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“La crise va conduire à la remise à plat de la rémunération des dirigeants”

Actu | Entretien | publié le : 01.11.2008 | Jean-Paul Coulange

Pour ce fin connaisseur du monde des affaires, on est allé trop loin en matière de rémunération des dirigeants. Mais nul besoin de légiférer pour réguler.

Avez-vous été choqué par les parachutes dorés accordés aux anciens dirigeants de Dexia ou d’Alcatel-Lucent ?

À l’évidence, il y a eu des dérives dans ces cas manifestes d’échec ou de défaillance du management. Quand Fortis ou Merrill Lynch recrutent, quelques semaines avant leur faillite, un nouveau directeur général qui part avec un parachute doré de plusieurs dizaines de millions de dollars, cela défie l’entendement. Il est aussi inconcevable que chez AIG, Bear Stearns ou Lehman Brothers, qui ont été sauvés avec l’argent des contribuables, des dirigeants soient partis avec des indemnités de plusieurs centaines de millions de dollars.

Les propositions du Medef et de l’Afep sont-elles en mesure de corriger ces excès ?

Dès 2006, l’Institut français des administrateurs a pris position, en considérant comme anormal le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail, ce que le Medef et l’Afep viennent de déclarer incompatible. Le dirigeant mandataire social est comptable vis-à-vis des actionnaires des performances de l’entreprise. Selon la loi, il est révocable ad nutum, c’est-à-dire à tout moment, sans justification ni compensation. S’il a réussi, le conseil d’administration peut le récompenser. Mais il n’y a aucune raison qu’une indemnité de départ soit prévue. Nous sommes aussi d’accord sur la mise sous condition de performance de la part variable de la rémunération du dirigeant : bonus, options, actions gratuites, mais aussi régimes supplémentaires de retraite. Troisième point d’entente, la transparence totale sur la rémunération, y compris les avantages en nature.

Ces recommandations pourront-elles s’appliquer d’ici à la fin de l’année ?

Il faut le faire le plus vite possible car il y a un réel problème de crédibilité des dirigeants d’entreprise. Les parachutes dorés ne concernent qu’un très petit nombre de personnes. La moitié des sociétés du CAC 40 n’ont pas prévu d’indemnités de départ pour leurs dirigeants. Sur les 700 sociétés cotées, le pourcentage est beaucoup plus faible. Et, dans les sociétés non cotées, c’est tout à fait exceptionnel. Pour mettre en œuvre ces recommandations, chaque conseil d’administration devra dire, avant le 31 décembre, qu’il adhère au code Medef-Afep. Mais est-ce que l’on attend des administrateurs qu’ils modifient les conventions existantes pour les dirigeants en place ? Le Medef et l’Afep ne disent rien sur ce sujet, parce qu’il est délicat. Les dirigeants peuvent faire valoir qu’ils ont des contrats créateurs de droit et que l’on ne peut pas, unilatéralement et de façon rétroactive, les remettre en cause.

Êtes-vous favorable à une intervention du législateur dans ce domaine ?

L’amélioration de la gouvernance d’entreprise doit passer, pour l’essentiel, par l’autorégulation, les recommandations professionnelles, la diffusion des bonnes pratiques et un renforcement des règles de déontologie et d’éthique. C’est plus responsabilisant, plus pragmatique et mieux adapté à la situation particulière de chaque entreprise qu’une loi. En outre, en ce qui concerne la rémunération des dirigeants, nous sommes dans le domaine des conventions de droit privé. Il n’est pas de la responsabilité de l’État de se mêler des conditions de recrutement et de rémunération dans l’entreprise.

Mais l’État peut utiliser l’arme fiscale…

En matière fiscale, seul l’État peut changer la règle. Les Pays-Bas l’ont fait. L’Espagne envisage de le faire. Le débat est ouvert aux États-Unis. En France, au fil du temps, un certain nombre d’éléments de rémunération des dirigeants ont bénéficié d’exonérations fiscales. On est allé trop loin et les parachutes dorés en sont un bon exemple. Une première réponse a été apportée avec l’amendement Migaud qui plafonne la défiscalisation des indemnités de départ à 200 000 euros…

Les dirigeants français ne sont-ils pas en train de payer leur excès de gourmandise ?

Le balancier est allé trop loin. Dans la période 1997-2007, la rémunération moyenne des dirigeants des grandes sociétés cotées a progressé de 15 % par an. Celle des salariés, de 3 %, et celle des cadres supérieurs a évolué à peine plus vite. Cette évolution s’est faite de façon régulière et déconnectée de la performance, ce qui est hautement critiquable. Mais, partout dans le monde, la crise va conduire à une remise à plat des systèmes de rémunération des dirigeants.

DANIEL LEBÈGUE

Président de l’Institut français des administrateurs.

PARCOURS

Cet énarque de 65 ans a passé une grande partie de sa carrière aux Finances, où il a notamment dirigé le Trésor, entre 1984 et 1987. Directeur général puis vice-président de la BNP durant la décennie suivante, il a dirigé la Caisse des dépôts et consignations. Depuis 2003, il préside l’IFA. Il est aussi président de la section française de Transparency International, une ONG qui lutte contre la corruption.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange