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Politique sociale

Les syndicats européens s'invitent à la table des grands groupes

Politique sociale | publié le : 01.10.2008 | Nadia Salem

Outils de lobbying et d'échange, un peu auberges espagnoles, les fédérations syndicales européennes et mondiales s'organisent face à la progression de la négociation transnationale d'entreprise. Non sans susciter les réticences de syndicats nationaux.

Fiom, ITF, FEM, Emcef… autant de sigles barbares avec lesquels les DRH des grandes entreprises vont devoir se familiariser. Car ils cachent de nouvelles instances syndicales au niveau européen, voire à l'échelle de la planète, qui deviennent, dans des secteurs comme la métallurgie, l'agroalimentaire ou la chimie, des interlocuteurs incontournables pour les groupes internationaux. Simples recommandations, lignes directrices ou accords-cadres en bonne et due forme, cette nouvelle forme de politique contractuelle prend corps. Depuis deux ans, la Fédération européenne de la métallurgie a paraphé l'accord européen sur la GPEC de Schneider Electric, approuvé le plan pour l'égalité des chances présenté par Areva ou encore négocié un renforcement des attributions du comité d'entreprise européen chez Thales…

« Il n'y a aucune obligation légale en la matière, reconnaît Joëlle Barthès, conseillère à la Fédération européenne de la métallurgie, mais les entreprises sont à la recherche d'un interlocuteur unique, au niveau européen notamment, qui leur permette de donner force de loi aux accords en permettant leur transposition au niveau national. » Pour Max Matta, DRH France et Europe de Rhodia, « ce qui fera la différence entre des compétiteurs sur un marché, ce sera la qualité du dialogue social interne ». À ce titre, le groupe se félicite d'avoir reconduit en mars 2008 avec la Fédération internationale des syndicats de travailleurs de la chimie, de l'énergie, des mines et des industries diverses (Icem) l'accord de responsabilité sociale conclu en 2005. « Le seul de cette nature signé dans la chimie par l'Icem », précise Max Matta.

80 accords européens depuis 2000. À Bruxelles, la direction générale Emploi et Affaires sociales de la Commission européenne recense au total 150 accords transnationaux, dont 60 accords-cadres internationaux signés majoritairement par des entreprises européennes, 80 accords européens et 10 accords mixtes, négociés et signés pour la plupart à partir des années 2000. « Le processus s'est accéléré au cours des dernières années, indique Élodie Béthoux, sociologue à l'École normale supérieure de Cachan. Mais là où les rapports de force sont inexistants, faibles ou largement inégaux, le développement de la négociation transnationale d'entreprise paraît plus difficile à asseoir », ajoute-t-elle. C'est notamment le cas dans les banques ou l'assurance, où les fédérations syndicales européennes sont peu actives, et le textile ou l'habillement, où elles sont presque inexistantes. « Dans l'agroalimentaire, hormis l'agriculture du fait de la politique agricole commune, il n'y avait rien en termes de dialogue social et d'accords d'entreprise. Aujourd'hui, on commence à voir des secteurs bouger, explique Rafaël Nedzynski, secrétaire général de la Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, de l'alimentation, des tabacs et des services annexes (FGTA) de Force ouvrière. Dans la restauration collective, le patronat a voulu montrer aux pouvoirs politiques que la branche était capable de s'organiser et d'avoir une gestion paritaire du secteur ; elle a commencé à négocier avec les syndicats. »

Sanofi-Aventis retoqué par l'Emcef. Passer outre l'avis de certaines fédérations européennes peut exposer les plus grands groupes à de mauvaises surprises. Sanofi-Aventis l'a expérimenté à ses dépens. Le géant du médicament s'est fait retoquer par la Fédération européenne de la chimie et de l'énergie (Emcef) un projet d'accord transnational qui prévoyait la mise en place d'une instance ad hoc pour négocier au niveau du groupe les conséquences des restructurations. L'Emcef exigeait que tout accord discuté au niveau du comité d'entreprise européen soit également signé par elle, ce que la direction de Sanofi-Aventis a refusé d'avaliser. Directeur des relations sociales du groupe, Frédéric Cluzel se fait l'écho des inquiétudes de certains syndicats qui « ont peur de perdre des prérogatives au niveau national ». Des craintes qu'il juge infondées, car « négocier, par exemple, sur les salaires au niveau européen, ça n'a pas de sens ». Pour Denis Meynent, conseiller confédéral CGT chargé de l'international, « l'enjeu majeur aujourd'hui, c'est d'éviter que la négociation collective transnationale d'entreprise ne se traduise par une érosion des garanties collectives ».

L'Alliance syndicale mondiale regroupe tous les syndicats de France Télécom. Sauf SUD

Organiser le dialogue social. Véritables auberges espagnoles, ces instances européennes ne représentent pas nécessairement toutes les organisations présentes dans une entreprise multinationale. Résultat, un projet d'accord transnational peut susciter des réticences chez les salariés et leurs représentants qui ne se reconnaissent pas dans l'instance signataire. À France Télécom, l'accord global sur le respect des droits fondamentaux conclu fin décembre 2006 a été porté par la fédération UNI Telecom, et, au sein du groupe, par une structure ad hoc, l'Alliance syndicale mondiale, regroupant l'ensemble des organisations syndicales nationales affiliées à l'UNI. En France, la CFDT, FO et, depuis peu, la CGT en font partie. En revanche, SUD, présent au comité de groupe mis en place en 2004 mais non affilié à l'Alliance syndicale mondiale, a accueilli avec des pincettes les discussions qui se sont engagées chez l'opérateur sur l'accord.

Au niveau européen, ces fédérations syndicales ont pour priorité d'organiser le dialogue social. C'est le travail qu'a fait la Fédération européenne de la métallurgie en définissant dans ses statuts un cadre clair de négociation. « Au sein de la fédération, on se met concrètement d'accord sur le nom des personnes qui vont négocier avec la direction au nom de tout le groupe de négociation », souligne Joëlle Barthès. Cette équipe de négociateurs doit inclure « au moins un représentant de la FEM et/ou le coordinateur FEM et/ou un représentant des syndicats impliqués, l'un d'entre eux menant les négociations ». Parmi les négociateurs peuvent figurer des membres du CEE et/ou de son comité restreint.

Patron de la FGTA Force ouvrière, Rafaël Nedzynski reconnaît au moins quatre fonctions essentielles aux fédérations syndicales européennes : « l'échange d'informations entre organisations syndicales, le lobbying auprès de la Commission européenne, la négociation sectorielle et la coordination des CEE ». Mais il reconnaît aussi que la négociation de branche a pris beaucoup de retard par rapport à la négociation interprofessionnelle, au niveau européen. Pour plusieurs raisons : des systèmes de relations sociales et des cultures syndicales très différents, des législations sociales très inégales, des dispositions peu contraignantes de l'Union européenne en la matière. « On négocie sur des sujets peu ou pas conflictuels, voire incontournables comme la sécurité au travail. Bref, sur des normes minimales », note Raphaël Nedzynski.

« Le dialogue social sectoriel, au niveau des branches, doit se renforcer tant au niveau européen qu'au niveau national », abonde Jean-François Renucci, de la Fédération de la chimie et de l'énergie CFDT. En avril 2006, 14 fédérations patronales et 2 fédérations syndicales européennes, la FEM et l'Emcef – la Fédération de la construction ayant décliné l'invitation –, ont conclu, avec la bénédiction de la Commission européenne, le premier accord du genre, recouvrant plusieurs secteurs. Objectif : réduire l'exposition des travailleurs – 2 millions de salariés sont concernés – aux poussières de silice cristalline. Cependant, ce type de négociation reste rare. « Seuls 34 comités de dialogue social sectoriel impulsés par Bruxelles se sont constitués, déplore Jean-François Renucci, alors qu'il existe des centaines de branches professionnelles. » Les syndicalistes européens ne vont donc pas chômer.

FEM

Créée en 1971, la Fédération européenne de la métallurgie fédère 72 organisations syndicales en Europe et 5,5 millions de travailleurs. Secrétaire général : Reinhard Reibsch. Nombre de permanents : 18.

EFFAT

La Fédération syndicale européenne pour les secteurs de l'agriculture, de l'alimentation et de l'hôtellerie, créée en 2000, présente dans 35 pays européens, regroupe 120 organisations et 2,6 millions de salariés. Secrétaire général : Harald Wiedenhofer. Nombre de permanents : 11.

ETF

La Fédération européenne des travailleurs des transports, créée en 1999, représente 2,5 millions de salariés répartis dans 223 syndicats et 40 pays en Europe. Secrétaire général : Eduardo Chagas. Nombre de permanents : 11.

EMCEF

Créée en 1978, la Fédération européenne des syndicats des mines, de la chimie et de l'énergie est la plus importante des fédérations de la Confédération européenne des syndicats (CES), avec 217 syndicats affiliés dans 28 pays et 8 millions d'agents. Secrétaire général : Peter Scherrer. Nombre de permanents : 7.

ITF, la vigie des droits des marins

Les syndicats de marins ont réussi à établir un véritable rapport de force avec les armateurs. Depuis plus d'un siècle, c'est l'ITF (Fédération internationale des ouvriers du transport) qui défend les droits des salariés de la mer. Basée à Londres, elle lutte en priorité contre les abus pratiqués sur les navires battant pavillon de complaisance, soit les deux tiers de la flotte marchande mondiale. En enregistrant son navire sous une nationalité dite de complaisance, l'armateur bénéficie d'une juridiction généralement peu regardante en matière de droit du travail.

Dans les années 70, l'ITF a imposé aux armateurs utilisant le pavillon de complaisance une convention collective valable sur tous les navires et quelle que soit la nationalité de l'équipage. Il s'agit d'assurer à tous les marins un salaire minimal, des horaires contrôlés ainsi qu'une couverture retraite et maladie. La signature de cette convention donne droit à un « ticket bleu », gage de probité délivré par l'ITF. Dans 120 ports, l'ITF dispose d'un inspecteur susceptible de monter à bord pour contrôler un navire suspect, mais aussi de négocier pour faire signer la convention collective ou pour la faire appliquer.

Constatant qu'un double système de fiches de paie, l'un destiné aux inspecteurs de l'ITF, et l'autre, bien inférieur aux barèmes de la convention, avait été mis en place sur certains navires, l'ITF a entamé des discussions avec le Joint Negotiating Group (JNG), regroupant les plus importants armateurs mondiaux. Une nouvelle convention a vu le jour en 2003. Sa signature donne droit à l'obtention d'un « ticket vert ». Moyennant une plus grande marge de négociation, notamment en matière de salaires, le JNG s'engage à rayer de sa liste les armateurs ne respectant pas la convention.

Depuis une dizaine d'années, de nouveaux syndicats, créés dans les pays en développement, ont rejoint l'ITF, qui regroupe à présent 600 organisations, présentes dans 90 % des pays du monde. Près de la moitié des navires battant pavillon de complaisance détiennent à présent un ticket bleu ou vert.

Marie-Capucine Diss

Auteur

  • Nadia Salem