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Enquête

Finlande, le pays où les seniors sont rois

Enquête | publié le : 01.11.2008 | Anne Fairise

En quinze ans, le pays a réussi à s’extraire de sa culture de la retraite anticipée : 55 % des seniors sont désormais en emploi, contre 35,6 % en 1994.Sa recette : une stratégie globale et concertée.

Bienheureux les seniors finlandais au travail ! Chez HKR Tekniikka, ouvriers et techniciens ont droit à des massages gratuits sur leur lieu de travail. « Il y a la queue jusqu’à 18 heures », sourit Kauko Nygren, le directeur de cette entreprise de travaux publics basée à Helsinki, la capitale aux faux airs de Saint-Pétersbourg. Il a aussi rendu obligatoire, dès la 56e bougie soufflée, un bilan annuel de santé et propose jusqu’à vingt jours de congé supplémentaires… aux plus de 65 ans à temps plein. Avec succès : 50 % d’entre eux en ont profité l’an passé. Même démarche chez Abloy, fabricant de systèmes de sécurité. Dans l’usine de Joensuu, en Carélie du Nord, le maintien des plus de 58 ans sur les chaînes passe par des semaines allégées de quatre jours, outre des vacances renforcées. Le groupe Itella, l’équivalent finlandais de La Poste, qui s’enorgueillit de salarier un facteur de 78 ans (à temps partiel), a même revu l’organisation du travail. « Chaque équipe fixe ses objectifs de productivité, charge à elle de redistribuer les tâches entre ses membres, sur la base du consensus. Les seniors sont orientés vers des travaux moins pénibles : les équipes tirent plutôt profit de leur expérience », note Lisbeth Forsman-Grönholm, directrice du programme baptisé… « bien-être au travail ».

Pénurie de main-d’œuvre. Des entreprises exemplaires ? Leurs actions n’ont rien d’exceptionnel au pays des Mille Lacs, qui a lancé en 1998 son premier plan quinquennal pour maintenir les 55-64 ans en emploi. « Deux tiers des sociétés ont mis en œuvre des activités de maintien de la capacité de travail du personnel », constatait, en 2002, le rapport d’évaluation de ce programme national, à l’origine d’une « salutaire prise de conscience », selon Marja-Liisa Parjanne, conseillère du ministre des Affaires sociales et de la Santé.

Depuis, le petit pays européen traversé par le cercle arctique (5,2 millions d’habitants, comme en région Paca) a porté de 35,6 % à 55 % la proportion de seniors parmi la population active. Un véritable tour de force, et la plus belle progression de l’Union européenne. Au point que l’Institut finlandais de la santé au travail (Fioh), fer de lance de la réforme, voit défiler nombre d’Européens avides de connaître ce secret du « vieillissement actif ». Comme le martèle Juhani Ilmarinen, 63 ans, directeur du Fioh, « la Finlande se trouvait en 1995 dans une situation similaire à celle de la France aujourd’hui ». Avec les mêmes handicaps : une forte culture de la cessation anticipée d’activité, un chômage élevé de 7 % et une croissance en berne.

Seule différence : la perception de l’urgence à agir, vieillissement démographique précoce oblige, pour maintenir supportable le poids du régime de retraite et… déjouer la pénurie de main-d’œuvre. « Depuis 2004, nous enregistrons plus de départs à la retraite que d’entrées sur le marché du travail », note Hannu Uusitalo, directeur de l’Institut central de pension, l’équivalent de la Cnav. Autant dire un drame dans ce pays sans tradition d’immigration : les six mois d’hiver, la difficulté de la langue et la cherté de la vie ont tôt fait de décourager les volontés, hormis chez les Estoniens et les Russes.

Du coup, cap sur les seniors. « L’expérience est une richesse nationale » : le slogan de la campagne publique d’information accompagnant le programme quinquennal illustre la volonté du gouvernement de revaloriser l’image des travailleurs âgés. « La Finlande est le seul pays à avoir mis en place une stratégie pour transformer tant les représentations de l’âge au travail que les pratiques à l’égard des seniors », souligne Anne-Marie Guillemard, spécialiste des comparaisons internationales entre systèmes de prévoyance.

Surtout, le gouvernement a mis en œuvre un principe simple : impliquer tous les acteurs concernés par l’enjeu, pouvoirs publics, instituts de recherche, caisses de retraite, jusqu’aux partenaires sociaux et aux entreprises. Et deux ans de concertation ont précédé le programme. « Le secret finlandais réside dans le dialogue entre employeurs et syndicats de salariés », résume Juhani Ilmarinen. À tous les niveaux. Chez HKR Tekniikka comme chez Itella, les syndicats ont participé à l’élaboration des actions. Mais aussi les services de médecine du travail, partout très concernés. Question de culture. « Nous sommes les agents de productivité des employeurs. Les entreprises le savent, et collaborent sans difficulté », explique Ritva Helimäki-Aro, médecin du travail de la municipalité d’Helsinki.

Enfin, le programme a décliné en 40 mesures toutes les facettes du maintien en emploi : management par les âges, formation tout au long de la vie, aménagement des conditions de travail, organisation du travail, entretien de la santé au travail. Et, pour aider les employeurs à anticiper, un réseau national d’experts a été monté avec les organismes publics de formation et les cabinets de consultants.

Le programme gouvernemental pour le maintien en emploi ? Management par les âges, formation, entretien de la santé…

Doper la « capacité de travail. » Autre clé du succès : l’accent mis sur l’entreprise et ses impératifs de productivité. Si le programme quinquennal a diffusé le nouveau concept de « capacité de travail », plus large que celui d’employabilité, il l’a aussi rendu concret. Outil d’évaluation des résultats, méthode d’autoévaluation pour les salariés : le Fioh, qui a élaboré le concept à partir de recherches appliquées, a fourni aux employeurs de quoi piloter leurs actions. Un baromètre, par exemple, de la capacité de travail des salariés, à base d’indicateurs multiples : santé au travail, management et GRH, environnement social, état psychologique.

« Nous avons fait la démonstration que la productivité des organisations n’a rien à voir avec l’âge des salariés. Elle peut continuer à croître en dépit de leur vieillissement. C’est dire que la solution est entre les mains des managers ! » martèle Juhani Ilmarinen. Le groupe Itella parle d’un retour sur investissement de plus du double des dépenses investies. Même pour le programme dédié chaque année à 150 seniors ayant du mal à tenir leur poste de travail : le groupe se donne entre trois mois et un an, en maintenant le salaire, pour trouver une solution avec eux.

Cette « révolution culturelle » entamée, la Finlande a ensuite engagé des réformes structurelles. Comme la révision, en 2005, du système de retraite. L’âge légal de la retraite est devenu flexible (entre 63 et 68 ans), le dispositif privilégiant la liberté de choix des salariés qui peuvent, dès 60 ans, opter pour une retraite à temps partiel. Pour les inciter à travailler plus longtemps, des bonifications ont été introduites : chaque année travaillée après 63 ans fait gagner 4,5 % de revenus en plus. Les régimes de retraite anticipée ont été limités, sans être encore suspendus : ils devraient s’éteindre… en 2012.

Trois ans après, la pilule est passée, selon l’Institut central de pension. « Les seniors de 50 ans, qui en 1996 comptaient partir à la retraite à 60 ans et demi, évoquent désormais l’âge de 62 ans », reprend son directeur, Hannu Uusitalo. Mais les opinions divergent. S’exerçant sur un rameur de la salle de sport de son entreprise, un vendredi à 17 heures, Tulla, assistante de direction de 56 ans, envisage de travailler jusqu’au nouvel âge légal de départ à la retraite… sans états d’âme. Pas sa collègue informaticienne, qui maugrée : « Les exigences du travail sont de plus en plus difficiles. Les gens aimeraient partir plus tôt. »

Force est de constater qu’en dépit de tous ces efforts l’âge effectif de départ à la retraite recule plus lentement que prévu : il n’a été repoussé que d’un an, depuis 2000, pour atteindre 58,4 ans en 2007. La Finlande va devenir plus sévère, en jouant sur le niveau de retraite : en 2010 sera introduit un coefficient d’espérance de vie déterminé par classe d’âge. « Pour maintenir leur niveau de retraite, les salariés seront obligés de travailler plus longtemps », résume Hannu Uusitalo. Également envisagé, un durcissement des conditions d’entrée dans le système d’invalidité (23,1 % des 55-64 ans en bénéficiaient en 2004). Ce qui fausse les statistiques sur le taux d’emploi des seniors. En attendant, preuve de l’urgence, le gouvernement a créé, début 2008, un service de l’immigration sous tutelle de l’Intérieur. Une première.

Autres stratégies gagnantes en Europe

SUÈDE

1996

63,4 %

2006

69,6 %

de seniors en emploi

Chiffres : Eurostat.

État et partenaires sociaux main dans la main

Réformé dans les années 90, le régime public de retraite n’est entré en application que progressivement, pour permettre les changements de comportement. L’âge de la retraite est flexible, de 61 à 70 ans, avec des incitations poussant aux départs tardifs et des possibilités de retraite à temps partiel. Les préretraites ont été pénalisées ; les pensions d’invalidité, plus contrôlées, et la mise à la retraite est interdite jusqu’à 67 ans. L’État incite aussi au maintien en emploi via des aides aux entreprises pour réduire la pénibilité et a créé des emplois publics pour les seniors. Ajoutez-y les atouts structurels : les seniors ont un niveau de salaire moyen similaire aux quadras, un taux élevé de formation continue et ils sont difficiles à licencier depuis une loi de 1974.

ROYAUME-UNI

1996

47,7 %

2006

57,4 %

de seniors en emploi

Chiffres : Eurostat.

Miser sur le marché

Limitation des possibilités de préretraite et faible niveau des retraites, voilà la stratégie. Un senior de 65 ans ayant cotisé quarante ans reçoit une pension équivalant à 66 % de son dernier salaire brut, dont 16 % proviennent du système public de retraite. » Les personnes sans retraite privée ont un taux de remplacement brut de 35 % « , constate l’OFCE. La pauvreté menace ! Donc, les seniors travaillent (un tiers à temps partiel), quitte à accepter des bas salaires. Et pas de sortie vers le chômage : les quinquas au chômage depuis dix-huit mois doivent se former, accepter un emploi subventionné ou une tâche associative. Depuis 2006, les employeurs ne peuvent mettre à la retraite avant 65 ans, sauf accord du senior. L’âge légal de la retraite sera porté à 66 ans pour tous en 2020.

Source : Emploi des seniors: les leçons des pays de réussite, « Revue de l’OFCE », juillet 2008.

Auteur

  • Anne Fairise