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Le secteur public rentre dans le rang

Dossier | publié le : 01.01.2009 | Domitille Arrivet, Éric Béal, Fanny Guinochet, Polly Becker

Adieu monopole, corps de métier, avancement à l’ancienneté… En entrant de plain-pied dans la concurrence, les entreprises publiques s’engagent dans une profonde mutation. Mieux vaut l’anticiper pour limiter les tensions avec les salariés.

Autrefois, ces entreprises étaient gérées comme des administrations. Aujourd’hui, réglementation européenne oblige, elles doivent se moderniser tambour battant afin d’affronter la concurrence. Sortir d’une situation de monopole tout en conservant une mission de service public et en partant à la conquête de l’Europe relève parfois du casse-tête ! Pour les dirigeants des entreprises publiques, écorner des statuts protecteurs et demander dans le même temps aux troupes d’accroître les performances s’apparente à un tour de force ! Cela ne va bien sûr pas toujours sans heurt. France Télécom (voir page 64), EDF-GDF, Aéroports de Paris, tous ont connu le baptême du feu de l’ouverture du capital. À leur tour, la SNCF et La Poste (voir page 62) en prennent le long et périlleux chemin.

Dans le sens de l’histoire. Que les petites camionnettes bleues bien connues des Français n’arborent plus les couleurs de GDF, mais de GRDF, la nouvelle filiale chargée de la distribution du gaz, ou que La Poste ait été autorisée à créer un établissement bancaire sont des signes qui, selon Pierre-Éric Tixier, professeur des universités à Sciences po Paris, vont dans le sens de l’histoire. « Dans les années 90, on a assisté à un grand changement de perspective. Il fallait lever les obstacles au marché et remettre en cause les monopoles. Mais, à la suite du grand moment de refus collectif qui s’est traduit par les grèves de 1995, les entreprises publiques ont réfléchi à la manière dont elles allaient conduire les changements et transformer les compromis internes. »

Pas si simple de conduire le changement dans des univers aussi sclérosés. Fondateur du cabinet Dexteam Dex et coauteur de l’ouvrage Culture d’entreprise : un actif stratégique, paru en 2008 aux éditions Dunod, le consultant Olivier Devillard se souvient de son expérience dans un institut de recherche du secteur de l’énergie. « Lors des premières réunions, les ingénieurs lisaient tour à tour leur papier, truffé de citations en latin, explique-t-il. Nous avons fait évoluer les dirigeants par coaching, conduit des séminaires et réorganisé le travail en passant d’un mode pyramidal à un mode matriciel. Aujourd’hui, ils parlent français ! » Hormis les codes culturels, les organisations par corps de métier, les entrées sur concours et l’avancement à l’ancienneté, caractéristiques de la sphère publique, sont plutôt des handicaps lorsqu’il s’agit de se mesurer avec de grandes entreprises privées. « Dans ces systèmes collectifs, dotés d’un marché interne du travail et de larges possibilités d’évolution professionnelle, la classe ouvrière a été au paradis. Dès lors que ces marchés ont été déconstruits, à partir des années 90, et que l’on pouvait entrer dans l’entreprise à tous les niveaux, cela a créé un certain nombre de tensions. »

C’est ce qu’a voulu éviter RTE, le Réseau de transport d’électricité, devenu filiale d’EDF depuis septembre 2005. Aujourd’hui, parmi les 8 300 collaborateurs, un millier ont été recrutés depuis la séparation juridique de la maison mère. De nombreux cadres sont actuellement des managers qui n’ont jamais vécu l’époque EDF. Y a-t-il des mécontents chez les « anciens » ? Le baromètre interne de satisfaction des salariés n’en fait pas état. « À ceux qui se sentent bloqués dans leur évolution professionnelle, nous disons que le monde ne s’arrête pas à RTE. Des passerelles sont possibles, dans le groupe ou ailleurs. Mais nous l’expliquons prudemment, car c’est une notion nouvelle », décrypte Pascal Magnien, le directeur des ressources humaines.

Chez Aéroports de Paris, devenu société anonyme en 2005 et entré en Bourse l’année suivante, la mise aux normes de l’économie de marché a parfois fait grincer des dents. Avisée, l’entreprise a anticipé sa mutation dès 2003, en décentralisant et en réorganisant ses activités en business units. Formation aux questions économiques à l’appui, la direction des ressources humaines (260 personnes !) a tout fait pour que sa nécessaire adaptation se passe en douceur. Chaque business unit devant gérer ses charges et son personnel, un benchmark a naturellement été entrepris. Avec, pour première conséquence, la fermeture, en 2007, de la division d’assistance en escale – 670 salariés. Pour cause de rentabilité insuffisante : les agents y étaient parfois payés deux fois ce que pratiquaient les concurrents !

Forte présence syndicale. Gérer le changement, c’est aussi une question de temps. « Dans les entreprises publiques, on observe souvent un décalage entre l’ouverture à la concurrence et la mise en place de réponses RH adaptées à ce changement », observe Pierre-Éric Tixier. Exemple flagrant à la SNCF. La branche fret, soumise à la concurrence dans l’Hexagone depuis deux ans, commence seulement à modifier son organisation du temps de travail. Question cruciale quand les concurrents Veolia ou Deutsche Bahn bénéficient depuis cette année d’un accord sur le temps de travail. Si les cheminots acceptaient d’allonger la durée des conduites de nuit – de six heures actuellement à sept heures trente –, les performances de l’entreprise s’en trouveraient accrues. Mais la tentative de lancer cette réforme sur la base du volontariat – 25 % des conducteurs s’y étaient déclarés favorables – menée par Luc Nadal, le patron du fret, s’est heurtée à la résistance des syndicats. Et la réforme a été renvoyée sine die.

À la SNCF comme dans la plupart des mastodontes publics, la présence syndicale est forte. Jean-François Cirelli, ex-patron de Gaz de France, et Gérard Mestrallet, ancien président de Suez, en savent quelque chose. Le processus de fusion entre les deux entreprises pour constituer le groupe GDF Suez, achevé durant l’été 2008, a duré deux ans, les représentants du personnel ayant saisi le tribunal de grande instance de Paris au motif d’un déficit d’information concernant le mariage des deux géants de l’énergie ! « Rien n’a encore vraiment changé. Les agents conservent leur statut. Le véritable choc aura lieu dans quelques mois, lors du rapprochement des équipes issues d’entreprises qui ont des méthodes de travail et des cultures différentes », rapporte un membre de la DRH. D’autant que, dorénavant, à GDF Suez, l’État n’est plus présent qu’à 35,66 % dans le capital : la maison devra prouver au marché qu’en s’affranchissant de sa tutelle elle peut gagner en performance !

Il reste que l’entrée en Bourse peut aussi être l’occasion, pour une entreprise publique, de convertir ses salariés à l’économie de marché. Signe d’adhésion, 82 % du personnel d’ADP a souscrit à l’offre préférentielle d’achat d’actions lors de l’entrée en Bourse de l’entreprise. En dépit de l’opposition frontale de certains syndicats, plus de 80 % des salariés d’EDF sont devenus actionnaires de leur entreprise, dont ils détiennent 3 % du capital. Une opportunité que La Poste voudrait utiliser pour amadouer ses 400 000 postiers. Mais l’opération séduction n’est pas gagnée.

D.A.

Auteur

  • Domitille Arrivet, Éric Béal, Fanny Guinochet, Polly Becker