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Politique sociale

À l’étranger aussi, la pénurie de médecins vire au casse-tête

Politique sociale | publié le : 01.01.2009 | Sandrine Foulon

Mieux vaut être malade en Aquitaine qu’en Picardie. Le dernier rapport du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) sur la démographie médicale en 2008 confirme la progression du désert médical français. Le nombre de médecins a beau avoir augmenté de 1,2 % en 2008, celui des retraités a, lui, progressé de 3,4 %. Les jeunes praticiens s’installent de préférence en zone urbaine, près des CHU. Les incitations financières mises en place en 2006 pour favoriser leur installation en zone sous-dotée n’y ont rien fait. Pour lutter contre ces inégalités géographiques, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, doit défendre le mois prochain devant les parlementaires sa réforme de la santé, baptisée hôpital, patients, santé et territoires (HPST). Alors qu’en septembre les infirmiers libéraux ont vu leur liberté d’installation restreinte en contrepartie d’une augmentation de leurs honoraires, il n’est pas question de toucher à celle des médecins. La ministre parie sur l’incitation plutôt que sur la coercition. Des maisons de santé où travaillent généralistes et spécialistes seront favorisées dans les zones rurales, des postes d’internes seront créés dans les villes où certaines spécialités font défaut dans l’espoir que les futurs praticiens choisiront d’y rester. Pour attirer des spécialistes, les hôpitaux pourront leur proposer un contrat avec une part de rémunération variable. Ailleurs, les pénuries de personnels de santé sévissent tout autant. Incitations financières, recours aux médecins étrangers, augmentation du numerus clausus, chacun tente de trouver un palliatif. Avec des succès divers.

Allemagne Une réduction des inégalités renvoyée à l’échelon régional

Nous nous dirigeons vers un déficit médical dramatique », affirme Andreas Köhler, président de l’Union fédérale des médecins conventionnés. « Faux, répond Ulla Schmidt, ministre fédérale de la Santé. Nous avons actuellement la plus grande densité médicale de toute l’histoire de la République fédérale. » L’Allemagne compte 1 médecin pour 261 habitants, contre seulement 1 pour 390 habitants en 1990 : « En fait, notre problème n’est pas le manque de médecins mais leur répartition géographique inégale », précise Karl Lauterbach, spécialiste de la santé au Parti social-démocrate. Le monde urbain connaît une situation pléthorique pendant que les zones rurales se désertifient. Par ailleurs, à l’Ouest, 24 % des hôpitaux et cliniques ont des postes non pourvus, contre 50 % dans l’ex-Allemagne de l’Est : « Beaucoup de médecins ne veulent plus sacrifier leur santé en consacrant soixante à quatre-vingts heures par semaine à leur travail », note Jörg-Dietrich Hoppe, président de la Chambre fédérale des médecins, en évoquant les généralistes ruraux. Enfin, la menace démographique se profile : d’ici à quinze ans, 41 000 médecins partiront à la retraite.

Malgré ces déséquilibres, la révision du mode de calcul des quotas d’installation, qui s’effectue par Land et par spécialité, n’est pas à l’ordre du jour. Aucune solution globale ne se dessine en faveur d’une revalorisation du statut des médecins de campagne. Quant aux hôpitaux, ils sont sous la pression de la budgétisation et se plaignent d’un manque de médecins et d’aides-soignants qui avoisinerait 21 000 postes (« baromètre des hôpitaux 2008 »). Pour l’instant, les réponses restent donc limitées à des projets pilotes régionaux. Dans les Länder de l’Est, des réseaux d’aides-soignants ont été mis en place, à l’instar du projet Agnes, développé avec l’institut de médecine communautaire du CHU de Greifswald. Depuis 2004, plusieurs dizaines d’aides-soignants ont été formés pour alléger la charge des médecins ruraux et assurer visites et soins de base aux patients.

Médecins russes. Dans le Land de Brandebourg et en Thuringe, des contacts ont été pris dans les pays de l’Est pour recruter : 20 médecins russes suivent actuellement une formation médicale et linguistique pour s’installer dans le Brandebourg. Mieux préparer les jeunes médecins généralistes est aussi le projet développé par la clinique Sana de Lübeck et l’Union des médecins conventionnés du Schleswig-Holstein. Il s’appuie sur des modules de formation dispensée durant deux ans à de jeunes médecins prêts à s’installer hors des villes. Récemment, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie a décidé d’offrir une prime mensuelle de 2 000 euros pendant deux ans à de jeunes médecins prêts à s’installer à la campagne. Mais l’appât du gain ne suffit pas toujours. En quête d’un généraliste, la commune de Görzke, dans le Brandebourg, offre la reprise d’une clientèle de 900 personnes, le loyer et une aide de 150 000 euros sur cinq ans. Ses 1 500 habitants attendent l’oiseau rare depuis deux ans.

Thomas Schnee, à Berlin

Pays-Bas La liberté d’installation et l’anticipation des besoins pour réguler le système

La réforme de 2006 libéralisant le système de santé a tout changé aux Pays-Bas. Depuis cette date, les médecins généralistes sont, certes, toujours payés par l’assurance maladie, sans que les patients n’aient rien à régler lors des consultations. Mais la grande différence est que les généralistes ne sont plus obligés de s’installer à un endroit précis, comme c’était le cas avant 2006. Aujourd’hui, le pays compte 8 500 généralistes pour 16 millions d’habitants, un nombre jugé suffisant par le ministère de la Santé. Ces médecins sont libres de s’installer où bon leur semble, grâce à une libéralisation progressive qui devrait s’achever en 2009 dans le secteur hospitalier. Un numerus clausus, dans les huit facultés de médecine que compte le pays, limite à 352 par an le nombre de nouveaux étudiants en médecine générale. La pénurie provoquée en 2000 et 2001 par les départs à la retraite de généralistes s’est résorbée. Il n’existe pas non plus de politique particulière d’accueil de professionnels étrangers. « Dans les régions frontalières, près de la Belgique notamment, des généralistes néerlandophones ont ouvert leur cabinet, mais ils restent minoritaires », précise Fulco Seegers, porte-parole de l’Association nationale des médecins généralistes (LHV).

Rendre des comptes. Quant aux 16 000 spécialistes du pays, ils sont régulièrement recensés par leur association, De Orde, qui anticipe d’éventuelles pénuries. « Dès que nous percevons un manque, les hôpitaux peuvent faire appel à des spécialistes étrangers pour des contrats temporaires d’une année ou deux », explique Arno Van Rooyen, porte-parole de l’association De Orde. Un numerus clausus est en vigueur pour chaque spécialité, en fonction des besoins. Il n’y a par exemple eu de place que pour 50 apprentis cardiologues en 2008, sur un total de 850 cardiologues actifs dans le pays. Ces professionnels n’échappent pas aux défis de la libéralisation : ils ne sont plus payés, par les hôpitaux ou les cliniques pour lesquels ils travaillent, sur une base mensuelle, comme avant 2006, mais selon un système d’honoraires.

« Dans un contexte devenu très critique sur la qualité des soins et la transparence, les spécialistes doivent apprendre à rendre des comptes tout en devenant eux-mêmes des entrepreneurs », note Arno Van Rooyen.

Dans les hôpitaux, la libéralisation se prépare dans la douleur : 48 directeurs ont démissionné au premier semestre 2008, contre 32 pour toute l’année 2007. L’Association des directeurs d’établissement de santé (NVZD) estime qu’en réalité les chiffres sont plus élevés. La raison principale de ces départs serait le stress provoqué par la prochaine réforme. « Le secteur hospitalier est devenu plus compétitif, plus risqué, avec des patients de plus en plus critiques et des assureurs plus exigeants », explique Jan Aghina, le directeur de la NVZD. Les syndicats des personnels de santé, eux, dénoncent une culture du profit qui verrait les directeurs d’hôpital changer souvent de poste pour toucher des primes de départ.

Sabine Cessou, à Amsterdam

Belgique Entre recours aux médecins étrangers et incitations financières

La Belgique n’échappe pas à la pénurie de professionnels de santé. En cause, la très forte féminisation du secteur (dont découle une avancée du travail à temps partiel), mais surtout le vieillissement des professionnels en activité. La moitié des généralistes avait plus de 50 ans en 2007, selon l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami).

Le manque de médecins incite de plus en plus de diplômés étrangers à s’installer en Belgique. Sur les 434 médecins qualifiés ayant obtenu un visa pour la Belgique en 2007, 30 % venaient de Roumanie, et 150 se sont installés de manière définitive. Ces chiffres ont beaucoup augmenté ces dernières années : les médecins étrangers n’étaient que 170 en 2005, selon le ministère des Affaires sociales et de la Santé publique. Cet afflux croissant est favorisé par l’ouverture des frontières européennes et la reconnaissance des diplômes européens en Belgique.

Paradoxe. Ce phénomène fait cependant débat, dans la mesure où les pouvoirs publics ont introduit en 1998 un numerus clausus vivement contesté par les étudiants dans les facultés de médecine de Flandre et de Wallonie. Des quotas stricts, actuellement fixés à 700 par an, sont maintenus avec l’inscription, obligatoire, des nouveaux généralistes auprès de l’Inami. Du coup, quelque 1 100 jeunes diplômés de médecine générale n’ont pu exercer en 2008. Les médecins belges sont aussi tentés par l’immigration, en France ou aux Pays-Bas, au rythme de 2 000 personnes par an. « On se trouve dans une situation paradoxale, proteste le médecin et sénateur Jacques Brotchi. D’une part, on refuse à nos jeunes l’accès à une profession et, d’autre part, on fait appel à des médecins étrangers pour assurer la continuité des soins. »

Principale lacune du système belge : le manque de données fiables afin d’établir les justes quotas d’entrée dans les facultés et d’enregistrement auprès de l’Inami. Un nouvel arrêté royal devrait relever les quotas jusqu’en 2018. Pas question pour l’instant de les supprimer. Un nouveau cadastre des médecins devrait être prêt début 2009 pour mieux identifier les zones en demande. Le programme Impulseo, lancé en octobre 2006, incite les jeunes diplômés à s’installer dans les zones à faible densité médicale, comme les provinces de Liège et du Limbourg, ou celle de l’Eifel, qui ne compte que 20 médecins germanophones pour 30 000 habitants. Depuis, 275 demandes de prêt sans intérêt ou de primes fixes de 20 000 euros à l’installation ont été accordées. Un geste qui reste insuffisant.

Sabine Cessou,à Amsterdam

Canada Délégation d’actes, recul de l’âge de le retraite, médecine itinérante… tout est bon dans un système en panne

Mieux vaut avoir le cœur solide. Dix-huit mois d’attente pour un examen cardiaque », a titré à la mi-novembre le Journal de Montréal à propos d’un hôpital de la banlieue montréalaise. Au Québec, le système de santé, public et gratuit, ne fonctionne plus. Les patients dorment sur des lits de fortune dans les couloirs d’hôpitaux surpeuplés. Il y a une dizaine d’années, le gouvernement a forcé des dizaines de milliers de médecins et d’infirmiers à partir à la retraite pour réduire le déficit budgétaire. « Cela prend dix minutes pour mettre un médecin à la retraite, ça prend dix ans pour en former un autre », a lancé il y a peu le Premier ministre du Québec, Jean Charest. Si les chiffres sur l’état de la pénurie varient beaucoup, environ un Québécois sur trois n’a pas accès à un médecin de famille et doit se rendre aux urgences pour se faire soigner. « Il est difficile, même comme médecin, de trouver un docteur », confie Hubert Wallot, psychiatre et professeur à l’université du Québec à Montréal. La situation québécoise n’est pas unique au Canada. Chaque province administre son système de santé mais doit respecter les grandes règles éthiques fédérales. La gestion des soins de santé doit être menée par un organisme public et les soins doivent être accessibles à tous.

Une loterie pour avoir un médecin. Comme il n’y avait pas assez de médecins pour les habitants de Yarmouth, une ville de la Nouvelle-Écosse, les autorités ont organisé une loterie en 2006. « C’est la seule méthode équitable que nous ayons pu trouver pour assurer à chaque individu une chance égale d’obtenir un médecin de famille », avait alors déclaré la docteur Shelagh Leahey, médecin de la bourgade. Si cette situation illustre à l’extrême la pénurie de personnel de santé au Canada, plusieurs villages se sont inspirés du film québécois la Grande Séduction, dans lequel les habitants de « Sainte-Marie-la-Mauderne » usaient de tous les artifices pour attirer un médecin. « Il y a un recours à la médecine itinérante dans certains villages. La télémédecine, dans les communautés du Grand Nord, est une alternative intéressante », estime Hubert Wallot. Dominique Breton, porte-parole du ministre de la Santé Yves Bolduc, assure que les quotas d’admission dans les universités sont en hausse, tout comme la formation de personnel pour pallier la pénurie. Parmi les autres solutions envisagées, elle évoque le report des départs à la retraite. Depuis 2008, le Québec délègue également certains actes médicaux aux infirmiers. Quelques entreprises québécoises proposent aussi du tourisme médical à Cuba.

En octobre, Jean Charest et Nicolas Sarkozy ont signé un accord de mobilité professionnelle qui doit permettre à des infirmiers ou à des médecins français et québécois de travailler plus facilement dans l’autre pays. Tout cela reste théorique. Le recours à l’immigration, soutenu par le gouvernement, est freiné par les ordres professionnels. Les ordres français et québécois devront mener des négociations qui s’annoncent longues, notamment dans le secteur infirmier. Le président de l’organisme regroupant les ordres, le Conseil interprofessionnel du Québec, Richard Gagnon, a assuré au quotidien montréalais le Devoir début novembre : « L’entente pourrait être mise en péril. Les autorités gouvernementales n’ont sollicité ni notre avis ni celui des ordres professionnels sur des aspects qui les concernent pourtant directement. » D’autre part, la formation académique des infirmiers est différente au Québec. Si certains effectuent trois années d’études universitaires, d’autres se contentent d’une formation équivalente à un baccalauréat professionnel. Les Québécois peinent alors à évaluer les diplômes français. Une situation qui n’inquiète guère le ministre de la Santé. Yves Bolduc a évoqué début novembre une solution aux airs de déjà-vu : « Il faut travailler plus d’heures pour combler les trous. »

Ludovic Hirtzmann, à Montréal

Espagne Médecins étrangers et concurrence des régions limitent la pénurie

Un médecin de garde aux urgences ? Colombien. Le pédiatre ? Argentin. La radiologue ? Chilienne. « Pour se perfectionner en accents latino-américains, rien ne vaut une visite à l’hôpital », disent, en plaisantant à peine, les habitants de Madrid et de nombreuses grandes villes du pays. L’Espagne manquerait-elle de médecins du cru ? Oui, mais la pénurie est relative, puisque le pays compte 4,2 médecins pour 1 000 habitants, contre 3,3 en moyenne en Europe, selon le ministère de la Santé, qui reconnaît « une légère carence » de pédiatres, de médecins de famille, d’anesthésistes, de chirurgiens et de radiologues.

Alors que le gouvernement prévoit l’augmentation du nombre de postes en internat et l’ouverture de 10 nouvelles facultés de médecine dans les dix prochaines années, afin de faire face aux nouveaux besoins d’une population vieillissante, les représentants du Conseil de l’ordre des médecins freinent des quatre fers : l’augmentation du nombre de généralistes n’apportera pas la solution au manque de spécialistes, assurent-ils, en s’inquiétant de l’homologation trop rapide des diplômes de médecins étrangers essentiellement sud-américains, mais aussi parfois polonais, « évalués sur papier, sans être soumis à un examen de compétences », selon José Maria Peinado, président de la Confédération des professeurs de médecine. Selon lui, le nombre de diplômes de médecins argentins homologués chaque année équivaut au nombre validé dans le même temps par quatre facultés de médecine espagnoles.

Alors que 20 % des étudiants d’aujourd’hui proviennent d’autres pays de l’UE, essentiellement du Portugal, 20 à 25 % des diplômés de santé espagnols ont choisi ces dernières années de partir exercer ailleurs (en France, au Royaume-Uni et au Portugal), où les conditions de travail et de salaire sont meilleures. Un flux sur le point de s’inverser, selon une étude d’Adecco Medical & Science, qui détecte le début du retour des quelque 5 000 médecins et infirmiers installés hors des frontières.

Décentralisation. Ces professionnels de santé sont attirés par les nouvelles perspectives qui s’offrent à eux en Espagne, où les rétributions des médecins ont augmenté de près de 25 % en deux ans. C’est l’une des conséquences du passage de la gestion des services de santé aux mains des régions qui, depuis janvier 2002, ont compétence sur les hôpitaux et réseaux de centres de santé ainsi que sur le nombre de places d’internat. « Les systèmes de santé régionaux sont en concurrence entre eux pour attirer les médecins via des salaires ou des conditions de travail plus séduisants », explique Inaki Gurrea, du syndicat Commissions ouvrières, qui proteste contre cette forme de « privatisation déguisée » du système public de santé.

Jusqu’ici, la décentralisation, supposée initialement aider les régions à gérer au plus près les nécessités locales et tout spécialement les zones rurales dépeuplées, n’a que peu porté ses fruits en ce sens. La médecine de campagne peut encore attendre.

Cécile Thibaud, à Madrid

50 % des hôpitaux de l’Est ont des postes non pourvus

Nombre de nouveaux étudiants généralistes : 352 par an

En 2007, 30 % des visas accordés à des médecins l’étaient à des Roumains

1 Québécois sur 3 environ n’a pas accès à un médecin de famille

20 à 25 % des diplômés choisissent de s’expatrier

Auteur

  • Sandrine Foulon