logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Mutation délicate à France Télécom

Dossier | publié le : 01.01.2009 | F. G.

Privé depuis 1996, le groupe s’est beaucoup diversifié, suppressions de postes et mobilités à l’appui. Si le volet RH du changement satisfait la direction, les salariés peinent à s’y retrouver.

Que reste-t-il de France Télécom, issu de l’ancienne administration des PTT ? Qu’est donc devenu ce fleuron public, autrefois uniquement composé de fonctionnaires ? Un grand groupe privé, qui affiche un chiffre d’affaires de 53 millions d’euros en 2007, en progression constante. Une grande entreprise largement lancée dans la course à la performance, serait-on tenté de répondre. Une world company, si fière de vendre aux quatre coins du globe ses produits siglés Orange qu’elle s’apprête à faire de cette marque son nom. Le 31 décembre 2008 a marqué la fin du plan Next. Mis en œuvre il y a trois ans, ce programme stratégique visait à modifier en profondeur l’entreprise. Ou plutôt à accélérer une transformation déjà bien enclenchée.

Dès la fin des années 80, France Télécom s’ouvre à la concurrence. En 1996, elle devient une société anonyme de droit privé. Embauché en 1990, Jean-Marc a l’impression d’avoir changé d’entreprise. « Avant, on était dans une culture de service public, il y avait une noblesse à travailler là. Aujourd’hui, on est une marque qui fait du chiffre. » Outre les changements de statut, l’activité s’est beaucoup diversifiée. Au réseau téléphonique se sont ajoutés la partie mobile ainsi qu’Internet. Ces évolutions technologiques ont engendré l’apparition de nouveaux métiers et entraîné une réorganisation totale de la société. Exit les petites entités autonomes fonctionnant selon des cultures d’entreprise spécifiques, place aux business factories.

Direction satisfaite. « Le plan Next présentait une particularité : il comportait un important volet RH, appelé Act », explique Olivier Barberot, le DRH. Trois ans après, le bilan satisfait la direction. « Globalement, nous avons atteint nos objectifs. Les transformations étaient importantes pour les collaborateurs. Nous avons su les accompagner. » Et de citer, par exemple, l’effort sans égal fourni en matière de formation, puisque le pourcentage de la masse salariale atteint plus de 5,3 % en 2007, contre 4,5 % fin 2005. Ou encore les 11 « espaces développement » mis en place en interne. Les collaborateurs peuvent y consulter la carte des métiers et se faire aider dans leur réorientation vers de nouvelles missions. Selon la DRH, depuis leur création en 2006, ces entités auraient été sollicitées par plus de 30 000 salariés.

Reste que le personnel n’est pas vraiment convaincu de la réussite du volet humain de Next. « Pour moi, c’est la primauté aux process et aux objectifs », assure Jérôme, dix ans d’ancienneté. Du côté des syndicats, Next rime surtout avec suppressions de postes. « En France, entre 2006 et 2008, c’est 22 000 personnes en moins. Depuis 1995, on est à 62 000 disparitions d’emplois sans réels accords conventionnels », regrette Pierre Morville, le délégué central CFE-CGC. Et d’ajouter : « Il y a bien eu le lancement d’une négociation sur la GPEC, mais elle a buté en 2005, puis a été suspendue unilatéralement par la direction. »

Comme le souligne la DRH, la perspective des élections professionnelles, le 22 janvier prochain, n’est pas propice. Mais le point d’achoppement est autre et porte surtout sur le dispositif de fin de carrière. Car c’est bien en incitant aux départs à la retraite que France Télécom a réduit de façon aussi importante ses effectifs. « Depuis 1996, FT proposait aux plus de 55 ans le congé de fin de carrière, le CFC, qui prévoyait un maintien de 70 % de leur salaire. Il a été arrêté en 2006 », explique Christian Mathorel, délégué syndical central à la CGT. Un dispositif avantageux, mais très coûteux, puisque le montant s’élevait à 800 millions d’euros par an.

Exit le dispositif de fin de carrière. Pour être maintenu, il nécessitait d’être avalisé par l’État. À l’heure où le gouvernement cherche à maintenir les seniors dans l’emploi, le CFC ne fait plus recette. « Du coup, France Télécom négocie individuellement. Soi-disant sur la base du volontariat. Mais on fait comprendre aux plus vieux qu’ils n’ont plus leur place ici », déplore Antoine Gonzalez, délégué syndical CFDT. Selon lui, ce sont les techniciens les plus expérimentés qui trinquent. « Des mobilités sont offertes aux fonctionnaires pour rejoindre des collectivités territoriales ou d’autres corps d’État… », se défend Olivier Barberot. Par an, 1 000 personnes bénéficient de ces passerelles. Un chiffre très insuffisant pour les syndicats. « Les administrations n’ont pas envie d’accueillir du personnel France Télécom », explique Patrick Ackermann, délégué SUD, deuxième syndicat du groupe après la CGT. Surtout, ce dispositif arrive à son terme légalement, mais les mobilités devraient se poursuivre. Même si leur nombre a diminué, les fonctionnaires représentent encore 70 % des effectifs, mais l’objectif de la direction est bien de s’orienter vers des contrats de droit privé, et des sous-traitants. « À la machine à café, je ne sais pas si le collègue est consultant, en CDD, intérimaire, etc. », note Pierre, un technicien. Plus de 25 000 emplois de France Télécom seraient assurés par la sous-traitance, soit près de 25 % des effectifs.

Cette évolution affecte l’ambiance générale. « Les anciens ne s’y retrouvent pas et les jeunes ont le sentiment d’être malléables à merci », raconte un quadra. « On est des pions que l’on bouge au gré des restructurations », poursuit sa voisine, qui met violemment en cause le mode de management : « C’est la primauté à l’objectif. Les cadres ont deux entretiens par an. Avec cette individualisation à outrance, il n’y a plus de culture commune. C’est chacun pour soi ! » D’après SUD et la CFE-CGC, qui ont créé un observatoire du stress en juin 2007, les signes sont alarmants. En 2008, France Télécom a enregistré presque un suicide tous les deux mois. La direction dit être préoccupée par les risques psychosociaux et a créé des cellules d’écoute en 2007. Mais, rattaché au personnel des RH et assuré par celui-ci, ce système d’assistance fait débat, notamment quant au respect de la confidentialité des appels.

Après Next, quelles seront les orientations RH ? La direction ne cache pas son intention de poursuivre les réductions d’effectifs tout en recrutant, plutôt des jeunes diplômés. Entre fin 2006 et début 2008, France Télécom a embauché 6 000 personnes. « Dans un contexte de guerre des talents, il nous faut rester attractifs », souligne le DRH, Olivier Barberot.

Auteur

  • F. G.