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Vie des entreprises

Claude Tendil fait gagner Generali avec une vraie stratégie sociale

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.10.2008 | Valérie Devillechabrolle

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Évolution des effectifs de Generali France

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Harmonisation des statuts, accord de GPEC fondé sur la pérennité de l'emploi, nouveau système de reconnaissance salariale… Cet expert en assurances a transformé de fond en comble l'ancien maquis de sociétés que constituait Generali France.

La présentation au printemps des résultats 2007 de Generali France avait comme un petit parfum de revanche. Alors qu'Axa venait de décevoir les marchés en annonçant des bénéfices plombés par la crise des subprimes, Claude Tendil, le P-DG de la filiale française de la compagnie italienne, avait de quoi pavoiser : progression de 9 % du chiffre d'affaires, amélioration de 25 % du résultat net, le deuxième assureur généraliste français a une nouvelle fois tenu ses promesses sur un marché en repli. Une belle satisfaction pour celui qui avait été, cinq ans plus tôt, sèchement débarqué de la direction générale d'Axa, avant d'être remis en selle par Antoine Bernheim, P-DG du groupe de Trieste.

Depuis son arrivée en avril 2002, Claude Tendil a impulsé une dynamique de transformation du groupe visant à lui permettre de « surperformer ». Une belle réussite accompagnée, selon Philippe Forestier, délégué syndical CFDT du groupe, d'« une véritable vision du social et de la gestion des ressources humaines », orchestrée par Germain Ferec, directeur des relations humaines de Generali, venu lui aussi d'Axa. « Il y a effectivement une façon sociale de gérer cette entreprise, renchérit Alban Scamorri, délégué CGT. Comme si la direction voulait faire la preuve qu'en prenant le contre-pied d'Axa sur le social elle pouvait gagner davantage d'argent ! »

1-Construire une communauté de travail.

Heure de pointe, le matin, à la station Stade-de-France-Saint-Denis : un flot de voyageurs se presse dans l'avenue bordée d'arbres où sont installés les trois immeubles à l'emblème du Lion de Trieste qui abritent la majorité des 7 500 salariés du groupe. Si, quatre ans après, ce regroupement est encore mal vécu par certains, il a constitué, pour Germain Ferec, une étape majeure de « la construction d'une nouvelle entreprise cohérente » en lieu et place de la pétaudière précédente. Disséminés sur 26 sites parisiens, les salariés des sept sociétés constitutives de Generali France différaient en tout : culture, rapport aux clients et même âge entre les structures historiques spécialisées dans la gestion de produits standardisés et les équipes plus jeunes, centrées sur la gestion de patrimoine.

Outre le déménagement, assorti d'un plan d'accompagnement attractif, cette communauté de travail s'est bâtie également sur l'harmonisation des statuts sociaux. « Nous avons décidé de tout faire par la négociation, sans utiliser les moyens juridiques de pression », se félicite Germain Ferec, en se targuant d'avoir « tenu pas moins de 200 réunions de négociation et signé 63 accords d'harmonisation, sans avoir à en dénoncer aucun ». « Si le nouveau statut est supérieur aux précédents, le coût de l'harmonisation peut être estimé entre 3 et 4 % de la masse salariale », note Michel Estimbre, directeur des relations sociales.

Cette collectivité de travail a enfin été façonnée par les réorganisations intervenues depuis 2003. « On a fusionné les entités à marche forcée pour brasser les cadres et les salariés et leur faire abandonner leur identité de base. Cela va laisser des traces et des gens sur le bas-côté », s'inquiète Raynald Dutot, délégué syndical Unsa. « La nostalgie tend à disparaître, tranche Claude Tendil, car l'évolution de l'entreprise et les résultats atteints ouvrent aux salariés de nouvelles perspectives. »

2-Susciter l'adhésion des salariés.

Le P-DG de Generali France en est persuadé : « Les salariés seront d'autant plus à même de relever le défi de la performance qu'ils en comprendront les raisons. » Germain Ferec renchérit : « Si on veut des collaborateurs proactifs en matière de changement, il faut aussi susciter leur adhésion. » En commençant par « établir un rapport de confiance avec les organisations syndicales porteuses de l'intérêt général de l'entreprise », ajoute Michel Estimbre. Soixante-douze accords plus tard et au prix de négociations parfois ardues, à l'instar de celle sur le mode de rémunération des commerciaux, cette stratégie s'est révélée payante.

À l'exception de FO qui continue de jouer les trublions, les principaux intéressés abondent : « C'est un plaisir d'aller en négociation », relève Alban Scamorri, de la CGT, en faisant allusion aux accords de GPEC et pour les handicapés. « Nous sommes tout de suite dans la technicité de la négociation avec une visée très opérationnelle », renchérit Philippe Forestier. Et gare aux non-signataires qui se retrouvent exclus des commissions de suivi des accords, une clause de nature, selon Raynald Dutot, de l'Unsa, à « fausser ce dialogue social et inciter certaines organisations à signer parfois un peu vite… ».

Afin que « tout le monde se sente acteur de la stratégie de l'entreprise », Germain Ferec n'a pas hésité à mobiliser en direct les salariés autour de l'« ambition Generali ». À grand renfort de manifestation au Stade de France, de séminaires de cadres et de forums de discussion libre, l'ensemble des salariés, réunis par groupes de 200, a eu l'occasion, tout au long de l'année 2007, de « s'exprimer sur de nouveaux gisements d'efficacité et de performance », selon l'expression de Christophe Collin, le directeur du développement des compétences.

La direction de Generali vient parallèlement de reprendre en main l'animation managériale du groupe. Au terme du diagnostic conduit par la DRH, 25 % des 600 cadres supérieurs sont bien en position de leadership, la moitié n'y consacre qu'un mi-temps tandis que le dernier quart considère le management comme une tâche subsidiaire. « Afin de clarifier les responsabilités confiées au management et de favoriser la circulation d'informations, la DRH a engagé un travail pour distinguer la filière “expertise” de celle des véritables managers », explique Christophe Collin. Les autres managers sont priés de vendre leurs objectifs annuels à leurs équipes. Elle vient enfin d'instituer une prime variable pour les cadres, en contrepartie de l'abandon de JRTT. « À charge pour chacun de se déterminer sur la base du volontariat, car il n'est pas question de l'imposer », promet Claude Tendil.

3-Pérenniser l'emploi.

En s'engageant à « éviter de recourir à des licenciements collectifs » jusqu'à la fin 2009, date d'expiration de l'accord sur la GPEC signé fin 2006, la direction de Generali a pris, selon Philippe Forestier, de la CFDT, « un engagement fort sur l'emploi ». D'autant plus que le groupe venait d'absorber Zurich France, dont les sureffectifs étaient estimés à 20 %. « Nous avions 300 personnes à reclasser, résume Christophe Collin. L'entreprise s'est donné les moyens, en deux ans, de les repositionner. » Au prix d'un réel serrage de vis sur les embauches : « Nous étions tombés à un étiage de 140 recrutements d'administratifs par an entre 2005 et 2007, avant de remonter cette année à 350 », rappelle Philippe Forestier. Surtout, il y a eu un coup d'accélérateur sur le travail temporaire, notamment en province, et la mobilité interne, qui a concerné pas moins de 300 personnes par an ces dernières années. « Pour faciliter le redéploiement des sureffectifs vers des métiers en croissance, un programme a été engagé avec le management », raconte Christophe Collin. Aujourd'hui, les sureffectifs semblent résorbés, mais le programme de mobilité devrait se poursuivre.

S'il n'est pas question d'installer des plates-formes au Maroc, la mise en place de nouvelles organisations de travail fondées sur une automatisation des tâches administratives, la gestion électronique de documents et les restructurations des équipes par produits et clientèle est en train de démarrer. « On en est encore aux prémisses, mais ces bouleversements ne vont pas tarder à se faire sentir jusqu'en bas de l'échelle », estime Gérard Legris, de la CFE-CGC.

4-Reconnaître les efforts des salariés.

Confrontée au refus en 2006 de plus de 200 agents commerciaux d'accepter le nouveau plan de rémunération variable et à l'échec des négociations salariales 2007 assorti d'un mouvement de grève à l'été, la direction s'est décidée à « bâtir un nouveau système de reconnaissance salariale, davantage en cohérence avec notre stratégie », explique Germain Ferec. Première étape, la signature au printemps 2008 d'un accord triennal sur les salaires pour la période 2008-2010, ratifié par quatre syndicats. Parallèlement, six syndicats sur sept ont signé, avant l'été, un autre accord qui devrait déboucher sur un triplement de l'épargne salariale (13 millions d'euros en 2004, 43 millions en 2010) si les bons résultats se confirment. Un dispositif qui cantonne la participation au minimum légal et fait la part belle à l'intéressement.

Generali France s'est enfin lancé dans l'attribution d'actions gratuites. Pour que le lien entre la valeur de l'action et le travail du collaborateur soit le plus étroit possible, « cette distribution est basée sur des parts sociales de la filiale française, indexées sur les résultats, plutôt que sur des actions cotées en Italie dont la valeur évolue au rythme des marchés financiers », constate Philippe Forestier, de la CFDT. Un pari jusque-là plutôt réussi puisque leur valeur, calculée par un cabinet d'audit, a progressé de 22 %.

Repères

Avec un chiffre d'affaires de 15,5 Mds€ en 2007, en progression de 9 %, Generali a conforté sa position de deuxième assureur généraliste, grâce à son dynamisme en assurance vie et en retraite individuelle.

19 avril 1832

La première agence française de Generali ouvre ses portes à Bordeaux.

1995

Antoine Bernheim prend la présidence du groupe de Trieste et poursuit la politique d'acquisitions : La France Assurances en 1995, GPA en 1998 et surtout Zurich et Continent en 2003. Il nomme Claude Tendil à la tête de Generali France en avril 2002.

Décembre 2003

Trois mille salariés issus de 26 sites parisiens déménagent à Saint-Denis.

2004

Le nouveau statut social unique du personnel est mis en place.

Décembre 2006

L'ensemble des entités juridiques constitutives de Generali France fusionne.

Évolution des effectifs de Generali France

Évolution des effectifs de Generali France
ENTRETIEN AVEC CLAUDE TENDIL, P-DG DE GENERALI FRANCE
“Les salariés ne sont pas des variables d'ajustement”

Quel est le principal défi à relever pour Generali ?

À mon arrivée, Generali était composé d'une fédération de compagnies d'assurances réparties sur 26 sites. Le regroupement de nos activités à Saint-Denis, l'harmonisation des statuts sociaux et les fusions juridiques étaient nécessaires pour constituer le deuxième groupe d'assurance français. Nous l'avons fait très largement par la négociation : plus de 70 accords ont été signés par la majorité des organisations syndicales. Pour stimuler la cohésion de l'entreprise unique et son efficacité, nous avons misé sur la mobilisation de l'intelligence individuelle et collective. C'est le sens de notre projet « ambition Generali » qui se caractérise par la responsabilisation de chacun : une méthode fondée sur la liberté d'expression, l'évolution des organisations de travail vers plus d'autonomie et de solidarité. Si cette démarche a suscité au début un certain scepticisme, les doutes commencent à être levés. Mais l'adaptation permanente au changement de tous prendra du temps.

Quelles sont les contreparties à la quasi-garantie de l'emploi dont bénéficient les salariés ?

La performance de l'entreprise est notre seule garantie d'emploi et de progrès social. Lors de la reprise de Zurich France et de Continent, nous nous étions engagés à ne procéder à aucun licenciement. En échange, nous avons soumis ces salariés aux exigences d'adaptation et de mobilité en vigueur chez Generali. Nous avons ainsi pu absorber ces sureffectifs en dix-huit mois, sans casse sociale, grâce à une croissance de notre activité et de nos résultats deux fois supérieure à celle du marché ainsi qu'à une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

L'accord salarial triennal et celui sur l'épargne salariale suffisent-ils à calmer les tensions sur le pouvoir d'achat ?

Si la performance est au rendez-vous, notre politique globale devrait permettre une progression de la rémunération des non-cadres de 20 % d'ici à 2010 et de 25 % pour celle des cadres. Nous avons procédé à une attribution d'actions gratuites à tous nos collaborateurs pour permettre à chacun de se sentir acteur et partie prenante de l'entreprise. Nous en avons distribué d'autres à plus de 1 300 personnes cette année afin de reconnaître des métiers difficiles, des compétences ou des efforts particuliers.

Envisagez-vous de délocaliser vos plates-formes de gestion ?

Ces opérations font peut-être plaisir aux analystes financiers mais je les crois inutiles et nuisibles. L'externalisation de 10 % des effectifs permet au mieux une économie de 0,5 % du ratio primes sur coûts ; c'est très peu comparé à l'inquiétude et à la démotivation que cela engendre. Les salariés ne sont pas des variables d'ajustement. Generali n'a donc pas délocalisé et ne le fera pas.

La position commune sur la représentativité syndicale et la validation des accords va-t-elle faciliter le dialogue social ?

C'est un changement majeur car il tend à sortir la France de l'immobilisme qui accordait ad vitam une représentativité à des organisations, au risque de compromettre l'avenir du syndicalisme, faute d'un renouvellement suffisant de ses cadres. La modification des modalités de validité des accords va amener les syndicats à être davantage en prise avec les aspirations des salariés. Seule la pratique dira si la position commune va assez loin.

Que pensez-vous des mesures annoncées sur les retraites et l'emploi des seniors ?

Le passage à quarante et un ans est nécessaire, sauf à accepter un niveau de pension faible. Jusqu'à présent, il y avait une complicité générale pour faire sortir les seniors de bonne heure car tout le monde y trouvait son compte. Ce système est heureusement terminé. Ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour toutes les entreprises. Nous avons, pour notre part, doublé en quatre ans le pourcentage des salariés de plus de 55 ans.

Faut-il repousser l'âge légal de la retraite au-delà de 60 ans ?

Le vrai problème est celui de la motivation et de la mobilisation des salariés après 50 ans. À nous, entrepreneurs, de leur donner l'envie de rester en activité plus longtemps.

Propos recueillis par Denis Boissard et Valérie Devillechabrolle

CLAUDE TENDIL

62 ans.

1972

Diplômé de HEC, Sciences po et du Centre des hautes études d'assurances, il entre à l'UAP.

1980

Directeur général adjoint du groupe Drouot, racheté en 1982 par les Mutuelles unies pour constituer Axa.

1989

Directeur général d'Axa, qu'il fusionne avec l'UAP.

2001

Nommé P-DG de Generali France.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle