Partenariats public-privé, systèmes d'assurance, gage sur succession... La prise en charge de la dépendance, qui devrait être débattue en 2009, est un sacré casse-tête.
Xavier Bertrand l'a promis. Il n'y aura ni augmentation d'impôts ni création de taxes supplémentaires pour financer la prise en charge de la dépendance. « Il va falloir trouver des solutions nouvelles » pour financer le cinquième risque de protection sociale, a indiqué le ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité. Développer le partenariat public-privé, par exemple, inciter à la souscription de contrats d'assurance individuels ou collectifs, mettre à contribution les ménages en puisant dans leur patrimoine... Un projet de loi devrait être débattu au Parlement au premier semestre 2009. À moins que la crise financière ou les rumeurs persistantes de remaniement ministériel ne freinent la réforme. C'est du moins le sentiment de Gérard de la Martinière, ex-président de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), qui constate un « flottement » au niveau gouvernemental depuis l'été. « Le sujet n'a plus la même acuité », notait ce dernier à l'occasion d'une journée d'étude en septembre sur le thème du cinquième risque. Annoncée par Nicolas Sarkozy un an auparavant, la réforme qui cible prioritairement les classes moyennes vise à assurer la prise en charge de générations de plus en plus âgées (d'ici à 2015, le nombre de personnes de plus de 85 ans passera de 1,3 million à 2 millions) et à alléger le reste à charge pour les familles.
Une dépense de 19 milliards d'euros. Dans les premières orientations présentées par le gouvernement Fillon avant l'été, le financement de la prise en charge de la dépendance demeure principalement public mais l'État en appelle aux capitaux des organismes de protection sociale privés (assurances, mutuelles ou institutions de prévoyance). Il veut encourager les organismes complémentaires à s'investir davantage dans la couverture du risque de perte d'autonomie liée à l'âge via des contrats collectifs souscrits par les entreprises pour le compte de leurs salariés ou via l'assurance individuelle. « Il devra s'agir de s'assurer que l'aide publique et l'offre développées par les organismes de prévoyance se combinent efficacement dans l'intérêt des personnes », précise un document ministériel. « L'un des enjeux de la réforme, souligne Noëlle Bogureau, actuaire, gérante de CAPS Actuariat, réside dans la définition du panier de services que la nation entend garantir. » En d'autres termes, à hauteur de combien l'État est prêt à s'engager.
Aujourd'hui, le financement public de la perte d'autonomie représente une dépense annuelle de 19 milliards d'euros - dont 11,4 pour l'assurance maladie, 4,2 pour les départements et 2,97 pour la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) alimentée par journées de solidarité -, là où le marché de la prévoyance dépendance draine un peu moins de 500 millions d'euros de cotisations. Un groupe de travail informel composé de membres du gouvernement et d'assureurs a réfléchi aux solutions pratiques pour généraliser la couverture du risque de perte d'autonomie et planché notamment sur la création de référentiels communs, la définition de critères d'entrée en dépendance ou le droit à l'information des assurés.
Autre enjeu : le choix des incitations (fiscales ou sociales) à mettre en place pour favoriser l'essor d'un marché de masse. La commercialisation des contrats d'assurance dépendance piétine du fait notamment du coût élevé des contrats (324,60 euros par an en moyenne en individuel). À cela s'ajoute le fait que 90 % des contrats sont des « produits risques », l'argent étant épargné à perte si les personnes ne deviennent pas dépendantes. La FFSA milite pour des aides à l'entrée, comme pour le Perp, et prône « la mise en place de passerelles entre les 1 000 milliards d'euros d'encours de l'assurance vie et la dépendance ». Une idée reprise par le gouvernement qui propose, pour ceux qui n'auraient pas les moyens de souscrire un contrat dépendance, de transférer les sommes détenues dans un contrat d'assurance vie, s'ils en possèdent un, vers un contrat dépendance.
Or « un tiers des ménages ont une assurance vie pour un montant moyen ne permettant pas une sortie consistante en rente », souligne Daniel Lenoir, directeur de la Mutualité française. Aux yeux de la Mutualité, la mise en place d'un partenariat public-privé pour articuler les financements de la dépendance est une bonne idée, « à condition d'aller au bout de la logique en définissant des niveaux de prise en charge répondant à des critères d'intérêt général ». La Mutualité en voit au moins six : évaluation commune et pilotage conjoint avec les pouvoirs publics, mutualisation la plus large possible, couverture de la perte d'autonomie quelle qu'en soit l'origine, souscription la plus précoce possible via des incitations fiscales et sociales, niveau minimal de prise en charge et, enfin, exigence de qualité des services associés.
De son côté, l'Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles estime que « l'assurance individuelle ne peut constituer qu'une solution très marginale étant donné l'ampleur des besoins ». Ce groupement d'associations spécialisées dans les services à la personne considère que le mécanisme d'assurance privée « conduira de facto à créer un système à deux vitesses, creusant les inégalités d'accès à l'aide et aux soins », et plaide pour un financement fondé sur la solidarité nationale au travers, notamment, d'une augmentation de la CSG. En mars 2007, Hélène Gisserot, procureur générale près la Cour des comptes, chargée d'une mission sur le financement du cinquième risque, avait envisagé plusieurs scénarios dont un médian qui prévoyait une progression des prélèvements obligatoires soutenable (4,7 %) à long terme pour les finances publiques.
Devant le conseil d'administration de la CNSA, Xavier Bertrand rappelait en mai dernier « le souhait du président de la République que soient davantage prises en compte les capacités contributives des personnes concernées » dont le niveau de patrimoine « devrait croître dans les prochaines années ». À côté des 19 milliards d'euros d'effort public en faveur de la prise en charge de la dépendance, les familles financent déjà au moins 7 milliards d'euros : 1,35 milliard pour le ticket modérateur de l'Allocation personnalisée d'autonomie (APA) et 5,7 milliards au titre des frais d'accueil en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, nets des aides au logement et de l'aide sociale des départements.
Ainsi, l'une des propositions les plus en vue de la mission commune d'information du Sénat, présidée par Philippe Marini, dont le rapport d'étape a été rendu public le 18 juillet, consisterait à demander aux personnes ayant des revenus élevés de choisir entre une APA à 50 % ou une APA à taux plein, mais « gagée » sur la part de leur patrimoine supérieure à 200 000 euros. Le montant du « gage » - plafonné à 20 000 euros, correspondant à la somme maximale perçue par un allocataire durant quatre ans - serait récupéré sur la succession par le département ayant versé l'APA. Selon Alain Vasselle, sénateur de l'Oise et rapporteur de la mission parlementaire, ce dispositif pourrait rapporter 800 millions à l'horizon 2012. En réalité, la mesure ne devrait jouer pleinement que pour les personnes possédant des revenus modestes mais un patrimoine important. À l'inverse, elle ne devrait que peu concerner les personnes ayant des revenus élevés, pour lesquelles l'APA versée après déduction du ticket modérateur ne représente qu'un montant très limité (et qui la demandent souvent uniquement pour bénéficier de certains avantages annexes, notamment fiscaux et sociaux).
Réticent au début à l'idée du recours sur succession qui avait commencé par susciter un tollé, Pascal Terrasse, député et président du conseil général de l'Ardèche, se dit aujourd'hui plus « ouvert » à une sollicitation du patrimoine. Avec 5 000 personnes dépendantes, ce département voit son budget de plus en plus grevé par la dépendance (33 millions d'euros au titre de l'APA et 4 à 5 millions attribués chaque année aux 98 établissements du département). Le parlementaire prône « un dispositif simple, lisible, compréhensible par tout le monde ». De son côté, l'Assemblée des départements de France assure que « les départements ne pourront faire face seuls à la progression des dépenses en matière de prise en charge de la dépendance ». Priorité nationale, la prise en charge de la dépendance ressemble de plus en plus à un mistigri financier !
Le nombre de souscripteurs à un contrat d'assurance contre le risque de dépendance auprès d'une société d'assurance, d'une mutuelle ou d'une institution de prévoyance est de 2,5 à 3 millions dont 700 000 couverts par des contrats collectifs, ce qui place le marché français au deuxième rang mondial après les États-Unis (6 millions). En 2006, 25 sociétés proposaient 41 contrats d'assurance pour ce risque. Bien qu'arrivés plus tard sur ce marché, les réseaux de bancassurance réalisent la majorité des souscriptions : 61 % des personnes couvertes en 2006 ont souscrit un contrat dépendance auprès d'un établissement financier.
Après une forte accélération en 2005, la croissance du nombre de personnes couvertes par un contrat dépendance souscrit auprès d'une société d'assurance s'est contractée (+ 7 % en 2007, + 12 % en 2005). Pourtant, 10 millions de personnes, d'après une enquête FFSA-CSA de mai 2006, sont susceptibles de souscrire un contrat de ce type. Selon une enquête pour le compte de l'Ocirp menée en 2007, 60 % des DRH se déclaraient favorables à la mise en place d'un contrat collectif dépendance (voir également pages 72 à 74), mais 89 % avouaient ne pas connaître les différents types de garantie collective existants.