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Politique sociale

Le modèle polder résiste à la crise

Politique sociale | publié le : 01.12.2008 | Sabine Cessou

La crise ? Quelle crise ? Le chômage est au plus bas et l’État néerlandais a évité la débâcle bancaire… Le consensus batave fait souvent des miracles.

Sur Kalverstraat, la principale rue commerçante d’Amsterdam, la foule se presse, comme tous les dimanches, pour faire du lèche-vitrines. Liesbeth et Lotte, deux jeunes femmes qui travaillent dans la même agence de publicité, sont en quête d’une paire de bottes pour l’hiver. Elles sont prêtes à dépenser jusqu’à 400 euros pour cet élément de leur garde-robe. « À cause de la crise, je vais choisir un modèle qui ne risque pas de se démoder, annonce Lotte. On ne sait jamais : ces bottes devront peut-être faire deux ou trois hivers ! » Aux Pays-Bas, on commence à peine à s’inquiéter des effets de la crise. L’économie a déjà bien résisté alors que la récession s’installe partout ailleurs. Malgré un taux de croissance nul au deuxième trimestre 2008, le gouvernement a présenté en septembre un budget optimiste, tablant sur 1,25 % de croissance en 2009. Des prévisions prudemment révisées courant octobre, avec une croissance qui « pourrait être nulle ».

C’est qu’entre-temps l’ouragan de la crise financière est passé par là. Deux grandes banques, Fortis et ABN Amro, ont été nationalisées, et la première banque du pays, ING, a été recapitalisée par l’État à hauteur de 10 milliards d’euros. Les fonds de pension néerlandais, les plus riches au monde, n’échappent pas à la tourmente. « Ils paient très cher les risques qu’ils ont pris, en plaçant à 86 % l’épargne des retraités sur des produits financiers, un niveau qui ne dépassait pas 40 % en 2000 », rappelle Michiel Vergeer, économiste senior au Bureau central des statistiques (CBS). Sur 700 milliards d’euros investis, les caisses de retraite néerlandaises ont déjà perdu 100 milliards… Mais la casse reste limitée, et il n’y a pas encore de remise en question du modèle de retraite par capitalisation. Seule effet notable pour le moment : les retraites versées aux anciens fonctionnaires ne seront pas -indexées sur l’inflation l’an prochain.

Plein-emploi.« C’est un peu irréel, note un employé de Waterstone’s, une grande librairie anglo-saxonne de Kalverstraat. Comme un -orchestre qui continuerait de jouer sur le Titanic. Tout le monde fait comme s’il n’y avait pas de crise. Nos clients, des expatriés surtout, consomment et consomment. Mais d’ici à quelques mois, ça va faire mal. » Pour l’instant, Daniele Basco, un informaticien suisse qui travaille pour le groupe américain Cisco, ne voit aucune -raison de s’en faire : « Si je perds mon travail demain, je sais que j’en retrouverai un dans la semaine », dit-il. Avec un taux de chômage de 3,6 %, la situation est au plein-emploi dans un pays où les pics du chômage n’ont jamais dépassé 7 % au cours des vingt dernières années. Des secteurs comme l’enseignement, la métallurgie et les technologies de l’information connaissent des pénuries de personnel à cause de la faible natalité et du vieillissement de la population. Les 130 agences du Centre pour le travail et les revenus (l’ANPE) tournent à plein régime. Le ministère des Affaires sociales a lancé en septembre un site Internet en polonais afin d’attirer plus de travailleurs de ce pays vers la construction, les ports, l’horticulture. Les syndicats, de leur côté, s’apprêtent à négocier des augmentations de 3,5 % pour 2009, assez pour compenser une inflation qui ne devrait pas dépasser 3,25 % (contre 2,75 % cette année), l’une des plus faibles d’Europe.

Pas de panique non plus dans l’immobilier. Le nombre de transactions baisse depuis avril, mais les prix n’ont cessé d’augmenter que récemment. Le président de l’Association néerlandaise des agents immobiliers (NVM), Gert Hukker, ne voit pas là de sérieux motifs d’inquiétude. « La pénurie structurelle de logements dans notre pays trop petit pour sa population va maintenir les prix à un niveau stable, contrairement à l’Espagne ou à la Grande-Bretagne », explique-t-il.

Face à la crise, le plus grand syndicat du pays a proposé fin octobre d’assouplir les licenciements !

Les ménages rassurés.Les banques, elles aussi, paraissent moins exposées qu’ailleurs à la crise du crédit, dans la mesure où le tiers des -ménages occupe des logements sociaux. Le pays ne compte que 54 % de propriétaires, contre 58 % en France et 71 % en Grande--Bretagne. Les ménages se montrent par ailleurs rassurés par le filet de protection offert par la Banque centrale (DNB), qui a relevé le 9 octobre son niveau de protection de l’épargne, passé de 20 000 à 100 000 euros.

« Notre économie est largement axée sur la réexportation, rappelle de son côté l’économiste Michiel Vergeer. Cette activité ne faiblit pas, malgré les doutes sur la demande américaine. » Grâce notamment au port de Rotterdam et à l’aéroport de Schiphol. Le gouvernement prévoit une croissance des exportations de 4,75 % en 2009, contre 6,5 % en 2008. « Les carnets de commandes sont pleins », rappelle le ministre des Finances, Wouter Bos. Un homme qui, grâce à son rôle de sauveur des grandes banques et des épargnants, voit sa cote de popularité nettement remonter dans les sondages. Wouter Bos, qui est aussi le chef du Parti travailliste, membre de la coalition de centre gauche au pouvoir, profite également de la crise pour moraliser le climat des affaires.

Dans le premier pays à avoir adopté une fiscalité spéciale, le 9 septembre, pour limiter les revenus des grands patrons, les mesures se multiplient contre les salaires excessifs (voir encadré ci-dessous). Les dirigeants d’ING ont dû renoncer à leurs primes en échange du-filet de sécurité étatique offert le 20 octobre. Michel Tilmant, le P-DG d’ING, était jusqu’à présent connu pour être l’un des grands patrons les mieux payés des Pays-Bas (2,3 millions d’euros de bonus en 2007, en plus d’un salaire annuel de 1,3 million). Il a accepté de se soumettre, ainsi que ses directeurs, à une nouvelle politique de rémunération. Les primes vont désormais dépendre des performances de la banque et ne pourront en aucun cas dépasser le salaire annuel.

Ces mesures sont applaudies, dans un pays qui tient à un certain égalitarisme et qui se découvre unanime sur le rôle joué par l’État face à la crise. Le fameux modèle des polders fonctionne encore : face à la crise comme devant les risques d’inondation, le réflexe consiste à faire front commun. Aussi la plus grande centrale du pays, la Fédération des syndicats néerlandais (FNV), a-t-elle proposé fin octobre d’assouplir les licenciements, une mesure réclamée en vain par le patronat depuis plusieurs années ! « Il s’agirait de permettre aux entreprises de mettre des salariés de côté pendant quelques semaines, sans surcharge financière », explique Félix Alejandro, le porte-parole de la FNV. L’État a accepté le 11 novembre de verser 70 % du manque à gagner pour les salariés, les employeurs prenant en charge les 30 % restants. L’objectif : préserver les secteurs les plus fragiles de l’industrie (manufactures, pièces détachées, automobile). Impensable ailleurs, ce compromis découle du pragmatisme néerlandais : dans un pays où les procédures de licenciement, longues et coûteuses, doivent passer par un tribunal, les syndicats ont toujours bloqué toute réforme. Aujourd’hui, ils cèdent du terrain parce qu’il en va de l’intérêt général.

Les salaires plafonnés dans le secteur public

Les dirigeants des entreprises publiques font eux aussi les frais de la crise : leur salaire va être plafonné à 350 000 euros net annuels. La mesure, décidée le 24 octobre par le gouvernement, ne concerne que les nouveaux gestionnaires. À terme, les salaires des grands managers de la Banque des communes néerlandaises (BNG), de la société d’énergie Gasunie ou de Holland Casino vont tout de même baisser de manière substantielle. Seuls les dirigeants d’entreprise opérant sur un marché largement international, comme l’aéroport de Schiphol, le port de Rotterdam et Nederlandse Spoorwegen (NS, chemins de fer), seront épargnés par les nouvelles restrictions. Cette mesure clôt un débat ouvert il y a trois ans, après les révélations faites par la presse sur les salaires exorbitants de 15 directeurs de société HLM, qui gagnaient plus que Jan Peter Balkenende, le Premier ministre. Au Parlement et dans les discussions entre partenaires sociaux, un consensus s’était dégagé sur une « norme Balkenende », qui empêcherait les directeurs d’hôpital, les recteurs d’université et même les présentateurs de journal télévisé des chaînes publiques de gagner plus que les 185 000 euros annuels du Premier ministre. Wouter Bos, le ministre travailliste des Finances, a finalement abandonné cette « norme », jugée « idiote » par Nout Wellink, le directeur de la Banque centrale (DNB). « Le poste de Premier ministre échappe par définition aux lois du marché, c’est par excellence celui qui ne fait l’objet d’aucune concurrence », avait estimé Nout Wellink en juin dernier. Il n’empêche : les restrictions en cours relèvent bien d’une petite révolution culturelle. S. C.

Auteur

  • Sabine Cessou