste un acteur local du transport de marchandises. Médiatisée par le prix du Transporteur de l’année 2008, cette PME revient de loin. En 2005, elle accusait des pertes de plus de 6 millions d’euros. Retour sur cette aventure familiale.

1950

Pierre Mendy achète son premier semi-remorque.

1958

Son fils, Pierre-Michel, intègre la PME comme troisième conducteur. Il en devient le patron en 1976.

2000

Vente de la PME et de ses filiales au groupe hollandais TNT. Plus de 600 employés y travaillent alors.

2006

Pierre-Michel Mendy rachète son entreprise, devenue lourdement déficitaire. Son fils Patrick en devient le directeur. Puis l’unique patron en 2008.

Principaux marchés en 2007 (en %)
ENTRETIEN AVEC PATRICK MENDY, DIRECTEURDES TRANSPORTS P. MENDY
“Je ne prends pas les salariés pour des pions, comme dans certains groupes”

Nombre de trans-porteurs dégraissent pour résister à la crise. Pourquoi pas vous ?

Actuellement, j’ai 25 conducteurs en trop. La solution de facilité consisterait à les licencier immédiatement et à réduire le parc de tracteurs. Mais ces conducteurs, on les a formés. Et ils auront beaucoup de mal à retrouver du travail ailleurs. J’essaie donc d’en tenir compte et de les respecter. Je ne les prends pas pour des pions, comme dans certains grands groupes.

Comment faites-vous pour tenir financièrement ?

Cet automne, on a remis tous les compteurs à zéro : on a vidé les comptes épargne temps, liquidé les reliquats de congés payés et les repos compensateurs. Par ailleurs, on limite à 200 heures le temps de travail des conducteurs, ce qui correspond au montant de leur garantie salariale. L’idée est de partager le temps de travail en lissant les heures supplémentaires. Ils y ont perdu entre 200 et 300 euros par mois. Dans une PME, on est tous dans le même bateau.

Pourquoi contrôlez-vous tant l’activité des conducteurs ?

Une entreprise de transport bien gérée fait 3 % de résultat d’exploitation. C’est très peu. Le moindre détour kilométrique peut vous coûter votre marge. La moindre attente prolongée chez un client aussi. Si vous devez payer une demi-journée de travail à un conducteur qui attend de charger pendant 4 heures, ce n’est même pas la peine de le faire partir. Ça nous oblige à être très attentifs aux temps de conduite, de travail et de mise à disposition des conducteurs. La -plupart font très attention ; quelques-uns abusent.

La réglementation sociale française vous permet-elle d’être compétitif face à des entreprises étrangères ?

Il y a quelques années, on n’avait aucune chance de remporter des appels d’offres face aux Espagnols, nos principaux concurrents. Maintenant, on arrive à se placer. Car ils ont fait de très gros progrès en matière sociale. Là-bas, les salaires sont annualisés, sur la base de 1 692 heures. Toute heure au-delà doit au minimum être payée 18 euros, ce qui coûte très cher.

Et les transporteurs d’Europe de l’Est ?

Leurs coûts salariaux sont 20 % plus faibles. Les transporteurs bulgares mettent deux conducteurs dans un véhicule et les font se relayer jour et nuit pour un salaire moin-dre et un temps de travail supérieur. Se battre avec les Bulgares ou les Polonais, c’est très compliqué. Et ça ne va pas s’arranger dans les prochains mois, quand ils vont pouvoir faire du cabotage dans l’Hexagone.

Le capitalisme familial diffère-t-il du capitalisme financier ?

Totalement. J’ai travaillé un an pour le groupe TNT, après le rachat de l’entreprise. Les directeurs passaient plus de temps dans les avions que sur place. Ils ont changé toutes les méthodes de gestion. Résultat, les frais de structure ont explosé, l’entreprise a abandonné sa politique de formation et perdu sa certification qualité. Un patron de PME ne fonctionne pas comme ça. Il est présent sur le site, écoute ses salariés, rencontre les clients, surveille les frais.

Jugez-vous utile la présence de trois sections syndicales dans votre entreprise ?

Du temps de TNT, ça s’imposait. Mais, aujourd’hui, tous les salariés peuvent franchir ma porte ou m’appeler sur mon téléphone portable. Dès lors, à quoi bon avoir des représentants du personnel ? Je préfère le dialogue direct. Cet automne, j’ai ainsi réuni l’ensemble des salariés pour les informer moi-même de la situation financière de l’entreprise. Sans intermédiaires. Les syndicalistes sont dans leur rôle lorsqu’ils exigent que tout soit fait dans les règles. Mais j’aimerais qu’ils en fassent autant lorsqu’ils posent leurs heures de délégation !

Peut-on concevoir qu’un conducteur travaille jusqu’à 70 ans ?

Non, pour des raisons de sécurité. Mais la pénibilité a considérablement diminué. Il y a quinze ans, les conducteurs étaient payés au rendement. Ils travaillaient 300 heures par mois, rentraient le samedi matin et repartaient le lundi à l’aube. Aujourd’hui, en comparaison, c’est le Club Med ! Qu’y a-t-il de fatigant à rouler 9 heures dans une journée, avec une pause-déjeuner au milieu ? Je connais des métiers beaucoup plus pénibles.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux et Sandrine Foulon

PATRICK MENDY

38 ans.

1989

Intègre les Transports Pierre Mendy comme conducteur.

1997

Directeur des Transports Nord Mendy à Valenciennes.

2002

Gérant du camping Land’Island à Moliets-et-Maa (Landes).

2006

Directeur des Transports P. Mendy.

Auteur

  • Stéphane Béchaux